L’honneur du juge Langlois

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La cour d’assises d’Arlon a prononcé, dans l’affaire Dutroux, les condamnations que l’on sait. La plupart des victimes qui ont assisté et participé aux débats ont dit leur relatif apaisement : si le mal qui leur a été fait est irréparable, au moins une part de justice leur a-t-elle été rendue. Les coupables ont été identifiés et punis. Il est important que les victimes aient exprimé du soulagement : l’effet cathartique du procès, c’est-à-dire le sentiment de délivrance, a été atteint. Et ce qui est bon pour les victimes doit l’être a fortiori pour chacun de nous.

A-t-on assez relevé à quel point le verdict de la cour d’assises rend aussi justice au juge d’instruction Langlois ? Il corrobore en effet deux points primordiaux d’une instruction menée pendant huit ans. D’une part, la croyance en l’existence de réseaux de pédophilie, qui auraient donné des ordres de mission à un Dutroux manipulé comme un pion, est sans fondement : les réseaux paraissent aussi introuvables que les armes de destruction massive en Irak. D’autre part, Nihoul ne peut être considéré comme coupable des crimes perpétrés sur les enfants.

Tous ceux qui ont mené bataille pour accréditer l’idée du réseau occulte et celle de la culpabilité de Nihoul se sont donc trompés. L’erreur est humaine, de même que la superstition. Ce qui n’est pas admissible, c’est d’avoir, dans le but de faire triompher ce qui s’avère avoir été une erreur, attenté à l’honneur d’un juge qui disait ce qui a été finalement reconnu, au terme d’une procédure exceptionnellement méticuleuse et rigoureusement contradictoire, comme vérité dans un système judiciaire en démocratie.

Jamais sans doute, dans ce pays, un magistrat n’aura été, durant huit années, autant vilipendé, injurié, livré en pâture à l’opinion publique et maudit. Cela fut d’autant plus facile, donc d’autant moins glorieux, que son statut de magistrat instructeur lui interdisait de répondre. La solitude du juge d’instruction est pire que celle du coureur de fond.

On peut comprendre que des victimes, de bonne foi, convaincues par les propos obsessionnels de certains enquêteurs, taraudées par leur besoin de connaître une vérité que de faux oracles leur avaient souvent annoncée comme volontairement occultée  » au plus haut niveau de l’Etat « , déçues de n’avoir pu faire prévaloir leurs convictions et leur vision personnelle de l’enquête, contestent, même avec véhémence, le travail d’un juge.

Mais que des professionnels du droit et de la justice, que des avocats, les premiers gardiens de la justice démocratique, que des journalistes d’investigation s’improvisant journalistes d’instruction au gré des ventes, que des politiques dont la mission devrait consister, en surplomb, à analyser, prévenir, dénoncer les dérives démagogiques, mettent en cause la probité du juge, au seul motif qu’après huit années de travail silencieux, obstiné et contradictoire, celui-ci ne partage pas leur point de vue, est indigne.

L’avocat ou le journaliste ont, certes, le droit de critiquer, loyalement, une instruction. Ils ont certes le droit de plaider une thèse, fût-elle absurde ; le juge d’instruction, lui, n’a pas ce droit : il doit être simplement et humblement impartial. L’avocat ou le journaliste qui, comme on l’a vu à Arlon, reprochent au juge d’instruction de défendre  » une thèse  » l’accusent en réalité de trahir les devoirs de sa charge, autrement dit d’une forme de forfaiture.

Les avocats et les journalistes ont à contrôler que le juge d’instruction instruit à charge et à décharge. Ils n’ont pas, comme certains l’ont fait à Arlon, au mépris d’explications prodiguées pendant six jours d’audience, à mettre en cause la probité intellectuelle d’un homme qui a fait son métier, construit son dossier avec, face au harcèlement des médias, une réserve exemplaire et, à l’égard des obsessions de certains, une transparence totale dans les limites fixées par la loi, c’est-à-dire une transparence légale.

Lorsque des propos diffamatoires sont proférés, comme ceux qui le furent en l’espèce, à l’encontre d’un magistrat devant les caméras de télévision, non seulement on salit l’honneur d’un homme, mais on trompe l’opinion publique sur la manière dont fonctionne une justice démocratique et on fait le jeu de ces mouvements délétères qui ne vivent que de la méfiance à l’égard des institutions en général et de la justice en particulier.

La cour d’assises d’Arlon a donné tort à ceux qui ont jeté l’opprobre sur le juge. Se déshonoreraient-ils en reconnaissant leur erreur ?

Jamais sans doute, dans ce pays, un magistrat n’aura été, durant huit années, autant vilipendé, injurié, livré en pâture à l’opinion publique et maudit

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