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Une dernière danse pour Onür Kaya ce samedi: « Les jeunes d’aujourd’hui connaissent moins le sens du mot respect « 

Onur Kaya a disputé 455 matches avec les professionnels, dont 101 dans son dernier club, le FC Malines. Il a survécu à des entraîneurs comme Peter Maes et Aad de Mos, a remporté trois coupes de Belgique et été deux fois champion de D1B. Rencontre avec un des doyens de notre championnat qui tirera sa révérence ce samedi à l’âge de 36 ans.

On voudrait le faire poser Avenue de la Toison d’Or, en plein coeur de Bruxelles, mais Onur Kaya n’aime pas se faire remarquer. Le joueur du YRFC Malines ne se détend totalement qu’une fois installé dans une brasserie à côté de The Hotel Brussels, l’ex-Hilton. Ce petit-fils d’immigrés turcs connaît le coin comme sa poche, il a vécu près de la Bourse, à Forest et à Saint-Gilles et habite désormais à Anderlecht.

 » J’aime Bruxelles « , dit-il.  » Je ne supporte pas qu’on en parle comme si c’était le Bronx ou l’Afghanistan. Les gens ont beaucoup de préjugés. Je ne dis pas que Bruxelles est la plus belle ville du monde mais elle est moins laide qu’on le prétend et, en Belgique, je ne voudrais pas habiter ailleurs. J’ai d’ailleurs toujours fait la navette.  »

Kaya a 36 ans depuis avril.  » Sur la fin de ma carrière, j’avais envie de jouer plus. Quand je vois Igor De Camargo à l’oeuvre, ça me donnait envie d’encore tenir quelques années. J’avais 35 ans à la fin de mon contrat initial et j’ai pu encore jouer un année de plus comme je l’avais souhaité. Mais je ne voyais pas continuer jusqu’à 41 ans comme Timmy Simons . Le jour où mon corps ne suivra plus, j’arrêterai. « 

Seule une blessure aurait pu vous détourner ce cet objectif ?

ONUR KAYA : Pour ne pas être blessé, il faut bien se soigner et avoir un peu de chance. Aux Pays-Bas, je sortais deux à trois fois par semaine et je ne ressentais rien. Aujourd’hui, je suis plus discipliné : deux jours avant un match, je reste chez moi, je ne vais même pas au restaurant. Et après chaque entraînement, je dors une heure à une heure trente. Mon corps en a besoin. Il y a quinze ans, on m’a dit que je n’aurais jamais de blessure musculaire car mes muscles sont raides. J’ai eu une seule élongation aux ischios. Ça a duré une semaine.

Un joueur ne doit-il pas être souple ?

KAYA : Nous ne sommes pas des gymnastes. La moitié des joueurs sont raides. Je ne sais même pas me plier. J’ai horreur du stretching. Un joueur qui n’a pas mal, ça n’existe pas. Je connais mes points faibles : le bas du dos, les hanches et les adducteurs. J’ai vu un ostéopathe qui m’a dit que j’avais le côté droit bloqué à cause d’un problème aux intestins. C’est pourquoi j’ai souvent mal au ventre. Depuis que je prends des médicaments, j’ai moins mal au dos. Je connais mon corps et je sais que mes problèmes ne m’empêchent pas de jouer au football mais beaucoup de joueurs ne savent pas quand ils doivent s’arrêter et leur corps craque. Il faut protéger les jeunes.

Je dépasse parfois les limites mais je n’ai jamais été exclu et je ne blesserai jamais un joueur.  » Onur Kaya

 » Je ne saluerai plus jamais Aad de Mos  »

Vous parvenez à transmettre vos connaissances aux jeunes ?

KAYA : Je me souviens qu’Aster Vranckx portait des chaussures roses, que Nike lui a offertes. J’avais envie de lui dire d’arrêter car s’il passe à côté de son sujet dans un ou deux matches, on ne va pas le rater. C’est comme ça, en Belgique. J’avais 25 ans quand j’ai porté pour la première fois des chaussures de couleur.

Et il vous écoutait ?

KAYA : Il était obligé, on a le même agent (il rit). Les temps ont changé. Quand je suis entré dans le vestiaire de Vitesse, j’étais impressionné par les trentenaires. On ne pouvait même pas s’asseoir à leur table. Et encore moins leur répondre. Les jeunes de maintenant connaissent moins le sens du mot respect.

Vous avez été titularisé pour la première fois le 11 février 2006, contre Heerenveen. Quel souvenir gardez-vous de ce match ?

