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Joachim Gérard: « Sur un terrain de sport, il n’y a personne pour me traiter de sale handic »

Il a le plus beau palmarès du tennis masculin belge. Numéro 4 mondial, médaillé olympique, double vainqueur des Masters, victorieux de l’Australian Open, Joachim Gérard a aussi contracté la polio à l’âge de 9 mois. Paralysée, sa jambe droite aurait dû l’empêcher de réaliser ses rêves. Elle l’aura finalement poussé à se dépasser.

À le voir engloutir son plat de pâtes en quatrième vitesse, on croirait voir un homme pressé. Hyperactif, Joachim Gérard l’est sans doute un peu et il y a même fort à parier que c’est ça qui lui permet de franchir les barrières. Celles de son handicap. D’une chaise roulante devenue sa force. D’un fauteuil en forme d’emblème pour ce champion atteint de la polio depuis son plus jeune âge.

Marcher, courir même, Joachim Gérard sait faire, mais c’est en fauteuil qu’il se sent l’âme d’un champion. Lui parle de sport adapté quand il évoque le handisport.  » Parce que ma chaise m’a permis de faire ce sport au même niveau que tout le monde.  » Un peu plus haut même. Rencontre avec un insoumis.

Joachim, tu as toujours été un féru de sport. Tu baignes même dedans depuis que tu es petit. Comme si de rien n’était, ou presque ?

JOACHIM GÉRARD : J’ai eu de la chance que mes parents m’aient éduqué comme un enfant  » normal « . Sans faire de distinction entre mon frère et mes deux soeurs. Pourtant, ce n’était pas gagné. Je n’ai appris à marcher qu’à l’âge de 4 ans, mais mes parents m’ont toujours emmené partout avec eux. Le mercredi après-midi, j’allais au Blocry faire du badminton et du squash, le week-end, on partait dans notre caravane à la mer et je jouais au tennis. À l’époque, je faisais tous ces sports debout. C’est cette volonté de suivre qui m’a permis d’être considéré comme les autres. Évidemment, il y avait parfois une forme de pitié par rapport à mon handicap, mais j’ai aussi su en jouer. On avait une maison en colimaçon et cette maison avait été construite avant ma naissance. Du coup, on a dû s’adapter. Le garage est devenu la salle de bain. Mais la cuisine est toujours restée à l’étage. Ça me permettait quand j’avais soif de demander qu’on m’apporte mon verre d’eau ( rires). C’était ma manière à moi de profiter de mon handicap. Ce qui n’empêche pas que j’aie toujours été très autonome pour les vraies choses du quotidien. J’ai, par exemple, appris très jeune à conduire pour ne plus être un poids pour mes parents.

J’ai eu droit aux moqueries. Ces réflexions ont forgé mon caractère.  » Joachim Gérard

Aujourd’hui, tu te déplaces la plupart du temps en fauteuil. Ce n’était pas le cas plus jeune. Comment la transition s’est-elle opérée ?

GÉRARD : C’est vrai, avant, je me déplaçais tout le temps debout. Jusqu’à mes 17 ans, j’allais à l’école à pied, je faisais du sport debout. C’est quand j’ai été faire mes études en technologies de l’informatique à Louvain-La-Neuve que j’ai commencé à me déplacer en fauteuil roulant. C’était plus par facilité à la base. À un moment donné, le fait d’être en chaise tout le temps, c’est même peut-être devenu de la fainéantise de ma part. Aujourd’hui, c’est un besoin parce que le temps a fait que je ne suis plus capable d’effectuer de longues distances. Le problème, c’est qu’à partir du moment où je n’ai plus utilisé les muscles de mes jambes, ils se sont petit à petit atrophiés.

 » A la longue, j’ai appris à vivre avec le regard des gens  »

Tu as été opéré de la jambe droite à 12 ans. Et c’est là, contre toute attente, qu’intervient le déclic du sport de compétition. Qu’est-ce qui t’a poussé à te tourner vers le tennis ?

GÉRARD : Le truc, c’est que c’est à ce moment-là que je me suis retrouvé pour la première fois de ma vie dans un fauteuil. Ça a duré 6 mois. Ma jambe droite étant paralysée et atteinte de la polio, j’avais 6 centimètres de différence entre mes deux jambes et une grosse scoliose. Du coup, j’ai été opéré pour allonger mon tibia-péroné de 5 centimètres. Du jour au lendemain, j’ai dû arrêter la natation, ce qui m’a fait prendre pas mal de kilos. En pleine puberté, je suis devenu une petite boule avec quelques bourrelets, alors que j’avais toujours été sportif. Du coup, mon père s’est mis en tête de me trouver un sport que je pourrais essayer en fauteuil. Pendant les deux mois de vacances, on a été jouer au tennis avec mon fauteuil d’hôpital et mes 10 kilos en trop, mais malgré ça, j’ai tout de suite pris le pli. Un mois plus tard, à la fin août 2000, je tapais mes vraies premières balles dans un vrai fauteuil de tennis.

