Venus nous fait rougir

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Red Room est le disque le plus abouti du groupe bruxellois. C’est aussi celui d’une sérénité sans doute nouvelle pour Marc A. Huyghens et les siens

(1) La chanson Everybody Wants to Be Loved reprend le monologue d’ Opening Night du réalisateur américain.

Marc est incroyablement peu arrogant ; c’est quelqu’un de très concentré qui prend le travail au sérieux. Lui et les gens de Venus arrivent au studio à l’heure, comprennent qu’il faut éviter de bosser dans le brouillard de la nuit et ne pratiquent pas l’ego-trip.  » L’auteur de cette déclaration, Head, producteur anglais de Red Room, possède un CV du meilleur cru : collaborations avec PJ Harvey, Massive Attack et Marianne Faithfull. Il ajoute :  » La façon dont ils chantent en anglais est intéressante, l’accent continental amène un autre type de poésie et leur musique possède quelque chose de non quantifiable.  »

A vrai dire, Red Room est comme le Venus d’avant, mais qui aurait dégivré quelques embouteillages sonores pour les consigner au micro-ondes. A la fois cuisine ancienne – riffs de guitare obsédants, batterie torve, violon sinueux – et slow food ébouriffante pleine de parfums improbables : toujours un groupe à tête chercheuse, mais qui concède de l’air à sa musique, l’art du crescendo restant toujours son ami. Les moments les plus beaux de ce troisième album studio sont aussi les plus épanouis : Underwater et son charme polisson ou Northern Cross, maquillé comme une valse. Ce n’est pas pour rien que Marc A. Huyghens, chanteur et auteur-compositeur du groupe, concède si volontiers des sourires en cet après-midi de mars. Pas que le jeune homme au physique de John Cassavettes beatnick (1) soit pisse-vinaigre mais, simplement, il se montre parfois retenu.  » Cette fois-ci, je pense avoir eu davantage de plaisir à écrire, à chanter, même si les thèmes continuent leur itinéraire d’introspection, la solitude étant omniprésente malgré le désir sincère de partager. J’aime bien le mot de Dominique A qui préfère  » donner de manière plus détournée « .  »

Braquage

Marc pense avoir fait des progrès au chant, et il a raison. L’ensemble de la carcasse de Venus s’est aujourd’hui dérouillée, laissant dans son sillage les quelques poses maladroites des premiers temps.  » Cette chambre rouge est celle de mon appartement, mais cela pourrait être une salle d’opéra ou un café, un lieu de couleur chaude qui traduit des sentiments divers. On a voulu retrouver un aspect brut, à l’opposé de toute cérébralité. Certains moments sont même proches du blues.  » Le morceau semble absorber dans ses murs rouges la violence des mondes extérieur et intérieur : Venus invente la chanson-buvard. Marc cite également Mother’s Voice comme exemple de  » moment de panique  » où l’appel à la mère reste, à tout âge, la seule issue de secours. Venus s’est détendu mais ce n’est pas – encore – Disneyland. Heureusement.

Jeune quadra sans réel désir de paternité, Marc est le cadet de quatre rejetons d’une famille de la classe moyenne bruxelloise. Le rock a toujours été son ultime objet de désir. L’éruption de sentiments qu’il cultive désormais dans Venus a connu des issues plus tumultueuses.  » J’avais 21 ans et j’ai participé à un braquage. J’ai passé deux semaines en préventive, dans une cellule avec deux mecs qui avaient fait de plus grosses conneries. J’ai eu du pot, on m’a sorti de là pour que je fasse mon service militaire. J’ai finalement obtenu un non-lieu.  » Marc bosse cinq ans avec son père, acheteur pour les grossistes de produits alimentaires. Cinq années de lever à l’aube avant la migration vers des groupes de  » rock à la belge  » (beaucoup d’enthousiasme, peu de moyens). Suit la création de So qui donne, au milieu des années 1990, un disque sans grand impact, et puis l’aventure Venus embrayée dès 1997. L’album Welcome to the Modern Dance Hall, sorti deux années plus tard, se vend à 20 000 exemplaires, un chiffre plus modeste que les critiques qui sont, elles, très laudatives. Bien que vibrant, le groupe souffre de quelques tics musicaux et du discours pompier du  » responsable visuel « , Patric Carpentier. Celui-ci finit par se fâcher avec Marc (ils se sont récemment réconciliés), quitte Venus, qui resserre les rangs et produit – après un Live orchestral au Cirque royal, à Bruxelles – un second essai studio, Vertigone, paru en 2003. Le disque est plus attachant, plus maîtrisé. La consécration, attendue, ne vient pas, les gros chiffres non plus (25 000 copies vendues néanmoins).  » On n’a pas beaucoup tourné avec le disque, parce que les chansons n’étaient pas suffisamment faites pour la scène. Puis, en 2004, on a quitté notre management, Talent Sorcier (Arno, Patricia Kaas), avec lequel on n’avait ni vision ni langage communs ! Avec un paquet d’autres groupes, on s’est fait jeter de chez Delabel/EMI parce qu’on était en dessous de la barre des 60 000 exemplaires. Via un avocat, on a fini par décrocher un chèque, pas somptueux, mais qui nous a permis de continuer à bosser.  »

Venus autofinance les maquettes d’un troisième disque qui, l’été dernier, intéresse Bang !. Récemment, la signature d’un contrat avec l’excellent label parisien Tôt ou Tard (Vincent Delerm, Thomas Fersen, Dick Annegarn) permet de croire à une réelle chance sur le marché français.  » J’ai le sentiment que tout le monde a envie que cela marche « , concède Marc. Il pense évidemment aux gens des labels, à ses trois comparses de Venus – Christian Schreurs, Pierre Jacqmin et Jean-Marc Butty -, mais aussi à Patrick Dubucq, briscard du business, récemment recruté comme manager. La fièvre court déjà, elle aura deux températures : l’une électrique, l’autre orchestrale. Erwin Vann, jazzman et saxophoniste, chargé d’écrire les arrangements des musiques de Venus pour orchestre, perçoit le quatuor sans préjugés :  » Je ne connaissais ni les musiciens, ni leur musique. Je trouve qu’ils vont vraiment bien ensemble et dégagent quelque chose de très humain, de très juste, de très honnête.  » Venus a fait du chemin et Red Room en est une jolie preuve.

CD chez Bang !. En concert aux Nuits Botanique, le 2 mai en version orchestrale avec le Mons Orchestra et Dionysos au Cirque royal, à Bruxelles, le 3 en version électrique sous chapiteau. Infos sur www.botanique.be

En exclusivité pour les lecteurs du Vif/L’Express : le tout premier concert privé de Venus pour la sortie de son nouvel album The Red Room, le 4 avril à 20 h 30 (places limitées, lire l’annonce page 93).

Philippe Cornet

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