KAYA : Cette saison-là, j’ai été plusieurs fois titulaire et je suis entré assez souvent mais c’est la saison suivante que j’ai vraiment percé et l’AZ s’est intéressé à moi. Mais l’année suivante, je n’ai plus joué. Aad De Mos avait transféré un autre joueur à ma place. Je ne le saluerai plus jamais et je ne suis pas le seul.

Ma carrière à Vitesse, je la dois à deux personnes : Theo Bos, aujourd’hui décédé, et Pascal Jansen, désormais adjoint à l’AZ. C’est eux qui sont venus me chercher à Anderlecht quand j’ai compris qu’on ne me proposerait pas de contrat. Un peu plus tard, Dries Mertens n’était pas retenu non plus. Il a entamé un parcours du combattant mais il est arrivé au sommet.

 » Je regrette d’avoir été trop gentil avec Peter Maes  »

Pourquoi pas vous ?

KAYA : J’en avais parlé un jour avec Thibaut Peyre et Clément Tainmont. On se demandait ce qu’on avait fait de mal. Aurais-je pu jouer à Barcelone ou à Naples ? Non, bien sûr. Mais il faut être au bon moment au bon endroit. Mon porte-bonheur, c’est Francky Dury, qui a relancé ma carrière quand j’étais dans le trou à Lokeren. J’aurais pu avoir un meilleur parcours mais ça aurait pu être pire aussi.

Lokeren est le seul club où vous n’avez pas marqué. À refaire, vous vous y prendriez autrement ?

KAYA : Mes six premiers mois étaient assez bons. J’étais parfois titulaire, parfois sur le banc. Je ne sais pas pourquoi, mais la saison suivante, Peter Maes m’a complètement ignoré. Même dans un match inutile d’Europa League, il ne m’a pas fait jouer. L’ambiance n’était pas bonne et je m’entraînais avec des pieds de plomb. On a joué avec mes pieds et je regrette de n’avoir rien dit. Je pensais à l’avenir, j’avais peur que ça se retourne contre moi. J’ai été trop gentil. Aujourd’hui, je demanderais des comptes à l’entraîneur.

Vous n’auriez pas dû en parler à Roger Lambrecht ?

KAYA : Je ne l’avais pas vu depuis des mois et on s’est revu lors du stage hivernal, alors que je négociais déjà avec Zulte Waregem. Le Cercle voulait me louer avec option s’il restait en D1 puis mon agent est arrivé avec une proposition de Zulte Waregem. Lokeren demandait plus d’argent à Zulte Waregem. Je devenais fou et j’ai mis la pression sur Roger Lambrecht et sur Willy Reynders. Je leur ai dit que s’ils n’acceptaient pas la proposition de Zulte Waregem, j’allais exploser.

 » À Malines, on m’a directement fait sentir qu’on m’appréciait  »

Cinq ans plus tard, vous êtes même devenu le capitaine de Malines.

KAYA : Après le premier ou le deuxième entraînement, Dennis van Wijk m’a demandé si je voulais être un des capitaines. J’ai demandé l’accord de Seth De Witte et Tim Matthys, qui portaient habituellement le brassard. Je ne voulais pas froisser les anciens. À Malines, on m’a directement fait sentir qu’on m’appréciait.

Quand on est capitaine, on est moins vite écarté.

KAYA : Je suis sûr que certains joueurs pensent ça mais moi, je ne crois pas. En tant que capitaine, je devrais peut-être moins réagir au quart de tour, comme après la défaite face au Standard, où j’ai lancé mes chaussures dans le vestiaire. Je ne sais pas faire semblant et je peux dire des choses méchantes mais quand je commets une erreur, je l’admets.

Au début de saison 2019-20, un supporter de Malines a lancé des insultes racistes à Marco Illaimaharitra, de Charleroi. En tant que capitaine, vous pouvez interpeller ce supporter ?

KAYA : J’ai vu une bousculade et j’ai entendu dire qu’un supporter à crié quelque chose, je n’en sais pas plus. Vous devriez entendre tout ce qu’on me dit. Et toujours dans le même stade… Erdogan, retourne dans ton pays. Ce n’est pas du racisme, ça ? Dire sale Turc, c’est aussi grave que dire à un Noir qu’il doit manger des bananes. Aujourd’hui, j’en rigole. Je me suis fait une carapace. Il y a des cons partout et c’est au club de faire quelque chose. Qu’on interdise ces gens de stade et basta.

Une dernière danse pour Onür Kaya ce samedi:
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Vous avez toujours été un des chouchous du public. Les fans de Zulte Waregem avaient même composé une chanson pour vous.