Tout de suite te vient l’idée d’un jour en faire de la compétition au plus haut niveau ?

GÉRARD : J’ai toujours rêvé de participer aux Jeux. Pas forcément d’être un grand champion, mais d’y aller. Et j’y avais déjà pensé avec la natation qui était mon premier sport. Le problème, c’est qu’avec mon handicap, on a très vite remarqué que j’étais versé dans une catégorie avec des gars amputés. Sauf que moi, je ne l’étais pas et qu’avec mon leste à la jambe droite, j’étais clairement désavantagé. Un handicap dans le handicap ( rires). Je pense que j’aurais pu avoir les minimas requis pour participer au Championnat du monde ou aux Jeux, mais que même avec beaucoup de travail, je n’aurais jamais pu arriver à ramener une médaille un jour.

Cet esprit de compétiteur acharné, il t’a toujours animé ?

GÉRARD : Ça date de quand je jouais debout. Je ne savais pas courir beaucoup, donc pour combler mes lacunes dans mes déplacements, j’étais obligé de faire la différence sur ma technique. Au badminton, j’ai appris à plier les points en deux coups de volant. Au basket, j’étais devenu un as du tir à distance. Et au foot, j’étais le buteur. Sur un terrain de sport, il n’y avait personne pour me traiter de  » sale handic « . Dans la vie de tous les jours, c’était autre chose. Là, j’ai eu droit aux moqueries. Ces réflexions ont forgé mon caractère. Je me suis construit un mur. J’ai parfois pleuré dans ma chambre, mais avec le temps, j’ai appris à vivre avec le regard des gens. Et le sport a très vite été un refuge.

 » Mon handicap a été le moyen de me dépasser  »

C’est cet écolage-là qui fait la différence aujourd’hui en handisport ?

GÉRARD : Sans doute. C’est comme ça que je suis aussi devenu triple champion de Belgique de parabadminton (2014, 2015, 2016) sans forcer. Parce qu’à cette technique de base que j’ai été obligé de développer pour ne pas être ridicule, j’ai ajouté un physique de mastoc ( sic). Je suis fier de me dire que mon handicap a été le moyen pour moi de me dépasser. Mais s’il doit y avoir un après-tennis, j’aimerais bien que ce soit dans un sport d’équipe. Comme le basket ou le hockey sur glace. Et pourquoi pas, là aussi, à un haut niveau. En fait, mon avantage, c’est que je me débrouille bien dans tous les sports.

Joachim Gérard :
Joachim Gérard :  » À terme, je crois que j’ai un style de jeu qui devrait me permettre d’un jour gagner tous les Grands Chelems. « © koen bauters

Tu dis que le tennis en chaise t’a surtout permis de devenir l’égal des valides. C’est-à-dire ?

GÉRARD : J’aime bien parler de sport adapté. Je dis toujours que ma chaise m’a permis de faire du sport au même niveau qu’un autre. Avec elle, je n’ai plus de handicap, de frein. Excepté le tennis de table où les déplacements sont limités et où j’aurais peut-être pu prétendre à obtenir un bon petit classement chez les valides, j’étais toujours un peu à la traîne dans tous mes sports étant plus jeune. L’adaptation du fauteuil m’a permis de m’entraîner avec des valides. De leur rendre la pareille moyennant quelques adaptations, évidemment. Des choses que je n’aurais pas pu faire debout. Parce que le mec aurait dû baisser son niveau pour moi. En fauteuil, ce n’était plus le cas.

Qu’est-ce que représente pour toi un tournoi comme Roland-Garros ?

GÉRARD : À terme, je crois que j’ai un style de jeu qui devrait me permettre d’un jour gagner tous les Grands Chelems, mais c’est un fait évident que la terre battue, ce n’est pas ma surface de prédilection. C’est peu de le dire puisque je n’ai jamais gagné un match en individuel à Roland. J’ai braqué le double en 2014 pour ma première participation, mais je n’ai jamais vraiment réussi à bien jouer là-bas. Ce n’est pas une surface qui me convient bien. Après, il faut savoir que les Grands Chelems ne sont ouverts qu’au top 7 mondial en plus d’une  » wild card « . Ce qui donne un tableau très restreint, très dur aussi.

 » Il y a des sportifs qui mériteraient plus de médiatisation que moi  »

Ces minis-tableaux, c’est symptomatique des grosses différences de niveau qu’il peut y avoir entre les 8 meilleurs mondiaux et les autres ?

