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Tokyo 2020 : the games must (not) go on

Il reste 128 jours jusqu’au 24 juillet, début des Jeux Olympiques de Tokyo. Du moins si le tsunami du coronavirus ne les annule pas. Quels sont les risques d’un report ou d’une annulation et quelles sont les conséquences possibles ?

Berlin 1916, Tokyo 1940 et Londres 1944 : en tout, les Jeux Olympiques d’Été ont été annulés à trois reprises. Les Jeux d’Hiver de Sapporo (1940) et de Cortina d’Ampezzo (1944) n’ont pas davantage eu lieu, chaque fois à cause d’une des Deux Guerres mondiales. Le monde livre un nouveau combat planétaire, mais contre un ennemi minuscule, invisible.

Pourtant, le Comité international olympique (CIO), le comité d’organisation japonais (TOCOG) et le gouvernement nippon le martèlent :  » The Games must and WILL go on.  » Des voix dissidentes se sont déjà élevées, mais on les a rapidement fait taire. Le week-end dernier, le premier ministre Shinzo Abe l’a encore répété :  » Les Jeux se dérouleront sans problème et comme prévu.  »

De même, Thomas Bach, le président du CIO, n’a pas eu le moindre doute dans les colonnes des quotidiens De Morgen/Le Soir :  » Nous préparons les Jeux comme un athlète : nous tentons d’éviter tout ce qui pourrait nous distraire de notre objectif. Les si conduisent rarement au succès. Nous n’avons pas de plan B.  »

Cette assurance peut paraître arrogante, comme si les Jeux Olympiques étaient immunisés contre le coronavirus, mais ni Abe, ni Bach ne sont irresponsables ou légers. Car le président du CIO a ajouté :  » Nous étudions différents scénarios.  » Et de fait, l’annulation des Jeux figure parmi eux. Mais tant que c’est évitable, seul le plan A compte.

En tout cas, officiellement, afin de ne pas accroître encore plus les soucis des athlètes, ne pas faire crouler la vente des billets, ne pas apeurer les sponsors, ni les détenteurs des droits TV, mais aussi pour ne pas dégoûter les futures villes candidates à l’organisation des Jeux à l’avenir.

En plus, Bach rappelle que les éditions précédentes étaient également menacées : les Jeux de Rio 2016 par le virus Zika, certes beaucoup moins répandu, et les Jeux de PyeongChang 2018 par les tensions entre les deux Corée. Le danger a pourtant été écarté. Va-t-on en arriver à une annulation définitive, avec toutes les conséquences désastreuses qui s’ensuivraient ? Analyse à partir de cinq questions.

Qui a le dernier mot en cas d’annulation ?

C’est le CIO, et non pas le gouvernement japonais, ni le comité d’organisation. Le contrat host city signé en 2013 comporte une clause, la numéro 66, qui figure au chapitre Termination. Elle stipule que le CIO  » peut retirer les Jeux à une ville organisatrice en cas de guerre, de boycott ou de révolution civile, ou si la sécurité des participants est menacée.  » Il n’y a aucune mention de report, au cas où les Jeux ne pourraient se dérouler en 2020.

Thomas Bach insiste sur le fait que le CIO est en contact quotidien avec l’organisation mondiale de la santé et qu’il suivra les conseils de l’OMS. Il peut difficilement dire le contraire.

Quand la décision doit-elle tomber ?

Il n’est pas possible d’attendre jusqu’en juillet, à une semaine de la cérémonie d’ouverture. Selon les experts, le CIO devra prendre une décision fin mai au plus tard, pour ne pas laisser ses partenaires dans l’incertitude. Tout dépendra donc du contrôle de la pandémie d’ici là. Pas seulement au Japon, où le coronavirus fait nettement moins de victimes que dans le reste du monde, notamment grâce à la discipline des Japonais (839 contaminations et 24 morts lundi matin), mais dans les autres parties du monde. Et pour le moment, il n’est absolument pas certain que l’épidémie sera sous contrôle.

Si elle perdure jusqu’à fin mai, l’OMS conseillera d’annuler les Jeux. Car le regroupement de près de 20.000 athlètes, coaches, collaborateurs et officiels plus leurs multiples de bénévoles et de touristes et le meilleur moyen de ranimer la pandémie. Surtout si, ensuite, ils retournent aux quatre coins du monde.

Le CIO ne peut pas bannir les athlètes issus de pays où le Covid-19 serait encore virulent. Et qu’adviendra-t-il si un athlète est testé positif au coronavirus alors qu’il séjourne au village olympique ? Va-t-on interdire à tous les sportifs habitant le même immeuble de participer aux Jeux ?

