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Ultras et Hooligans : deux mouvements bien distincts

 » Hooligans à la Bourse « ,  » Les Ultras dérapent  » : tels ont été les titres de nombreux médias belges et étrangers ces derniers jours. Pour cause, un demi-millier de fanatiques s’est rendu sur le principal lieu de recueillement des attentats de Bruxelles, dimanche passé. Très vite, les Hooligans ont été confondus avec les Ultras. Or, ces deux appellations sont sémantiquement bien distinctes. Tour d’horizon du monde des tribunes.

En 1980-1990, les hooligans ont semé la peur dans les stades. Bagarres, invasions de terrain… Rien ne les arrêtait. C’était leur « plaisir » et l’anarchie leur credo. Depuis de nombreuses années désormais, la violence entre « supporters » se fait de plus en plus rare. Du moins, dans et aux abords des stades, là où les mesures de sécurité lors des évènements sportifs n’ont cessé d’être repensées et rehaussées. Au point que de plus en plus de caméras en tribunes soient installées avertissant les policiers en civil placés aux côtés des supporters de tous débordements. Le moindre doigt d’honneur est perçu comme une incitation à la haine et est puni d’une lourde amende et d’une interdiction de stade.

Les hooligans ont, dès lors, été forcés de déserter les stades au profit des mouvements ultras. Ainsi, à partir de 1996 et la création des « Ultras Inferno », ce ne sont pas moins de treize groupes qui ont vu le jour. Tout d’abord en Wallonie et à Bruxelles, au début des années 2000, puis en Flandre à partir de 2012. Notons tout de même l’exception des « Drughi Genk », apparus en 2002.

Et l’on remarque dans les stades l’importance même de ces groupes. Chants, « danses », tifos… Le spectacle est désormais aussi bien en tribunes que sur le terrain. Le but ? Galvaniser les joueurs, imposer le respect…

Un stade de foot est fascinant quand il explose de joie, quand il communie, quand il pousse son équipe vers la victoire. Il l’est aussi quand il siffle et paralyse un adversaire, voire influence l’arbitre, qu’il devient ce fameux douzième homme.

« Tifo réalisé par les Drughi Genk lors d’une rencontre face aux Canaris de Saint-Trond »© BELGA

Parfois cela dérape…

… et il arrive que des bagarres éclatent. Des chants peuvent être injurieux. Des tifos peuvent choquer. Rappelez-vous cette bâche déployée par les Ultras Inferno le 25 janvier 2015. Steven Defour, autrefois idolâtré par les Standardmen, est symboliquement « décapité » sur une gigantesque toile. Un tifo imagé, basé sur une scène du film « Vendredi 13 ».

« Tifo réalisé par les Ultras Inferno lors de la réception d’Anderlecht et de Defour »© BELGA

Il est l’un de ceux qui ont créé la polémique. La presse s’indigne, les amalgames se créent. Les ultras sont alors décrits par certains comme des « animaux, des drogués, des débiles profonds, des alcooliques ». Pourtant, ce sont également ceux qui s’émerveillent devant un tifo tout en couleur, « bien imaginé ». Des réalisations issues, pourtant, des mêmes personnes.

Mais si parfois cela dérape, si la folie du moment, le fanatisme peut en amener certains à commettre des gestes dommageables et regrettables, l’atmosphère dans les stades est bien moins violente et électrique que lors de « l’âge d’or » des hooligans.

Hooligans vs ultras

Déjà des points de vue historique et géographique, les deux mouvements sont bien distincts. Le mouvement Ultra, s’il est difficile de le dater très précisément, est apparu en Italie dans les années 1960. C’étaient principalement les jeunes qui en ont été les instigateurs. Le désir de s’émanciper conjugué à ceux de s’amuser, vivre sa passion, se défouler, ou encore voyager, ont tout doucement poussé les supporters à s’unir derrière les goals, là où les places sont les moins chères. Le terme « tifo » est apparu faisant référence aux premières animations visuelles organisées par les jeunes ultras, les « Tifosis ». En 1970, l’Espagne est atteinte du phénomène grandissant. Puis la France au milieu des années 80.

« Un groupe Ultra, est un groupe constitué de fans invétérés faisant partie à part entière de la vie du club de football qu’ils supportent. Ils peuvent lui vouer un amour indéfini, comme une colère redoutable quand le groupe estime que le club ne le respecte pas à sa juste valeur », explique Max, président des Ultras Inferno sur le site Shoot me again.