GÉRARD : J’élargirais au top 12, mais c’est un fait qu’il y a de très fortes différences de niveau entre le top mondial et les autres. J’ai joué récemment le 18e, je lui ai mis 6-0, 6-1, c’est dire les écarts. Aux JO, on sera 56 dans le tableau, mais je devrais me promener jusqu’en quarts si tout va bien. C’est comme ça. Il y a des gars, ils sont dans le top 20, mais on sait qu’ils ne pourront jamais nous battre parce qu’ils n’ont pas les armes. C’est pour ça qu’on dit que notre circuit, c’est une petite famille parce qu’on retrouve toujours les mêmes têtes dans le dernier carré. Je parle manga avec Kunieda ( le n°1 mondial, ndlr), je fais la fête avec d’autres, je vais aux mariages de certains. En fait, il doit y avoir 400 joueurs dans le monde, mais nous ne sommes probablement qu’une petite dizaine d’hommes et de femmes à pouvoir en vivre.

Le fait d’être mixé avec les valides lors de certains tournois du calendrier ATP, vous offre une couverture médiatique et un encadrement forcément différents. Cette reconnaissance-là, elle est importante pour vous ?

GÉRARD : Ça change tout ! Quand on est avec les valides, il y a une prise en charge qui est différente, on rentre dans un autre univers. On a une voiture individuelle avec chauffeur, l’hôtel est mieux, on choisit ce qu’on mange. C’est plein de choses comme ça qui nous font prendre conscience du prestige momentané.

Quelles relations entretenez-vous justement avec les valides lors de ces tournois ?

GÉRARD : Moi, je suis arrivé sur le circuit en 2013, mais ça ne fait pas beaucoup plus longtemps que les Grands Chelems et quelques tournois sont mélangés. C’est-à-dire qu’on partage les mêmes vestiaires et que les tournois sont concomitants. Au début, on nous regardait avec des grands yeux. Il y avait une forme de défiance. On sentait qu’ils avaient peut-être peur de nous poser des questions. Certains nous prenaient pour des extra-terrestres. J’ai vu cette transition se faire petit à petit. Maintenant, dans les vestiaires, je les vois regarder nos matchs retransmis à la télévision. Ils nous posent des questions, ils s’intéressent, ils sont même impressionnés par la technicité qu’on a développée. Fabio Fognini est déjà venu me trouver pour me demander tout un tas de choses et Novak Djokovic s’était lui illustré en s’essayant en 2017 au fauteuil en Australie. C’est une belle preuve de respect de la part de ces immenses champions.

Vous n’êtes jamais jaloux de la médiatisation des valides, de l’argent qu’ils gagnent ?

GÉRARD : Non, parce que si on a morflé pour y arriver, eux aussi. Et puis, je me plaindrais presque plus du contraire. Je trouve que j’ai beaucoup de chance de pratiquer un sport assez populaire. Je dis souvent que par rapport à ma carrière et aux résultats que j’ai pu faire, il y a des sportifs qui mériteraient plus de médiatisation que moi. Mais voilà, moi, j’ai eu la chance de faire des gros résultats à des moments importants. De ramener une médaille des Jeux. D’avoir une équipe TV de la RTBF qui m’a suivi à Londres. Je suis à chaque fois pris comme la tête d’affiche du mouvement paralympique. Je suis conscient de la chance que j’ai.

 » Ma finale à Roland-garros en direct à la télévision ?  »

Joachim, tu as 30 ans et déjà trois olympiades dans le rétro. Tu te vois jouer jusque quand ?

JOACHIM GÉRARD : J’ai des rêves extra-sportifs qui consistent à fonder une famille, donc je ne sais pas jusque quel âge je jouerai. Sans doute qu’à l’image de Roger Federer, je ferai aussi un jour des saisons plus courtes où je me focaliserai surtout sur les gros tournois. Mais il faut savoir que chez nous, l’actuel numéro 3 mondial à 49 ans. Ça en dit long. Mais il a aussi des armes différentes des miennes. Moi, je pratique un jeu très physique, j’aime bien faire des points, je ne suis pas sûr de pouvoir jouer avec une telle intensité encore 20 ans.

Le rêve, pour vous, ce serait de voir le circuit se professionnaliser entièrement dans les prochaines années ?

GÉRARD : Je crois que l’ITF ( la Fédération internationale de tennis, ndlr) fait tout pour cela. En six ans, le prize money a, par exemple, quasi triplé pour nous à Paris pour atteindre 45.000 euros pour le vainqueur. La suite logique maintenant, ce serait d’être chaque semaine au contact des valides. D’avoir nos matches retransmis en télé aussi pourquoi pas. Mais chaque année, l’écart s’amenuise. À Rio, ma demi-finale et ma petite finale des Jeux sont passées en direct sur la Trois. On m’a dit que c’était l’une des meilleures audiences du tournoi à cette heure-là. Je crois que ça, c’est un pas de dingue pour le handisport. Qui sait, peut-être que ma finale de Roland-Garros sera retransmise en direct cette année ( rires) ?

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