Ces militaires aux commandes

Acteurs de la transition ou possibles prétendants à la succession ? Difficile de dire si, parmi les gradés chargés de l’après-Moubarak, peut émerger une nouvelle figure.

DE NOTRE CORRESPONDANT

Il y avait le jeu du gentil flic et du méchant flic. L’Egypte s’offre une variante avec celui du brave militaire et de l’implacable gradé. Dans le rôle de ce dernier, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, 75 ans, un personnage austère, réputé conservateur. Ministre de la Défense de Hosni Moubarak pendant près de vingt ans, il dirige le Conseil suprême des forces armées (CSFA), conclave de généraux qui préside aux destinées du pays depuis la chute du raïs. Il n’a guère le profil du leader d’une transition démocratique de velours, dont il est pourtant de facto le garant.

Dans le costume du gentil, le Premier ministre, Ahmed Chafik, 69 ans, chargé de rassurer les Egyptiens en restaurant la sécurité et en relançant l’économie. Il a donné, le 13 février, sa première conférence de presse de l’après-Moubarak en chemise bleu ciel et col ouvert. Ancien commandant en chef de l’armée de l’air, favori des investisseurs internationaux depuis la privatisation réussie de la compagnie EgyptAir, il pourrait se voir pousser des ailes à l’approche de la présidentielle.

Les deux hauts gradés partagent un même objectif : perpétuer le statut des généraux dans l’Egypte de demain. Enième pas de deux d’une chorégraphie bien rodée entre Al-Geish, cette armée aussi crainte que respectée, et une population qui peine à s’affranchir du complexe du pharaon. En 1952, lorsque de jeunes officiers se sentent assez libres pour renverser la monarchie, ils prennent soin d’associer le peuple à leur  » révolution « . Cette fois, quand la légion des accros de Facebook trouve la force de chasser un autocrate agrippé à son fauteuil depuis trente ans, elle n’a de cesse de solliciter le secours de l’armée.

Si le  » coup  » des nassériens a légué à l’Egypte quatre présidents galonnés, le soulèvement de la rue accouchera-t-il d’une vraie démocratie ? Tout dépend des calculs des nouveaux maîtres du pays et des atouts cachés dans les manches de leurs uniformes.

CSFA. Initiales énigmatiques pour un conseil qui ne l’est pas moins. A l’heure où la vingtaine de hauts gradés apparaît, le 10 février, à la télévision, les initiés eux-mêmes écarquillent les yeux.  » On n’en connaît pas la moitié « , commente, effaré, un attaché militaire étranger. On identifie au moins le chef de cette coterie. Mohamed Hussein Tantaoui est depuis 1991 l’inamovible ministre de la Défense. On ne lui a jamais prêté la moindre ambition politique. Sa longévité, grincent ses détracteurs, il la doit à son peu d’aura auprès de la population, voire d’influence au sein de l’armée.

Si les experts n’ont jamais tenu Tantaoui pour un prétendant à la succession, il n’en est pas moins attaché à préserver la primauté de l’armée dans le système. Selon l’institut américain Stratfor, le maréchal avait informé Hosni Moubarak de l’hostilité des militaires au scénario longtemps envisagé d’une transmission du pouvoir à son fils Gamal.

Le ministre de la Défense trahi par WikiLeaks

Les Etats-Unis, qui ont fourni l’équivalent de 30 milliards d’euros d’aide militaire à l’Egypte depuis la signature du traité de paix avec Israël, ne tiennent pas Tantaoui en haute estime, si l’on se fie à un télégramme révélé par WikiLeaks. Fin 2008, l’ambassadrice américaine au Caire le décrivait comme  » l’obstacle n°1 à la transformation des missions de l’armée « , dictée par les nouvelles menaces, à commencer par le terrorisme international.

N° 2 supposé du CSFA, le général Sami Annan, chef d’état-major des armées, pourrait, dans un corps aussi nationaliste, pâtir du travers inverse : lui était dans le bureau de son homologue américain, le 28 janvier, quand les chars sont descendus en ville. Rentré précipitamment au Caire, il a été accueilli en héros par les manifestants. Annan a adopté depuis un profil bas, même si on lui prête la paternité du communiqué dans lequel l’armée s’engageait à  » ne jamais tirer sur la foule « .

L’influence réelle des autres généraux du CSFA, voire des jeunes officiers, dont plusieurs ont pactisé d’emblée avec les révolutionnaires, reste délicate à mesurer. Tout comme le rôle dévolu à l’éphémère vice-président Omar Souleimane, coupable aux yeux de certains d’avoir troqué l’uniforme kaki contre le costume trois-pièces de maître-espion.

A l’inverse, le Premier ministre, Ahmed Chafik, peut prétendre incarner la synthèse, en dépit de la  » confiance absolue  » que lui accordait Moubarak. Propulsé en 2002 à la tête d’un ministère de l’Aviation civile taillé sur mesure, il est l’un des rares membres du cabinet sortant épargné par les rumeurs et les scandales politico-financiers. Héros de guerre pour les siens – il aurait abattu deux avions de chasse israéliens lors du conflit de 1973 -, il a réussi sa reconversion, notamment aux yeux de la Banque mondiale, qui a financé la modernisation des aéroports majeurs du pays.

Formé en Union soviétique, ce francophone affable a aussi volé sur Mirage 2000 et dirigé la patrouille acrobatique de l’armée de l’air. Acrobatique, comme le fut son baptême du feu ministériel, après le crash d’un Boeing de la compagnie charter égyptienne Flash Airlines, en janvier 2004, à Charm el-Cheikh (148 morts). Il s’est montré étonnamment accessible, décrochant son téléphone pour répondre aux questions des journalistes. Sera-t-il un simple acteur de la transition ou son principal bénéficiaire ? » Je mise tous mes jetons sur lui pour l’avenir « , glisse un diplomate occidental.

TANGI SALAÜN

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