CALL TV 335 000 euros pour Bruxelles

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’an dernier, quelque 250 000 personnes ont participé à des jeux télévisés payants. Tout bénéfice pour la chaîne et les pouvoirs publics.

Seul dans le studio, l’homme parle sans cesse.  » Que trouve- t-on dans une ferme ? demande-t-il. J’attends vos appels au numéro 09….  » Aussitôt, quinze téléspectateurs se bousculent sur la ligne, espérant passer à l’antenne pour proposer leur réponse. Elle leur coûtera 2 euros en frais de téléphone, pour un gain moyen escompté de 80 euros. Des jeux télévisés payants comme ceux-là, il s’en est diffusé 2 130 l’an dernier sur RTL-TVI et Club RTL, les deux chaînes du seul groupe qui dispose de l’indispensable licence pour en diffuser en Belgique francophone. En Flandre, ils ont totalement déserté les écrans depuis 2011, à la suite d’un reportage diffusé dans l’émission Basta, sur la VRT, attestant que certains des jeux de VTM étaient entachés de pratiques frauduleuses. VTM les avait aussitôt déprogrammés.

En francophonie, si le nombre d’émissions est en légère hausse, le nombre d’appels au numéro surtaxé, lui, est en recul : 1,8 million en 2010, 1,5 en 2011 et 1,3 l’an dernier. En bout de course, un peu moins de 70 000 candidats sont passés à l’antenne en 2012.

C’est peu dire que ces jeux à l’intérêt pédagogique et culturel relatif suscitent des questions. Notamment parce que les appelants forment, pour une bonne partie d’entre eux, un public vulnérable.  » Ce sont le plus souvent des jeunes, des personnes âgées ou en situation précaire, à faible niveau de scolarisation « , souligne Franciska Bangisa dans une étude effectuée pour le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel).

C’est bien pour protéger les joueurs que la loi a prévu une série de garde-fous. L’opérateur de télévision et la Commission des jeux de hasard (CJH) doivent ainsi alerter tout joueur télévisuel assidu qui dépasse 50 euros de dépense par jour pour ce type de jeux, soit 25 appels. L’an dernier, 95 avertissements de ce type ont été envoyés, pour 47 l’année précédente. Il se peut que les destinataires soient les mêmes de mois en mois : les plus accrocs. L’un des spectateurs alertés avait à régler une facture de téléphone de 1 350 euros.

Des règles sont également imposées pendant le déroulé du jeu : les énoncés doivent être clairs, transparents et explicites. Un spectateur moyen doit pouvoir trouver les réponses aux questions, même si, dit la loi, ces dernières n’ont pas, pour autant, à être forcément faciles. Les coordonnées de la CJH, récipiendaire d’éventuelles plaintes, seront visibles en permanence à l’écran, comme le coût de l’appel téléphonique et le nombre d’appelants enregistrés minute par minute. En une heure, trente spectateurs au minimum doivent passer à l’antenne et plus de quinze minutes ne peuvent s’écouler entre deux interceptions d’appels en studio. Les mineurs ne sont pas autorisés à jouer – comment s’en assurer -, etc.

Convaincus que ce qu’on appelle la call-tv est une escroquerie, certains spectateurs, désireux d’éradiquer ces jeux des chaînes francophones, dénoncent ce qu’ils considèrent comme des infractions à la loi : erreurs dans les lettres disponibles pour recomposer des mots, énigmes impossibles à résoudre pour un spectateur moyen, non-respect du nombre d’appelants à accueillir en studio, etc.

Recadrage demandé

La CJH assure que la loi est respectée, même si elle laisse des zones grises. Qu’est-ce que le niveau d’un spectateur moyen, par exemple ? A partir de quand une réponse très improbable est-elle considérée comme inacceptable ? Le nombre de plaintes qui parviennent chaque année à la Commission (52, l’an dernier) ne lui donne pas l’impression qu’il y ait là un scandale à dénoncer. Dans 17 cas, un courrier a été adressé au fournisseur de jeu, ITV Shows, pour lui demander des explications. Dans 4 cas, un contact a été pris avec l’huissier chargé de surveiller la correction du jeu mais aucune copie d’émissions n’a été demandée. L’une ou l’autre plainte a également été adressée au CSA et au SPF Economie.

