Le casino de Francorchamps

A quoi doit servir l’argent public et à quoi ne peut-il pas servir ? La question est décidément au c£ur du débat dans cette Wallonie bringuebalée entre ardeurs et malheurs. Les ardeurs sont celles du  » plan Marshall  » qui veut investir l’argent des contribuables dans des projets porteurs, bien ciblés, sans saupoudrage ni clientélisme. Les malheurs sont apparus avec le scandale des sociétés de logements sociaux illustrant les pires dérives, celles de l’enrichissement personnel, du gaspillage éhonté et de l’abus de pouvoir. S’y ajoute, aujourd’hui, la gestion du Grand Prix de formule 1 à Francorchamps, pas moins scandaleuse. L’affaire est grave parce qu’elle met à mal le sens même de l’action politique. Elle est révoltante parce qu’on n’y rencontre que mensonges, mauvaise foi et renvois de responsabilités.

Ce climat, il est vrai, ne date pas d’hier. Dès les premières menaces sur son existence, voici trois ans, le Grand Prix de F 1 avait donné lieu à des joutes politiques insensées, sans commune mesure avec la réalité de ses enjeux. Elles avaient valu une cinglante défaite électorale aux écologistes. En face, ceux qui soutenaient que l’économie wallonne dépendait de 3 jours de course en ont tiré tout le bénéfice politique. La suite fut moins glorieuse : déficit des épreuves de 2004 et 2005, obligation pour la Région wallonne d’éponger les dettes, faillite de la société privée organisatrice.

Au pied du mur concernant l’avenir de cette compétition chez nous, le gouvernement wallon y traîne un énorme boulet, forgé par le ministre de l’Economie de l’époque, Serge Kubla (MR), et verrouillé dans une convention signée par d’autres en octobre 2003. Lié à la société de Bernie Ecclestone, fournisseur du spectacle, le gouvernement est tenu, jusqu’en 2010, de lui payer l’achat du Grand Prix, que celui-ci ait lieu on non, soit 108 millions d’euros, dont 81 à débourser encore pour les cinq années à venir.

Au-delà des termes du contrat ( lire en page 23), au-delà même de l’importance éventuelle de la F 1 pour Francorchamps, cette convention choque autant pour la manière dont elle a été négociée que pour l’engagement souscrit. La manière est celle d’un ministre, préoccupé en permanence par son image médiatique, qui voit une occasion rêvée de devenir  » le sauveur du Grand Prix  » et qui ne rend de comptes clairs à personne sur ses discussions avec Ecclestone. Mieux : il ne cesse de répéter que l’opération est sans risque et qu’  » il n’est en rien question d’aller chercher l’argent dans la poche du contribuable  » ( L’Echo du 26 août 2003). La manière est aussi celle des responsables du circuit – le socialiste Jean-Marie Happart et le libéral Yves Bacquelaine – qui signent la convention et engagent la garantie de la Région wallonne avec une incroyable désinvolture. Sans débat politique préalable, sans décision formelle du gouvernement wallon, sans examen sérieux des clauses et de leurs conséquences ! Comme si cela ne suffisait pas pour alimenter la consternation, Jean-Marie Happart ajoutait, ces derniers jours, cet argument surréaliste :  » On ne pensait pas que la garantie devrait servir un jour.  » Ainsi, le sénateur Happart est prêt à prendre n’importe quel engagement, si coûteux soit-il, dès l’instant où il croit ne pas devoir l’honorer… Ce n’est pas rassurant.

Retour à la question de fond : quel individu ou quel cénacle a pris la responsabilité politique de miser, comme au casino, l’équivalent du dixième du  » plan Marshall  » pour satisfaire les exigences de Bernie Ecclestone ? Le sentiment de puissance ou la perte du sens des priorités, voire du sens commun, doit avoir atteint des proportions inouïes pour en arriver là. C’est cela qui inquiète et indigne, et non pas le principe de dépenses publiques, festives ou sportives, qui ont leurs raisons d’être.

Moins directement mêlés au dossier, d’autres mandataires politiques y ont leur part de responsabilité. Le ministre-président Jean-Claude Van Cauwenberghe n’avait-il pas le devoir de contrôler le suivi des négociations ? Et qui dit vrai entre ceux – Ecolo inclus – qui  » ignoraient tout  » de la convention et le ministre Marcourt qui prétend que  » la Région wallonne savait  » ?

Parce que la vérité est due à l’électeur et que la crédibilité du monde politique est lourdement engagée, la lumière doit être faite sur tout ceci. Les contrats doivent être rendus publics. Des règles de contrôle démocratique sur les dépenses publiques doivent être rappelées ou réécrites si nécessaire. Plusieurs voix, dans la presse quotidienne, ont demandé une commission d’enquête parlementaire. Ce serait, en effet, une décision opportune et nécessaire.

de Jean-François Dumont

Il y a trop de mensonges, de mauvaise foi et de renvois de responsabilités politiques dans le dossier du Grand Prix de formule 1. La Région wallonne doit des comptes aux contribuables

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