En outre, le jeu n’est déjà plus égal, car la préparation de beaucoup d’athlètes est perturbée par l’absence de compétitions ou d’infrastructures d’entraînement. À moins que, différents tournois de qualification ayant été annulés, ils ne soient pas encore assurés de leur participation. Seuls 55% des quotas sont déjà atteints.

Le CIO va adapter les critères et la période de qualification et augmenter de quelques centaines le nombre de sportifs admis, mais la devise olympique Citius, Altius, Fortius (Plus vite, plus haut, plus fort) ne vaudra pas pour tout le monde. Et si les Jeux peuvent se dérouler, auront-ils un sens ?

Des Jeux sans spectateurs constituent-ils une option ?

Oui. L’OMS et les experts médicaux du CIO et d’autres fédérations sportives ont déjà tenu des réunions à ce propos, même si ce n’est pas évident : 4,5 des 7,8 millions de billets, réservés aux Japonais, sont déjà vendus. En plus, la vente totale doit rapporter entre 800 et 900 millions d’euros. Sans la billetterie, le budget de l’organisation sera encore un peu plus déficitaire.

Les contrats de sponsoring et de TV seraient préservés, mais les Jeux Olympiques pourraient-ils encore susciter un quelconque enthousiasme, avec la vue absurde d’une cérémonie d’ouverture et d’un tournoi d’athlétisme dans un stade de 68.000 places vide ? Avec d’autres compétitions qui se dérouleraient dans une atmosphère glaciale ? L’authenticité et l’impact de tout événement sportif dépendent aussi de la chaleur du public.

Si les Jeux doivent se dérouler avec des spectateurs, éventuellement moins nombreux, l’organisation devra prendre des mesures drastiques. Elle devra notamment prévoir des zones où mesurer la température des gens et désinfecter leurs mains. Ce qui pourrait provoquer de longues files d’attente, lesquelles, sans même parler du virus, peuvent poser problème, compte tenu de la canicule qui est prévue.

Les Jeux peuvent-ils être déplacés, géographiquement et temporellement ?

Il est impossible de les faire déménager cette année, par exemple dans une ville qui les a déjà accueillis, comme Londres. Aucune ville n’est capable d’organiser en aussi peu de temps un événement qui nécessite normalement sept ans de préparation, d’autant que tout dépendrait du contrôle de la pandémie.

Un report à l’automne est également irréaliste. Il ne faut pas oublier que les Paralympics, un autre méga-événement de 4.400 participants, doivent se dérouler du 25 août au 6 septembre. Et que faire du village olympique, dont tous les appartements ont déjà été vendus à des particuliers qui devraient en prendre possession à l’issue des Paralympics ? Quid des chambres d’hôtels déjà réservées ?

Des 80.000 volontaires qui ont pris leur vacances pour fin juillet-début août ? Des sponsors qui ont déjà investi des millions dans des campagnes et vendu des lots VIP ? Quid encore du plan de circulation établi pour la ville de Tokyo ? Transposer tout cela en octobre, novembre ou décembre est impossible en aussi peu de temps.

En plus, les Jeux entreraient alors en concurrence avec les grandes compétitions du monde entier, si elles ont repris. C’est d’ailleurs pour cette raison que les Jeux se déroulent en été, même sous les températures quasi inhumaines qui sévissent à Tokyo. La chaîne américaine NBC a versé près de quatre milliards d’euros pour les droits de retransmission de quatre Jeux, d’Été et d’Hiver, de 2014 à 2020, et même sept milliards pour les six prochaines olympiades.

Ça représente environ la moitié de tous les droits de retransmission, lesquels constituent près de 75% du budget total du CIO. La volonté de la NBC fait donc loi : c’est pour ça que les finales des épreuves de natation ont été programmées en matinée, soit en prime time aux États-Unis. Et c’est pour ça que la NBC n’acceptera jamais que les Jeux se déroulent en même temps que le très lucratif championnat de football américain, qui débute en septembre.

Une autre option serait de décaler les Jeux à l’été 2021. Mais cela impliquerait d’énormes remaniements dans le calendrier sportif international. Qu’adviendrait-il du Mondial de natation à… Fukuoka, qui a lieu du 16 juillet au 1er août ? Et du Mondial d’athlétisme à Eugene (USA), qui doit se tenir du 6 au 15 août ?