Les questions et réponses sont effectivement soumises à un huissier, 48 heures avant leur passage sur antenne. Mais ce dernier, choisi par la CJH, est néerlandophone. Son contrôle ne s’exerce en outre qu’a priori.

La Commission a déjà demandé à l’huissier de vérifier avec davantage de rigueur la conduite des jeux.  » Le déroulé des émissions était un peu flou, précise Etienne Marique, le président de la CJH. Et, l’an dernier, on a demandé un recadrage auprès du fournisseur de jeux. Certaines des plaintes reçues étaient fondées, pour imprécisions. En principe, le fournisseur de jeu corrige le tir. Sinon, il y aura des sanctions.  »

Un courrier adressé à ITV Shows vient d’ailleurs de lui être envoyé, contenant des  » observations « . La CJH a trouvé un peu raide qu’une des réponses à la question :  » Que trouve-t-on dans une friterie ? « , soit  » fricadelle spéciale curry « …

En cas de dérapage, le producteur ou l’émetteur de jeux peut se voir infliger un avertissement, une suspension temporaire, des amendes – mais l’arrêté royal qui les prévoit n’est pas encore publié – ou, dans le cas le plus extrême, un retrait de licence.  » Une amende pénale peut être imposée par le parquet mais ce dernier nous a fait savoir que ce type de dossier n’était pas prioritaire pour lui « , soupire Etienne Marique.

Manque de moyens

La CJH, composée d’une quarantaine de salariés, n’est pas davantage en mesure de suivre de près cette compétence qui lui a été attribuée à son corps défendant au début de 2010. La Cour des Comptes ne vient-elle pas d’épingler le manque de moyens de la Commission ?

Personne n’y surveille d’ailleurs les émissions de jeux télévisés payants par monitoring.  » Le gouvernement nous impose des économies. Nous devons fixer nos priorités, martèle Etienne Marique. De toute manière, je n’ai pas de dossier qui me permette de penser qu’il y a, de la part d’ITV Shows, de vice de procédure.  »

Alors que les jeux télévisés payants sont interdits dans des pays proches, ils survivent ici essentiellement parce qu’ils constituent une activité économique rentable.  » Je comprends que l’on n’aime pas ces jeux, mais la loi les autorise, rappelle Maurice Manneback, directeur général de ITV Shows. De toute façon, si on essaie de duper le spectateur, on le perdra, et on perdra ce marché.  »

Sur un chiffre d’affaires de 2,68 millions pour ITV Shows, l’an dernier, 509 000 euros ont été facturés aux opérateurs téléphoniques et à Paratel, l’intermédiaire technique qui gère le flux des appels. Pour RTL, les jeux payants sont un moyen facile de remplir des heures d’antenne plutôt creuses tout en alimentant ses caisses. L’Etat fédéral est également gagnant via la TVA et en tant qu’actionnaire de Belgacom. Et la Région bruxelloise perçoit des taxes, à hauteur de 335 000 euros par an… Si l’on décompte encore le coût de production (1,2 million), les gains redistribués aux spectateurs (226 000 euros) et l’amortissement des 18 000 euros payés par ITV Shows pour obtenir sa licence, il lui reste quelque 400 000 euros net en fin d’exercice.  » Tant que c’est rentable, on continue « , avance Maurice Manneback. Même si le concept souffre de la concurrence du poker, des casinos en ligne, ou des paris sportifs.

Certes, les montants sont faibles par rapport aux sommes en jeu dans les casinos.  » On n’en observe pas moins une certaine hypocrisie de la part du monde politique qui hurle au loup mais ne crache pas sur ces rentrées et ne fait rien pour renforcer les moyens de la CJH, souligne un expert de l’audiovisuel… Il n’y a clairement pas de stratégie politique par rapport à la call-tv. Et le patron de RTL, Philippe Delusinne, est un homme très influent…  »

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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