Antoine Griezmann: la tournée du patron à la table des grands

En perte de vitesse en club depuis quelques saisons, le meilleur passeur de l’histoire des Bleus a retrouvé de sa superbe au Qatar en structurant un secteur du jeu qui semblait devoir subir les absences d’Ngolo Kanté et de Paul Pogba. Saint-Antoine de Mâcon ne s’assiéra peut-être jamais à la table des grands en cas de sacre mondial, mais il confirme son statut de joueur unique, de patron d’une nation amenée à faire briller la destinée de Kylian Mbappé.

De l’équipe de France qui s’est hissée sur le toît du monde à Moscou voici quatre ans ne ressortait pas vraiment une individualité. Toute une série de joueurs avait contribué à ce sacre symbolisant les vertues collectives prônées par Didier Deschamps. C’est sans doute ce qui a coûté le Ballon d’or attribué cette année-là à un Luka Modric qui étincelait bien plus au coeur du jeu croate.

Chaque partisan de l’équipe de France avait son idée sur celui qu’il fallait récompenser au-dessus de tous. Il y avait ceux qui louaient les prestations sans faille du roc Ralphaël Varane. Il avait été aussi couronné en Ligue des Champions et que certains voyaient bien en successeur de Fabio Cannavaro, dernier défenseur central récompensé par le prestigieux trophée France Football. D’autres voulaient mettre en avant, l’éclosion d’une future grande star du football mondial, Kylian Mbappé, dont la vitesse supersonique et les buts tombés à un âge précoce avaient été si importants pour relancer une équipe plutôt tiède lors du premier tour et bien mal embarquée à un moment dans son 1/8e de finale contre l’Argentine. Enfin, il y avait les personnes qui préféraient mettre en avant un joueur plus discret mais ô combien essentiel: Antoine Griezmann.

Malgré ses excentricités capillaires, Griezou est un pion important mais discret du dispositif bleu. Il restait aussi sur l’une des meilleures saisons de sa carrière à l’Atlético Madrid pour lequel il avait planté 29 roses en 49 apparitions. Il avait mené les Colchoneros sur le toît de l’Europe, pas celui avec les grandes oreilles, mais le second un rien moins prestigieux, l’Europa League. En finale, il s’était offert un doublé contre Marseille et semblait proche, à 27 ans, de son meilleur niveau, de son apogée. C’était lui qui devait porter des Bleus sur lesquels on ne misait pas vraiment sur la plus haute marche du podium en Russie. Ce fut le cas.

Le récital d’intelligence en mouvement de Saint-Pétersbourg

Le Mâconnais a marqué quatre fois et délivré quatre assists. Mais il s’est surtout montré décisif dans les duels à élimination directe puisque la majorité de ses participations aux buts hexagonaux a été effectuée dans ce cadre. En quatre rencontres, il a un pied dans 63% des 11 réalisations bleues tombées à partir des 1/8e de finale. C’est d’ailleurs lui qui propulse le ballon sur la tête de Samuel Umititi lors de cette demi-finale qui a tant fait mal à la Belgique. Un match lors duquel il va démontrer toute son intelligence tactique alors que les Diables rouges ont été contraints de modifier quelque peu leurs plans de bataille après la suspension de Thomas Meunier.

L’entrejeu belge est renforcé par la présence de Mousa Dembélé, qui en compagnie de Kevin De Bruyne doit forcer Blaise Matuidi à repiquer dans l’axe pendant que le positionnement haut de Marouane Fellaini a pour objectif de repousser Paul Pogba le plus près possible des défenseurs centraux français. Mbappé n’étant pas obligé de défendre, Eden Hazard peut donner le tournis à Benjamin Pavard l’espace d’une demi-heure, pendant que Griezmann semble perdu sur le terrain et ne parvient pas à être joint par ses partenaires. C’est dans ce contexte que l’intelligence en mouvement du Mâconnais va se ressentir une nouvelle fois. « Tu peux le placer à un endroit de ton schéma tactique, il finira par résoudre de la meilleure des manières toutes les situations difficiles qu’il observe dans une autre zone », disait d’ailleurs à son sujet Diego Simeone, son entraîneur à l’Atlético Madrid.

