Facebook, l’inestimable valeur de l’amitié

C’est l’entrée en Bourse la plus attendue de l’année. De la décennie, même. Les premières actions Facebook mises sur le marché pourraient s’échanger dans trois mois, vu la demande d’introduction faite la semaine dernière par le réseau social fondé il y a huit ans par Mark Zuckerberg. Facebook, c’est une véritable bête de combat : 845 millions d’utilisateurs, soit le troisième plus grand  » pays  » du monde, après la Chine et l’Inde ; 483 millions de connexions quotidiennes ; 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+ 88 % de croissance en 2011 par rapport à 2010) et 761,5 millions d’euros de bénéfice net l’an dernier. L’entrée en Bourse de Facebook, attendue au printemps, implique donc de nouvelles opportunités pour le bébé de Zuckerberg. Mais des risques aussi. Voici les unes et voilà les autres.

LES OPPORTUNITÉS

Compte tenu de sa croissance faramineuse, la valeur de Facebook est estimée aujourd’hui entre 57 et 76 milliards d’euros. La négociation privée de ses titres sur les marchés secondaires permet de valoriser l’entreprise à plus de 60 milliards d’euros, soit plus de 20 fois son chiffre d’affaires, et plus de 80 fois son résultat net de l’an dernier. Des chiffres à vous donner le tournis.

Une telle valorisation paraît justifiée compte tenu de deux tendances technologiques majeures dont tout indique qu’elles devraient perdurer. La première est la prolifération rapide de la connectivité à Internet, qui rend Facebook accessible à un nombre sans cesse croissant d’utilisateurs. Ainsi, le Boston Consulting Group a calculé que d’ici à 2016, quelque trois milliards de personnes auront accès à Internet, contre 1,6 milliard en 2010. La seconde est le succès de la téléphonie mobile. Plus de 425 millions de personnes accèdent d’ores et déjà à Facebook depuis leur smartphone et, dans l’avenir, la plus grande partie de la croissance du réseau social proviendra de l’Internet mobile. Ces deux tendances combinées pourraient propulser le nombre d’utilisateurs du site à plus d’un milliard.

1.La pub. Si le réseau parvient à forcer la porte de la Chine, son attrait pour les annonceurs s’en trouvera démultiplié. L’an dernier, le réseau social a doublé allègrement Yahoo !, jusque-là le n° 1 du marché américain de la publicité en ligne. Quelque 85 % de son chiffre d’affaires proviennent de la publicité, et tout semble indiquer que le potentiel de ce marché est loin d’être épuisé.

Facebook pourrait ainsi augmenter encore ses revenus en créant un réseau publicitaire qui puisse profiter de sa pénétration déjà tentaculaire dans l’ensemble de la Toile. Des millions de sites Web offrent une intégration avec Facebook au travers d’une série de logiciels développés par la société, y compris les  » plug-in sociaux  » qui permettent aux utilisateurs de partager avec leurs amis Facebook leurs activités et intérêts ailleurs sur le Web (une chanson qu’ils écoutent, par exemple, ou un article qu’ils ont lu). Ces logiciels ont créé un trafic important vers d’autres sites et devraient permettre à Facebook d’offrir à ces derniers de les aider à vendre de la publicité contre une commission sur les revenus ainsi dégagés. Certains analystes estiment que cette approche pourrait générer un chiffre d’affaires aussi important que celui enregistré par le site Facebook lui-même.

La probabilité est grande que l’entreprise s’attaque au marché des recherches en ligne qui, à en croire l’Interactive Advertising Bureau, représente près de la moitié des revenus publicitaires en ligne aux Etats-Unis. Comme les utilisateurs sont de plus en plus nombreux à visiter Facebook depuis leur smartphone, l’entreprise pourra aussi vendre de l’espace publicitaire sur ces appareils. La difficulté sera de trouver des formats qui ne se révèlent pas trop intrusifs sur un petit écran. Facebook pourrait finir par recourir à des  » sponsored stories  » qui permettent par exemple à une société d’édition de musique de payer pour qu’un lien vers son site Web soit intégré dans des pages évoquant ses artistes.