Cela n’a pas pris aux Pays-Bas, en Angleterre, en Allemagne ou encore en… Belgique. Dans ces pays, c’est la culture hooligan qui dominait. Utiliser la violence pour peser sur le sort d’une rencontre est leur but. Faire des tifos, chanter, n’est pas dans leurs habitudes. Le mouvement a réellement débuté à la fin du 19e siècle tandis que « se taper dessus » était très courant dans les stades de football. Le hooliganisme a connu un frein avec les guerres mondiales avant de renaître en 1960 en Angleterre.

Si ces éléments peuvent déjà aider à distinguer les deux mouvements, leur plus grosse différence réside dans la violence. Un Ultra accepte l’agressivité et n’utilisera, souvent, la force qu’en cas d’extrême « nécessité » (selon lui). Or, la violence est la base même du mouvement hooligan. Un milieu dans lequel l’extrémisme s’est très vite immiscé.

Selon l’oeuvre « Hooliganisme, ultras et ambiguïtés en France » de Nicolas Hourcade, professeur agrégé de sciences sociales à l’Ecole Centrale de Lyon, « les hooligans sont une des figures les plus méprisées du monde occidental ». Ils sont perçus comme des meurtriers, en référence au drame du Heysel, où les « hools » anglais de Liverpool avaient écrasé ceux de la Juventus le 29 mai 1985, faisant 39 morts et 454 blessés. Depuis, les « Casuals » (surnom des hooligans en Angleterre dans les années 80), sont méprisés et qualifiés de barbares, animaux, brutes sanguinaires…

Mais bien au-delà de cette violence caractéristique du mouvement, les hooligans sont accusés, à juste titre, de très souvent défendre une idéologie politique extrémiste de droite. Dès lors, ils sont présents dans beaucoup de manifestations, qu’elles soient sportives ou non. Y imposer leurs idées par la violence peut figurer comme l’un de leurs crédos.

Des pratiques bel et bien opposées à celles des ultras, qui agiront toujours pour le club de football auquel ils vouent une passion sans limite.

« Au contraire des hooligans, les ultras ne possèdent qu’une identité, la leur, qu’ils expriment également durant la semaine en dehors des matchs, explique Gunter A Pilz, sociologue allemand à l’université d’Hanovre. Les ultras décrivent leur existence comme un mélange de tension et de détente. D’une part en tant que « travail » où ils sont concentrés en permanence et où ils doivent tout donner, verbalement comme physiquement ; d’autre part, en tant qu’expérience grisante, où ils oublient tout autour d’eux et se laissent guider par leur passion et leurs sentiments. Ils se considèrent comme des personnes critiques qui disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas et auxquelles personne ne peut interdire de penser et de stigmatiser les abus actuels ».

Si la limite entre les deux mouvements n’est parfois pas claire du point de vue de la violence, participer à des évènements politiques n’est pas du tout un fondement ultras. Dès lors, le rassemblement à la Bourse de dimanche dernier peut clairement être lié au hooliganisme alors qu’il est bien distinct du mouvement ultras.

Ultras et Hooligans : deux mouvements bien distincts
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La preuve en est que les Hooligans venaient de toutes parts, comme nous vous l’écrivions en début de semaine. Tant bien d’Anderlecht, du Standard que de Bruges ou autres… Tous liés derrière une même cause. Il est tout bonnement impensable, sauf dans des cas extrêmes de répression, que des ultras de plusieurs clubs opposés se rassemblent.

Un manque de communication

Les amalgames, le manque de distinction entre les deux courants, l’un bien plus entaché historiquement que l’autre, contribuent à la mise en place d’un phénomène de diabolisation des supporters fanatiques. Un manque de discernement médiatique aux conséquences « désastreuses ». Les ultras, sans cesse évoqués pour leurs débordements, tandis qu’ils sont également instigateurs d’évènements d’aide sociale (« Marche pour le Télévie », « Récolte de vivres »…) bien plus négligés, eux, freinent la compréhension du monde des ultras par les médias et in fine la société.

L’interprétation des différents actes est dénuée de toute recherche de compréhension du monde ultras, de son histoire et des motivations qui s’y rapportent. En conséquence, les ultras acceptent très rarement de s’adresser aux journalistes. Un manque de communication entre les parties, conjuguée à un manque de compréhension réciproque, conduisent à une diabolisation tant bien du phénomène des tribunes par les médias, que des médias dans les tribunes. « C’est le problème quand on décide de ne pas parler à la presse » a expliqué le président des Ultras Inferno dans Moustique. Pourtant, les uns ont besoin des autres. Ainsi, il est nécessaire pour un journaliste de se voir offrir la possibilité de tenter de comprendre un monde à part pour le juger en toute objectivité. Comme il est nécessaire pour les ultras de se voir bénéficier d’une bien meilleure image.

Mais si l’on commençait déjà par distinguer deux mouvements bien différents…

Quentin Droussin

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