Divin Poussin

Nicolas Poussin serait-il un peintre chrétien ? Longtemps refoulée, cette idée ressurgit à l’occasion d’une superbe exposition du Louvre, à Paris. Elle réunit 63 peintures, 34 dessins et 2 estampes imprégnés par les thèmes religieux… et lève le tabou.

Les peintures de Nicolas Poussin (1594-1665) sont parfaites. Le dessin est d’un idéalisme rarement dépassé, le coloris dominé et la composition harmonisée autour d’un décor à l’antique. Tout y est apaisé. Calme. Trop sans doute pour stimuler l’émotion comme chez Rubens, Velasquez ou encore Rembrandt, ses contemporains. A la différence de ces derniers, l’artiste français installé à Rome n’avait aucun assistant, n’aura aucun élève. Il peignait seul et menait une vie austère, méprisant l’étalage des richesses et le pouvoir. L’autoportrait de 1650 par lequel débute l’exposition du Louvre renvoie l’image d’un homme sage auquel le XVIIIe siècle donnera, et pour longtemps, le statut de peintre philosophe.

Mais en réalité, les oeuvres de Poussin, illustrant avec excellence la notion de classicisme, souffrent d’avoir été les ambassadrices de la grandeur de l’esprit français, son intelligence rationnelle et sa profondeur. Alors qu’il vit et travaille à Rome, loin de sa patrie, il est en effet reconnu de son vivant comme le  » Raphaël de la France « . Du coup, dès 1660, Louis XIV achète un grand nombre de ses toiles aujourd’hui réunies au musée du Louvre qui possède, avec 40 peintures, la collection le plus riche au monde. Pourtant, il y a bien une ombre, voire une menace. Poussin, représentant de l’idéal laïque hérité de l’Antiquité, était-il aussi un peintre profondément chrétien ? Le sujet est tabou. L’exposition lui est totalement consacrée.

Un art  » récupéré  »

Vingt ans après la mort du peintre qu’il avait côtoyé à Rome, André Félibien, dont l’influence sur ce que doit être l’art et son enseignement sera immense, écrit une biographie de Nicolas Poussin dans laquelle toute évocation de son oeuvre religieuse est gommée. Pourtant, il le sait, un retable du maître se trouve dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, une autre dans la chapelle royale de Saint-Germain-en Laye et une autre encore dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Cette  » omission  » se confirme au XVIIIe siècle qui gratifie l’artiste du titre de  » peintre-philosophe  » alors que les révolutionnaires de 1789 le célèbrent  » citoyen débarrassé des oripeaux de la religion « .

Pourtant, des voix (comme celle de Chateaubriand d’abord, de Louis Poillon, à la fin du XIXe siècle) évoquent l’importance de la dimension chrétienne dans l’art de Poussin. Elles ne convaincront pas le XXe siècle qui opte pour l’athéisme généralisé des arts et, a fortiori, de celui du plus romain des peintres français qui demeure un exemple jusque dans l’art conceptuel. Poussin croyant ? Allons donc ! Certains historiens l’associent même aux milieux libertins. Anthony Blunt, l’un des plus grands spécialistes de l’artiste, se rallie d’abord à cette thèse puis se ravise. En 1994, à l’occasion d’une exposition organisée au Grand Palais, à Paris, Jacques Thuillier, autre biographe du peintre, s’interroge :  » Nicolas Poussin est-il un libre-penseur affranchi des dogmes ou un lecteur pieux de saint Augustin ?  »

Depuis, les recherches, jusqu’ici assez pauvres en ce qui concerne les compositions traitant de thèmes religieux, sont relancées et les thèses universitaires se multiplient. L’exposition du Louvre, organisée de manière à la fois thématique et chronologique, permet, pour la première fois, d’aborder peut-être l’opus de Poussin sous l’angle d’une esthétique qui, au-delà de la délectation distanciée et intellectuelle de la beauté pure, déborderait vers ce que le philosophe Louis Marin appelait, dans une étude sur Poussin, sa qualité sublime. En tout cas, l’exposition met en évidence combien la dimension de cet art tient dans sa capacité à réunir plutôt qu’à opposer l’Antiquité et la chrétienté dans un même élan de conquête spirituelle.

La nature, miroir du monde

L’émotion est bien présente mais contrôlée dans les grands formats réunis dès la première section. D’emblée, le peintre évite les thèmes de l’extase mystique et du ravissement qui sont encouragés par la Contre-Réforme. L’Assomption, Le miracle de saint François-Xavier ou encore La mort de la Vierge montrent comment Poussin suggère la dimension divine sans tomber dans l’effusion. Le peintre, plutôt que de raconter, propose une abstraction intemporelle dont les accords sont plus proches de l’univers musical que de la démonstration. Il en va de même dans les trois variations autour du thème de la Sainte Famille.

Une des grandes figures mythiques vers laquelle revient Poussin est le personnage de Moïse. En réalité, à travers lui (Moïse exposé sur les eaux est un chef-d’oeuvre), puis dans la partie suivante du parcours, c’est toute une lignée de sages que le peintre honore depuis Hermès Trismégiste (défenseur d’une sagesse ancienne conciliant paganisme et christianisme) jusqu’au Christ lui-même, objet de l’avant-dernière section. Jésus dont Poussin explore la dimension divine à partir de l’Evangile de Jean, est bien omniprésent mais souvent, secrètement, comme dans les Aveugles de Jéricho. Enfin, durant les quinze dernières années de sa vie, ses méditations le mènent à peindre des paysages dans lesquels la nature, écrin des actions humaines, est aussi le miroir du monde. Dans cette ultime partie, véritable moment d’apothéose, on retiendra le Paysage avec trois moines, le fameux Paysage de tempête avec Pyrame et Thisbé et enfin Les quatre saisons, son testament.

Poussin et dieu, au musée du Louvre, à Paris. Jusqu’au 29 juin prochain. www.louvre.fr

Par Guy Gilsoul

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