Le trente-troisième dessous

L’eau douce et chaude de Nemo 33, la piscine la plus profonde du monde, l’atteste : ici comme ailleurs, on plonge de plus en plus souvent par plaisir… Pourtant, ce loisir reste l’un des plus risqués

(1) Nemo 33, 333, rue de Stalle, à 1180 Bruxelles. Rens. : 02 332 33 34 ou www.nemo33.com

(2) Espadon : 0475 57 16 21 ou www.soudan.be

Derrière la rangée des bouteilles d’apéritifs, et tout au long du mur du restaurant, de grandes fenêtres s’ouvrent sur une eau limpide et turquoise, que remontent en zigzaguant, lentement, des milliers de bulles d’air, comme une neige inversée. Les habitués du bar n’y prêtent plus guère attention, mais les enfants poussent des cris d’orfraie chaque fois que passe, de l’autre côté des vitres épaisses, un homme-dauphin souple et muet. Plus loin, dans le brouhaha du hall d’entrée, une tribu de jeunes Flamands impatients montrent patte blanche : à l’accueil, un responsable contrôle leur identité, leurs brevets et… leur discipline û pas question de laisser nager un agité. A vos masques, prêts, plongez ! Toutes les heures, en soirée, et par groupe de 50 au maximum, les candidats à l’immersion sont autorisés à pénétrer au sommet de cet aquarium géant, pour se couler enfin dans la fosse qui lui vaut sa notoriété : un puits de 6 mètres de largeur dont le sol carrelé repose… 33 mètres plus bas. Déjà, accroupis au fond de la cavité, les cheveux ondulant sous la caresse de l’eau, de grands gamins comparent leurs profondimètres…

Quatre mois après son inauguration à Uccle, en bordure du ring bruxellois, Nemo 33, la piscine la plus profonde du monde, a presque trouvé sa vitesse de croisière. Son concept original et respectueux de l’environnement (l’eau de source, sans chlore, y est chauffée en partie par des panneaux solaires) a déjà attiré des norias de curieux venus d’Allemagne, de France, des Pays-Bas… et même d’Hawaii. Récemment, un minibus y déposait une douzaine de Finlandais ébahis.  » Historiquement, la plongée est un sport de copains, explique John Beernaerts, concepteur et manager de cette gigantesque pataugeoire, haute comme douze étages. Ses membres appartiennent toujours à des communautés très solidaires, où les compétences se transmettent des plus expérimentés aux moins qualifiés.  »

Mais c’est aussi, actuellement, un sport dont le statut change de manière indéniable. Marquée jadis par une image très technique, très exigeante sur le plan physique ( » Un univers masculin, dur, voire militaire « ), la plongée est en passe de devenir un loisir actif tourné vers le plaisir et l’esthétique, accessible à un large public composé, dorénavant, également de femmes et d’enfants. La simplification et l’allégement du matériel, la vogue des activités centrées sur le bien-être individuel, la démocratisation des voyages vers des destinations exotiques ont, eux aussi, contribué au remodelage du secteur û qui n’échappe pas aux offres les plus extravagantes : safari-plongée au Kenya, exploration d’épaves en Martinique,  » shark-feeding  » (nourrissage de requins) aux Bahamas, plongée dérivante aux Maldives (où le courant vous entraîne, tel un esquif). Pour quelques centaines d’euros seulement, il est désormais possible de sillonner les fonds marins durant une dizaine de jours, en mer Rouge ou dans le Sud-Est asiatique… A condition, bien sûr, de détenir l’un des brevets (valables à vie, dans le monde entier) délivrés, après écolage, par l’un des nombreux clubs de plongée belges ou étrangers.

Avec son décor design, ses séances orientées sur la relaxation, la gestion du stress, de l’obésité ou de l’aquaphobie, Nemo 33 s’inscrit pleinement dans cette évolution vers une pratique plus zen, plus confortable. Surtout, ses concepteurs ont jugé qu’une telle infrastructure, dotée d’une sécurité irréprochable et d’une eau claire à 31 degrés, manquait cruellement dans notre pays.  » Pourquoi se les geler dans des lieux inhospitaliers ? En Belgique, poursuit Beernaerts, l’amateur n’avait le choix, jusqu’ici, qu’entre l’eau peu profonde et froide des piscines, où flottent souvent cheveux et sparadraps, et celle des carrières, visqueuse, glacée, à la visibilité limitée, et remplie d’obstacles…  » Nemo 33 espère donc séduire autant les mordus en quête d’inédit que les novices frileux. Pourtant, pour certains partisans de la vieille école, c’est l’apprentissage dans des conditions  » incommodes  » qui fait justement le plongeur averti. Paul Lejeune, moniteur à l’Espadon (Etterbeek), redoute que la transformation de la plongée déverse sur le marché une masse importante de débutants et de  » touristes « , mal armés face aux dangers qu’implique toujours ce sport : rien qu’en 2003, 17 plongeurs ont perdu la vie en Belgique. Cet  » océanaute  » emmène donc régulièrement ses élèves sur des sites difficiles, belges û barrages, carrières et mer du Nord û ou lointains û Norvège, Groenland, Vietnam, Soudan (2).  » Le plongeur nouvellement formé perd de plus en plus son aquacité, soit sa capacité à se mouvoir sous l’eau… et à sauver sa peau. Il faut revenir à l’enseignement d’antan, plaide Lejeune, qui exige d’abord un entraînement intensif en piscine, puis dans des milieux naturels parfois hostiles.  »

 » Un bon plongeur est avant tout un plongeur vivant « , renchérit Beernaerts. Consciente que la pratique requiert bien plus que d’apprendre simplement à palmer, l’équipe de Nemo 33 a mis sur pied une troupe de scouts sous-marins, exclusivement réservée aux adolescent(e)s de 12 à 14 ans. Fidèle au concept éthique de ses créateurs, cette initiative vise à enseigner la plongée dans le respect des valeurs civiques et sportives propres aux scouts terrestres (défense de la nature, altruisme, ingéniosité, assiduité dans l’effort).  » En soulignant en permanence les nombreux liens existant notamment entre la plongée et la biologie, la géographie ou la physique, les professeurs engagés dans cette aventure ont aussi pour mission de (re)motiver les jeunes dans leurs études secondaires.  » La troupe débutera ses cours prochainement (250 euros par enfant, matériel inclus, jusqu’à fin mai) : quelques places sont encore disponibles… pour autant que les prétendants et leurs parents adhèrent pleinement à la philosophie du projet û respect mutuel et solidarité.  » La plongée, conclut Beernaerts, s’accommode très mal de l’esprit compétitif.  » Le bien-être subaquatique aussi..

Valérie Colin

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