La mélancolie des réfugiés

Un  » beau livre  » fait le pari de la lenteur, de la précision et de l’empathie pour décrire le destin doux-amer de cinq réfugiés

Au mauvais moment, au mauvais endroit, texte de Bart Demyttenaere, photos de Nick Hannes et Dieter Telemans, Roularta Books.

C’est un ouvrage, de la catégorie  » beaux livres « , sur un sujet pourtant très banal : les demandeurs d’asile politique. Depuis l’explosion des demandes dans les années 1990, on a pris l’habitude de voir ceux-ci sous la forme de colonnes de chiffres : acceptés, déboutés, refoulés, clandestins, en recours devant le Conseil d’Etat, etc. Rarement à leur place, en somme, flottants, anonymes, comme le montrait déjà la remarquable exposition Un voyage pas comme les autres, que le Ciré (Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et étrangers) avait mise sur pied en 1996, à l’initiative de Mario Gotto. Dans Au mauvais moment, au mauvais endroit, qui se prolonge également en exposition itinérante, il est donc question de  » réfugiés « . Pour les Belges qui ont connu, dans la réalité ou par ouï-dire, les deux guerres mondiales, ce mot évoque des épopées familiales douces-amères. Avec lesquelles l’auteur du texte, Bart Demyttenaere, a fait immédiatement le rapprochement. Ses deux grand-mères ont vécu les années de la guerre 1914-1918 en France et en Grande- Bretagne, loin de leur Flandre occidentale et de leur Anvers natales. Leurs voix recréées d’enfants font écho à cinq longs récits de réfugiés contemporains en Belgique : un Libérien, un Afghan, une ex-Yougoslave, un Moldave et une Nigériane. Demyttenaere a pris le parti, justifié, de la lenteur.

Après les événements dramatiques qui les ont contraints à l’exil, leur arrivée mouvementée û et parfois non calculée û en Belgique, ces réfugiés font soudain l’expérience d’un temps élastique. Attendant interminablement une décision administrative, ils se balancent dans un entre-deux grisâtre. Leur survie immédiate assurée, certains se laissent enfin envahir par la douleur de la mort violente de leurs proches, comme le Libérien Solomana. Le jeune Irinel Gurau, lui, ne se débarrasse pas de sa blessure d’enfant abandonné à la naissance, qu’il travaille dur en Moldavie, en Roumanie, en Turquie ou s’ennuie à périr dans un centre pour mineurs étrangers non accompagnés de Lier, en Flandre. Cette palette mélancolique de destins brisés ou renforcés par l’épreuve est complétée par deux séries de photos.

Marie-Cécile Royen

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