2.Les biens virtuels. Autre segment prometteur, le tout nouveau service de paiements en ligne basé sur les Facebook Credits, une monnaie virtuelle. Le réseau social insiste auprès des développeurs de jeux pour qu’ils recourent à ces Credits dans leurs applications tournant sous Facebook, prélevant au passage 30 % sur toutes les transactions de biens numériques et virtuels. Jusqu’à présent, la plus grande partie de ces revenus, et 12 % des revenus totaux de Facebook, est à mettre à l’actif d’une seule société, Zynga, un développeur de jeux sociaux qui a organisé son entrée en Bourse en décembre dernier. Mark Zuckerberg espère que d’autres acteurs du marché recourront à la plate-forme de Facebook pour ébranler des secteurs divers, allant des voyages aux soins de santé, de la même manière que Zynga a secoué le monde des jeux électroniques. Une telle évolution permettrait à Facebook de gagner encore plus d’argent. Les paiements et autres commissions lui ont rapporté, l’an dernier, 424 millions d’euros contre 80,7 millions d’euros en 2010.

3.Le paiement en ligne. Le potentiel peut être bien plus grand encore si Facebook arrive à faire de ses Credits un moyen de paiement accepté ailleurs sur Internet, voire dans le monde réel. Le réseau pourrait tenter de conclure des accords permettant le recours à sa monnaie sur d’autres sites qui sont déjà intégrés avec Facebook. Il pourrait même tenter de concurrencer les grands noms du secteur des paiements en ligne tels que PayPal, un instrument d’eBay dont, l’an dernier, le chiffre d’affaires a atteint 3,3 milliards d’euros.

La monnaie de Facebook pourrait s’avérer utile également si l’entreprise s’engage sérieusement dans le marché du commerce social, soit le commerce de biens et services via les sites de socialisation : certains observateurs estiment que l’influence des amis sur les habitudes d’achat des utilisateurs donne à penser que l’impact de cette forme de commerce peut être énorme. Booz & Company, une entreprise de consultance, a estimé que la valeur des biens vendus via les médias sociaux évoluera ainsi de 3,8 milliards d’euros en 2011 à 22,8 milliards d’euros en 2015 !

LES RISQUES

La mutation d’une start-up marginale en un géant bien établi ne sera pas facile. Et le développement de l’entreprise comporte des risques.

1.La vie privée. Les inquiétudes que suscitent les questions de respect de la vie privée peuvent donner lieu, dans le monde, à toute une série de dispositions légales qui empêchent l’entreprise d’exploiter comme elle l’entend les masses d’informations qu’elle collecte. Un tel développement compromettrait sérieusement l’efficacité de sa machine publicitaire, véritable poule aux £ufs d’or ( lire aussi en p. 53).

2.Le monopole. Il se pourrait que Facebook domine le marché des réseaux sociaux à un point tel qu’il soit confronté à des difficultés d’un autre ordre : les marchés dans lesquels les effets de réseau sont importants ont tendance à évoluer vers des systèmes monopolistiques. A mesure que Facebook se développe, il pourrait à son tour être accusé par des acteurs plus modestes d’abuser de sa position dominante. Aussi, tout indique qu’une partie des fonds que l’entreprise lèvera en Bourse servira à renforcer encore son équipe d’avocats et de lobbyistes.

3.La guerre des géants. L’entrée en Bourse du réseau social créera aussi le cadre d’une bataille épique entre les géants de l’industrie technologique. Il est clair depuis longtemps que Google se trouve en plein centre du champ de vision de Facebook, et vice versa. Mais à mesure que Facebook développera sa plate-forme d’application sociale et l’implémentera sur les appareils mobiles, le site marchera aussi, de plus en plus, sur les plates-bandes d’Apple et d’Amazon. Peut-être Facebook sera-t-il tenté d’utiliser une partie du produit de son introduction en Bourse pour conclure un partenariat avec un fabricant de matériel informatique afin de produire un  » téléphone Facebook  » doté d’un système d’exploitation social de sa propre facture. Rien que ça.

THE ECONOMIST

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