Antoine Griezmann se déplace entre les lignes pour mieux trouver la position qui lui permettra de sortir la longue vue. (Photo by Lionel Hahn/Getty Images) © belga

C’est ce qui va se produire, il redescend au coeur du jeu, rentre à nouveau en contact avec un cuir qu’il n’avait quasiment pas touché avant cela. La France commence alors à prendre le dessus sur des Belges qui ne se remettront jamais du coup de casque victorieux d’Umtiti.

« C’est un vrai joueur collectif, il a une justesse dans sa passe, il trouve toujours les bons décalages. Pour moi, c’est lui qui a débloqué la situation face à la Belgique », estimait d’ailleurs le champion du monde français de 1998 Robert Pires, quand on lui demandait d’analyser le duel des voisins de Saint-Pétersbourg. « Je dois être un tueur alors que j’aime le collectif » , racontait Antoine Griezmann dans sa biographie. « Devant, je peux rester trente minutes sans toucher le ballon. Si je vois que l’équipe a besoin que je sois plus disponible, je descends un peu, même si ça ne plaît pas à l’entraîneur. Ce qui m’intéresse, c’est de faire mal à la défense. » L’illustration la plus marquante de cela a été livrée à la Gazprom Arena et tant pis si cela a brisé tant de coeurs noir-jaune et rouge.

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La table des grands

Conscient de sa force, Antoine Griezmann s’affirme, alors que le Ballon d’or doit être décerné au coeur de l’automne suivant ce Mondial russe victorieux. « Nous avons fait une excellente Coupe du monde et toute l’équipe méritait un prix : Mbappé, Varane, Kanté, même si on a peu parlé de lui, il a fait un grand Mondial, ou moi-même. Mais c’est comme ça« , commence d’abord le gaucher bourguignon dans une interview accordée à As, qui lui jouera bien des tours par la suite. « Si je suis à la même table que Lionel Messi et Cristiano Ronaldo ? Oui, je crois que oui« , ajoute-t-il encore dans le média espagnol. Antoine Griezmann doit se contenter de la troisième place du scrutin organisé par France Football. C’est un des finalistes malheureux qui s’offre la récompense tant convoitée.

A partir de ce moment, sa situation en club va se dégrader. Il semble traîner l’épisode du Ballon d’or dans un coin de sa tête. Il reste performant mais stagne un peu au sein d’un Atlético Madrid qui ne joue pas assez les premiers rôles à son goût et qui surtout apparaît comme un boulet à traîner dès qu’il s’agit de remporter des récompenses individiuelles. Il fait le forcing pour rejoindre le Barça et après avoir annoncé son départ des Colchoneros en mai 2019, il s’engage avec les Blaugranas en juillet après que ces derniers aient payé la clause libératoire de 120 millions d’euros réclamés par le club de la capitale espagnole.

Si le FC Barcelone, encore orphelin d’un Neymar parti au PSG voici deux saisons, retrouve un joueur star, l’histoire d’amour ne se matérialise pas sur le terrain. Un peu comme Hazard au Real, les blessures en moins, Griezmann peine à trouver sa place dans une maison blaugrana à la croisée des chemins et dont les guides sur le banc peinent à trouver les idées qui referaient du club le dominateur sans partage qu’il fut au début de la décennie. Si la première saison est insuffisante, la seconde lui permettra d’atteindre un rendement plus proche de celui qu’il tenait au Vicente Calderon. Mais il n’entre pas dans les plans du Barça et de Ronald Koeman qui entend dégraisser son noyau pour redonner un nouvel élan et surtout alléger une masse salariale terriblement alourdie par des choix stratégiques et de recrutement hasardeux et onéreux.

Le retour du fils prodigue

Le 1er septembre 2021, le retour en prêt pour une saison de Griezmann à l’Atlético est annoncé. Il existe une option pour une saison supplémentaire ainsi qu’une clause pour un achat obligatoire au terme de cette seconde saison, estimée à 40 millions d’euros avec divers bonus. Il faudra attendre la location de Saul Niguez à Chelsea pour libérer la place qui permettra à l’enfant prodigue de revenir à la maison du Cholo.

Il y a quelques années, Antoine Griezmann disait qu’il avait besoin d’un Diego Costa en club et d’un Olivier Giroud en équipe de France pour mieux s’exprimer. (Photo by Richard Sellers/Getty Images)

Les retours chez les ex ont rarement produit de bons résultats ces dernières années et Griezou ne va pas échapper à la tendance. Il joue de moins en moins, est que trop rarement décisif, bien loin de celui qui était l’un des chouchous du public colchonero lors de son premier passage.