Il y a plus de dates disponibles en 2022, puisque le Mondial de football organisé par le Qatar ne débute qu’en novembre, mais c’est loin d’être évident. Qu’adviendrait-il des athlètes déjà qualifiés ? Faudrait-il reprendre les qualifications à zéro ?

Qui paiera la note en cas d’annulation définitive ?

Le Japon et Tokyo consacrent officiellement onze milliards à l’organisation des Jeux. Des investisseurs privés y contribuent à raison de cinq milliards, le solde est à la charge des contribuables. Si on compte tous les frais, soit les stades et le transport, la facture s’élève à 23 milliards d’euros. En cas d’annulation, tous les investissements ne disparaissent évidemment pas en fumée, comme le stade olympique, qui a coûté 1,28 milliard, mais sans les Jeux, jamais le Japon n’aurait consenti ces frais.

L’olympiade devait rapporter quelque sept milliards d’euros à l’économie nipponne, qui n’est pas en très bonne santé, mais l’annulation des Jeux aurait un impact encore plus important. Les experts parlent même d’une chute du PNB de 1,4%, soit 65 milliards d’euros, et d’une chute des bénéfices des sociétés de 25%. Pas seulement à cause de la suppression du boost économique immédiat, mais suite aux effets négatifs à long terme.

Le CIO subira moins de pertes. Il s’agit en théorie d’une organisation sans profit, mais c’est en réalité une multinationale qui génère cinq milliards d’euros par cycle olympique. Depuis 1992, toutes les sociétés et les activités commerciales du groupe sont rassemblées dans l’Olympic Foundation. Un des objectifs de celle-ci : éviter tout risque d’annulation d’une olympiade.

Le CIO prend donc des assurances pour chaque événement. Il a payé respectivement douze et treize millions d’euros pour les Jeux de Londres et de Rio. Il aurait versé 18 millions pour Tokyo. Cette assurance annulation doit couvrir les frais d’organisation du CIO, qui se montent à quelque 880 millions d’euros – du moins, si une pandémie est reprise dans le contrat. Le CIO ne devra pas verser d’indemnités de dédommagement à Tokyo : c’est stipulé dans le contrat host city.

Le CIO perdrait des millions mais il peut se le permettre : il a un fonds de réserve de 1,8 milliard d’euros. Même en cas d’annulation, il pourra continuer à verser les subsides annuels de l’Olympic Marketing Program, qui soutient les 206 comités olympiques nationaux et les 28 fédérations sportives internationales. C’est crucial, car la survie de nombreuses fédérations en dépend.

En cas d’annulation définitive, ce sont donc surtout les compagnies d’assurance qui trinqueront. Elles seront aussi confrontées aux demandes de dédommagement des sponsors, des hôtels, de l’organisation locale, des entreprises de presse… La NBC pourra récupérer une grande partie des dollars investis.

En revanche, la chaîne pourra oublier les bénéfices issus de la vente de publicité. Ils lui ont rapporté 225 millions d’euros à Rio et Tokyo devrait être beaucoup plus rentable, car la NBC a récemment annoncé avoir déjà vendu de la publicité pour 1,1 milliard d’euros, un record.

Des milliers d’olympiens sentiraient une annulation dans leur portefeuille. Les judokas, les tireurs à l’arc, les escrimeurs ne gagnent qu’une fraction de ce qu’empochent les millionnaires du basket-ball, du tennis et du football. Si les Jeux, la seule plate-forme qui leur permet d’augmenter leur valeur marchande, sont annulés, leur situation financière va être encore plus pénible. Sans même parler de l’occasion ratée sur le plan sportif. Après quatre ans d’entraînement pour le grand objectif…

Même les Japonais raccrochent

Beaucoup de Japonais étaient déjà sceptiques quant aux Jeux, ne serait-ce qu’à cause de leur coût. Le coronavirus renforce encore leur méfiance. Un sondage en ligne du site sportif Sponichi.co.jp révèle que 57 % des Nippons veulent reporter l’olympiade de Tokyo et que 21 % veulent même annuler l’événement. Ils ne sont que 17% à souhaiter que les Jeux se déroulent comme prévu. 5% des sondés estiment qu’ils doivent se dérouler sans spectateurs.

4,5 des 7,8 millions de billets réservés aux Japonais ont déjà été vendus. Mais les Jeux pourraient se tenir à huis clos.
4,5 des 7,8 millions de billets réservés aux Japonais ont déjà été vendus. Mais les Jeux pourraient se tenir à huis clos.© BELGAIMAGE

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