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« Goffin est un joueur extraordinaire pour sa taille »

John McEnroe, ancien n°1 mondial aussi célèbre pour ses coups de patte que ses coups de gueule, s’est confié en exclusivité à la veille de Wimbledon, où il s’est imposé à trois reprises dans les années 80.

Il fêtera bientôt ses 60 ans, mais il affiche toujours autant d’allant. Ancien n°1 mondial, vainqueur de 7 titres du Grand Chelem, John McEnroe est une sacrée personnalité dans le monde du tennis. De passage à Bruxelles, récemment, où il s’est donné en spectacle avec Kim Clijsters et Henri Leconte, l’Américain nous a accordé une interview exclusive en prélude à Wimbledon, le tournoi qui l’a rendu célèbre pour cette finale de légende perdue 1-6, 7-5, 6-3, 6-7 (16/18) et 8-6 en 1980 contre son rival Björn Borg avant qu’il ne s’impose à trois reprises.

John, vous avez 59 ans passés. Qu’est-ce qui vous pousse encore à taper dans une balle ?

« La joie de jouer. Vous savez, c’est dur de tourner le dos à la compétition lorsque l’on a été un sportif de haut niveau. J’ai la chance que le tennis soit un sport suffisamment sain pour m’avoir permis de continuer à le pratiquer sur l’ATP Champions Tour après ma carrière. Cela fait 25 ans que j’y participe et je suis toujours aussi enthousiaste. Si j’avais fait du football américain, j’aurais été cassé depuis longtemps. »

Vous détestez toujours autant la défaite ?

« On me pose souvent la question et je donne toujours la même réponse. Par le passé, lorsque je m’emportais vis-à-vis de l’arbitre, j’étais mis à l’amende. Aujourd’hui, je suis mis à l’amende si je ne m’emporte pas… (sourire) »

Quels souvenirs gardez-vous de vos passages en Belgique ?

« Je ne suis pas venu très souvent, mais je m’y suis toujours bien plu. J’ai vécu l’une des plus belles semaines de ma carrière en Belgique en 1984 au tournoi ATP de Bruxelles. Je me rappelle y avoir joué de manière incroyable (NdlR : il n’avait pas perdu un set du tournoi et balayé Ivan Lendl 6-1, 6-3 en finale). Vous avez de très beaux monuments et musées en Belgique. Et Knokke-Heist, c’est un peu comme les Hamptons à New York. »

Quel regard portez-vous sur le tennis belge ?

« Quand on évoque le tennis belge, ce sont évidemment les noms de Kim Clijsters et de Justine Henin qui viennent directement en tête. Avoir pu jouer avec Kim à Bruxelles fut un privilège. Elle fut l’une des plus grandes joueuses du circuit. J’aimerais bien m’aligner avec elle en double mixte à Wimbledon. Vous croyez que c’est encore possible (sourire)? À mon avis, on pourrait encore gagner un match. Et ensuite, on abandonnerait (sourire). »

À l’époque de Kim et Justine, le public en Belgique était souvent partagé. Aviez-vous également plus un petit faible pour l’une que pour l’autre ?

« Je ne sais pas si le grand public s’en est rendu compte, mais Kim et Justine furent deux des plus grandes joueuses de l’histoire du tennis féminin. Elles étaient très différentes dans leur jeu et leur personnalité, mais leur rivalité les a rendues encore meilleures. Kim a épaté son monde par son triomphe à l’US Open après avoir donné naissance à une fille (NdlR : en 2009). Elle est même devenue plus forte après sa grossesse. Justine, pour sa part, avait un toucher de balle fabuleux. Elle était un peu la Federer du tennis féminin. Je me demande d’ailleurs toujours pourquoi elle a arrêté prématurément, alors que Serena est toujours là. Elle aurait aussi toujours dû gagner Wimbledon. »

Aujourd’hui, le meilleur joueur belge est David Goffin. Que pensez-vous de lui ?

« Goffin est un joueur extraordinaire pour sa taille. Il a énormément de talent et il est sans doute l’un des joueurs qui possède la frappe de balle la plus pure du circuit. Il lit remarquablement bien le jeu et sait clairement ce qu’il fait sur un court, quelle que soit la surface. Il a beaucoup progressé, notamment au service, et il mérite clairement sa place dans le Top 10 à l’ATP. »

Avec David Goffin
Avec David Goffin© BELGA

Il a atteint la finale des ATP Finals, le Masters, fin de l’année dernière à Londres. Peut-on aussi espérer le voir un jour remporter un tournoi du Grand Chelem ?

« Il ne faut jamais dire jamais, mais ce sera difficile. Goffin est plus intelligent et plus rapide que de nombreux joueurs, mais il manque de puissance. Les géants du circuit, genre Del Potro, Cilic ou Isner, peuvent le balayer du court avec leurs lourdes frappes. Et puis il y a les Nadal et Djokovic qui peuvent le fatiguer et l’écoeurer. Je pense qu’il peut arriver jusqu’en quart de finale, peut-être en demi dans un bon jour, mais avec ses armes, ce n’est pas évident pour lui de passer au-dessus des meilleurs dans les grands rendez-vous. »

Êtes-vous surpris que Federer et Nadal dominent toujours le circuit aujourd’hui ?

« Oui. Je suis surpris. Même s’ils sont à mes yeux les deux meilleurs joueurs de l’histoire. Ce que Roger a réalisé ces dix-huit derniers mois est la chose la plus incroyable que j’ai vue de l’ère Open (NdlR : depuis 1968). Quant à Rafa, je n’imaginerais pas que je verrais un jour un meilleur joueur sur terre battue que Borg. Maintenant, je trouve que les autres devraient davantage se bouger. Ce n’est pas normal que Roger et Rafa aient plus faim de victoires que ceux qui n’ont encore rien gagné. »

Federer sera-t-il à nouveau le favori à Wimbledon, comme Nadal le fut à Roland Garros ?

« Si je devais parier, c’est sur lui que je miserais, oui. C’est difficile de parier contre quelqu’un qui a déjà gagné sept ou huit fois (NdlR : huit) Wimbledon, non ? Maintenant, j’aimerais bien aussi que quelqu’un sorte de l’ombre et montre ce qu’il a dans le ventre. De qui s’agira-t-il ? Je n’en ai aucune idée. Ils peuvent être six ou sept, car il y a toujours une part d’incertitude sur gazon plus que sur terre battue. »

Vous pensez que Djokovic et Murray réussiront à revenir à leur meilleur niveau ?

« En ce qui concerne Murray, ce serait déjà formidable qu’il puisse jouer normalement à Wimbledon suite aux problèmes à la hanche qu’il a rencontrés. J’espère qu’il ne boitera plus à sa sortie du court. Le cas de Novak est différent. Pour moi, c’est comme le facteur X. C’est une question purement mentale. Il est l’un des rares joueurs capables de battre et Federer et Nadal dans le même grand rendez-vous. J’ai vu les premiers signes d’un mieux à Rome, mais il y a encore trop de moments où il est l’ombre de lui-même. Et on déteste voir un joueur aussi bon se profiler de la sorte. »

Une dernière question. Quelle image aimeriez-vous que les gens gardent de vous le jour où vous rangerez définitivement votre raquette ?

« Celle de quelqu’un qui s’est beaucoup investi, qui a pratiqué son sport avec passion, et qui incarnait du coup un peu the good, the bad and the ugly. J’ai aussi amené un certain style de jeu, avec des montées au filet et du toucher. On ne fait plus service-volée aujourd’hui et je le déplore… »

Serge Fayat

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