KAYA : C’est peut-être parce que je suis un gagneur. Je me bats sur tous les ballons, je suis très expressif sur le terrain et je dépasse parfois les limites. J’ai déjà eu huit cartes jaunes cette saison : cinq pour rouspétances. Ma réputation me précède. Avant le match, déjà, l’arbitre me dit : Onur, reste calme sinon c’est jaune. Parfois je dis en rigolant que si je m’énerve sur l’arbitre, c’est que je suis dans le match. On ne me changera plus mais je n’ai jamais été exclu et je ne blesserai jamais un joueur.

Vous comptez plus de 300 matches en D1 belge et néerlandaise, vous avez remporté trois coupes et deux titres en D2. Vous ne regrettez pas de ne pas avoir joué dans un grand club ?

KAYA : ( il réfléchit) J’ai remporté des trophées, joué en Europa League et marqué contre Vitesse… Il faut un peu de chance. Certains joueurs sont dans des grands clubs alors qu’ils n’ont rien à y faire. Oui, je me sens un peu sous-estimé mais je ne suis pas le seul. Voyez Selim Amallah, qui était un joueur anonyme de Mouscron et brille désormais au Standard.

Onur Kaya :
Onur Kaya :  » Mon porte-bonheur, c’est Francky Dury, qui a relancé ma carrière quand j’étais dans le trou à Lokeren. « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Theo Janssen est le meilleur gaucher que j’aie rencontré  »

Onur Kaya a joué huit ans à Vitesse, où il était sous le charme de Theo Janssen.  » C’est le meilleur gaucher que j’aie rencontré « , dit-il.  » Il était capable de marquer sur coup-franc sans prendre d’élan. En principe, il se chargeait de toutes les phases arrêtées mais à 19 ans, j’étais le seul à qui il donnait le ballon sur coup-franc. Il avait autant de tempérament que de talent. Il avait des couilles.

Je n’oublierai jamais comment il a mis Aad de Mos dans ses petits souliers après un match à l’Excelsior. Nous étions à l’hôtel et De Mos a donné l’équipe avant le départ pour le stade. Theo n’était pas dans le onze de base. Après la théorie, il est rentré directement chez lui. Le lendemain, il a insulté De Mos qui n’osait rien dire. Personne n’élevait la voix avec Theo. La semaine suivante, il était dans l’équipe…

Il n’était pas toujours agréable car il disait sa façon de penser. Mais il n’agissait pas en douce. Il fumait et se fichait pas mal de ce qui se passait autour de lui. C’est sans doute pour ça qu’il n’a pas fait une grande carrière à l’étranger. »

Petit-fils d’immigrés turcs

Vous savez comment vos grands-parents sont arrivés de Turquie en Belgique ?

ONUR KAYA : Mon père avait 13 ans quand il est arrivé en Belgique avec ses parents. Ils dormaient à huit ou neuf sur quinze mètres carrés. Mes parents avaient 19 et 18 ans lorsqu’ils se sont rencontrés et ils ont commencé en bas de l’échelle. Je suis un fils d’ouvriers. Les choses auraient peut-être été différentes si mon père avait joué au football. Il était doué mais mon grand-père voulait qu’il travaille. Je n’ai pas connu mon grand-père mais il semble que ce n’était pas un marrant. Il a éduqué ses enfants à la dure et mon père n’a pas eu une jeunesse dorée.

À quel point vous sentez-vous proche de la Turquie ?

KAYA : C’est dans mes gènes mais je ne couperai jamais les ponts avec la Belgique. J’ai grandi ici, le français est ma langue maternelle. Je ne pourrais jamais habiter à Istanbul, par exemple. C’est trop chaotique pour moi.

Vous êtes un homme d’affaires ?

KAYA : Non, mais je suis économe. À 22 ans, j’ai acheté mon premier appartement aux Pays-Bas. Je l’ai déjà revendu. Si je veux garder mon niveau de vie, je dois investir car à 60 ans, je ne gagnerai plus autant que maintenant. Et je ne veux pas être ruiné.

Vous êtes fan de Besiktas. Vous avez rêvé d’y jouer ?

KAYA : Si j’y avais joué ne serait-ce qu’une minute j’aurais été le plus heureux des hommes mais ce n’était pas réaliste. Et mon père me l’aurait déconseiller : il y a trop de problèmes financiers en Turquie. Il m’a toujours dit qu’il valait mieux gagner moins et dormir la nuit que courir après son argent.

Vos parents sont donc satisfaits de votre carrière ?

KAYA : Ils sont fiers. Après une finale de coupe gagnée, j’ai vu mon père pleurer pour la première fois. J’étais content pour lui car il a fait beaucoup de sacrifices. Un jour, il a parcouru 800 km pour me voir jouer à Groningen. C’est pourquoi j’admire mes parents. Je leur dois tout. Je suis rancunier mais je n’oublie jamais les bonnes choses.

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