Nourrir le monde

Depuis l’Antiquité, la plupart des révolutions commencent par une révolte contre la hausse du prix du pain ou d’une autre céréale nécessaire. Aujourd’hui, la même menace se profile : depuis un an, l’indice de la Food and Agriculture Organization (FAO) mesurant le prix des produits alimentaires de base a augmenté de 36 %. Ces denrées sont inaccessibles à un très grand nombre de gens : près de 1 milliard de personnes souffrent de la faim. Les causes en sont connues : la hausse de la demande, en raison de la croissance démographique et de l’augmentation de la consommation de viande, en particulier par la population urbaine ; la flambée du coût du transport maritime, qui représente plus du tiers du prix des céréales ; la rareté de l’offre, en raison de l’évolution du climat : déjà, l’Ukraine ou l’Australie produisent moins que jamais, et la production mondiale de riz plafonne. Partout, on voit des manifestations contre ces hausses : au Mexique pour la galette, en Italie pour les pâtes, au Maroc, au Sénégal, au Yémen, en Ouzbékistanà

Cela pourrait entraîner des mutations géopolitiques profondes : migrations massives vers les villes, mouvements de paysans, collectivisations du sol, protectionnisme. En effet, les pays en déficit font tout pour importer (l’Europe achète 15 millions de tonnes de céréales) pendant que les pays en excédent (l’Argentine, l’Ukraine, la Russie, la Chine) font tout pour garder leurs productions. Et les négociations de l’Organisation mondiale du commerce, fondées sur une libéralisation des échanges, ne peuvent qu’échouer sur le terrain agricole. Cela ne fait que commencer : d’ici à 2060, en Afrique subsaharienne, 100 millions d’hectares de plus pourraient être touchés par la sécheresse : de même au Brésil, dont on attendait beaucoup. Le sud de l’Afrique pourrait voir sa production de maïs se réduire de plus de 30 % d’ici à 2030 ; l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est perdraient au moins 10 % de leurs principales cultures vivrières. Selon l’ONU, 600 millions de personnes supplémentaires souffriront de malnutrition dans les prochaines décennies.

Il est urgent de repenser l’agriculture, de financer des infrastructures rurales et surtout d’améliorer l’éducation des paysans, à l’impact considérable sur l’efficacité agricole, mais sans doute désastreux pour la domination des puissantsà

j@attali.com

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