Dans une saison qui tourne au vinaigre pour l’Atlético Madrid avec une élimination rapide des compétitions européennes et seulement une cinquième place en Liga, la Coupe du monde arrive comme une respiration et un moment pour oublier tous les soucis du quotidien. Moribond, Joao Félix s’affirme comme l’un des meilleurs joueurs du Portugal, alors que Rodrigo De Paul semble avaler les kilomètres comme jamais et avec un plaisir non dissimulé depuis qu’il est chargé de la protection de Lionel Messi. Si Axel Witsel et Yannick Carrasco emmènent leur spleen rojiblanco dans leurs valises à destination du Qatar, ce n’est pas le cas d’un Antoine Griezmann qui a su faire parler son intelligence en mouvement au sein d’une équipe de France où les choses ont quelque peu changé en quatre ans.

Au milieu, Paul Pogba et Ngolo Kanté n’ont pu être de la partie et le bloc collectif de Russie, avec un Giroud n’hésitant pas à jouer les sentinelles quand cela était nécessaire, semble désormais plus étiré au Moyen Orient. La faute à certains profils. Aux côtés d’un Aurélien Tchouaméni qui a repris le rôle d’aspirateur de Kanté dans la lignée de son intégration rapide au Real Madrid, Deschamps a choisi d’aligner Adrien Rabiot. La patte gauche de ce dernier ne manque pas de flair et sa taille est aussi un atout supplémentaire sur le plan offensif. Sauf qu’en phase défensive, l’équilibre bleu semble parfois ne tenir qu’à un fil comme l’a démontré l’Angleterre en quart de finale. Le milieu de la Juventus ne se trouve pas dans sa zone de confort en perte de balle et doit compenser les montées plus nombreuses du dragster Theo Hernandez, bien plus porté par l’offensive que son malheureux frangin Lucas, défenseur central de métier et qui a dû écouter son séjour au terme du premier match en raison d’un ligament du genou qui n’a de nouveau pas tenu le choc.

De l’autre côté de ce flanc gauche déséquilibré en perte de balle et sublimé dans la surface adverse par le roi Kylian Mbappé, Deschamps a misé sur Ousmane Dembélé. Un autre gaucher aux pieds de feu et aux inspirations géniales mais qui n’est pas le plus motivé dès qu’il s’agit de courir sans le ballon.

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Griezmann le relayeur en mouvement

Le coach français dont le plan de bataille ne semble pas plus élaboré qu’en Russie a donc misé sur le cerveau de celui qui doit théoriquement jouer le plus près possible de son avant-centre. L’hypothèse de voir Antoine Griezmann occuper un poste de milieu relayeur est très vite arrivée sur la table et la question a même été posée à Didier Deschamps dès la révélation de sa liste pour le tournoi mondial. L’ancien joueur de la Real Sociedad allait-il être en mesure de briller dans ce costume alors qu’il semblait en perte de vitesse depuis un petit temps ?

Il ne fallait pas enterrer si tôt Saint-Antoine de Mâcon. Le gaucher a tout simplement retrouver sa superbe et sa justesse à une position dans laquelle il n’avait pourtant jamais évolué en rencontre officielle avant le coup d’envoi de cette coupe du monde. Griezmann étale ses qualités athlétiques d’intelligence en mouvement et en perte de balle. Il a ainsi récupéré en moyenne 4,5 ballons toutes les 90 minutes avant le quart de finale contre les Anglais.

En attaque, sa vista et sa lecture du jeu est toujours présente malgré ce rôle plus en retrait sur l’échiquier de Didier Deschamps. Il apporte toujours autant de solutions, de vitesse d’exécution et de créativité comme en témoigne ses 3,44 passes décisives espérées (sur 3 effectivement données). Jusqu’à présent, il a réussi 202 passes dans ce tournoi avec une précision de 85% qui descend de 10% dans les trente derniers mètres. Mais ce pourcentage reste largement appréciable. Et puis, il y a ce sentiment de maîtrise dans son pied gauche et cette impression que le ballon qui va en partir va faire mouche, comme sur les buts de Kylian Mbappé contre le Danemark et d’Olivier Giroud contre l’Angleterre.

« Il est tellement précieux dans le jeu, dans l’équilibre. C’est un garçon qui adore courir, qui est toujours en mouvement et a une très bonne lecture de ses adversaires et de ses coéquipiers. (…) Il joue à une touche de balle, il ne se complique pas la vie et son jeu est léché. Le haut niveau, c’est de jouer un football simple et lui simplifie le jeu des Bleus en permanence », estimait Emmanuel Petit sur RMC après la qualification des Bleus contre les Polonais en 1/8e de finale. « Il fallait lui laisser du temps. Cela faisait trois ans qu’on avait l’impression qu’il portait le poids du monde sur ses épaules et que quoi qu’il fasse, il se ferait toujours critiquer », a complété celui qui avait inscrit le troisième but de la France lors de son sacre mondial à domicile en 1998.

Kylian Mbappé a conscience de l’importance de Griezmann dans sa propre destinée. (Photo by Koji Watanabe/Getty Images)

Ce qui frappe aussi les observateurs, c’est le visage désormais plus lumineux du Bourguignon. Bien loin de celui qu’il affichait en Espagne ces trois dernières années. Son passage raté au Barça l’a particulièrement affecté. Là-bas, l’un des membres du conseil d’administration n’avait pas hésité à se moquer ouvertement de lui. « Tu as laissé un super souvenir en donnant tous tes encouragements au Palau (la salle de basket du Barça, ndlr) mais, sur la pelouse, malheureusement, je ne pense pas tant que ça… », avait tranché Miguel Camps au sujet de l’international français.

Le retour à la maison ne s’est pas non plus passé comme attendu. Le joueur s’est retrouvé au coeur d’un bras de fer entre l’Atlético Madrid et un FC Barcelone auquel il appartenait encore. Griezmann devait se contenter d’un statut de réserviste et de moins de 30 minutes par rencontres pour le club madrilène ne doive pas payer un certain montant au Catalan. On pouvait dès lors s’inquiéter de son manque de rythme comme de nombreuses autres sélections l’ont fait avec des éléments importants de leur effectif en disgrâce dans leurs clubs. L’accord trouvé entre les deux formations espagnoles au début du mois d’octobre aura permis au gaucher français de retrouver sa place dans le onze de base de Diego Simeone.

A défaut d’avoir redonné de la confiance aux Colchoneros auteurs de mois d’octobre et de novembre calamiteux, Antoine Griezmann a rassuré les partisans français qui commençaient à penser que ses meilleurs années étaient derrière lui et qu’il fallait peut-être qu’il fasse un pas de côté pour céder sa place à du sang frais. Certains analystes ne l’avaient d’ailleurs pas épargné il y a encore quelques mois. « Il montre qu’il est fatigué et il n’arrive plus à sortir la tête de l’eau. Actuellement, l’équipe de France est plus forte avec Christopher Nkunku (sélectionné pour le Qatar mais forfait en raison d’une blessure). Si c’est le joueur d’aujourd’hui, oui, ça sera un problème au Mondial », assénait d’ailleurs l’ancien joueur du PSG Jérôme Rothen après les rencontres de Nations League disputées au mois de juin dernier.

Aujourd’hui, plus personne n’ose remettre en question le statut d’un Griezou retrouvé dans son costume de passeur à la mire bien réglée. Si son dernier but en équipe de France remonte à plus d’un an et un carton hexagonal contre le Kazakhstan, Griezmann ne s’encombre pas de ces préoccupations surtout que Kylian Mbappé et Olivier Giroud, muet voici quatre ans, font trembler les filets adverses à sa place. Ses trois dernières passes compilées au Moyen Orient lui ont d’ailleurs permis de devenir le meilleur passeur de l’histoire de sa sélection avec 28 caviars servis sous le tricot bleu.

A l’heure d’un money time qui l’avait vu briller de mille feux lors de l’été russe, Antoine Griezmann semble désormais accepter un rôle moins en vue et qui aura pour principale ambition de faire briller l’étoile Mbappé, désormais super symbole d’un football hexagonal au réservoir inépuisable. Plus question de s’asseoir à la table des grands pour le Macônnais qui laissera désormais le fauteuil qu’il convoitait à la star du Paris Saint-Germain. Griezmann s’est trouvé un autre costume, qui lui va bien mieux au teint, avec son rôle de patron. Celui qui servira peut-être la tournée à la fameuse tablée des cadors du football mondial.

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