Des RED LIONS aux RED PANTHERS

A la veille de la Coupe du monde de hockey à La Haye (31 mai au 15 juin), nous avons fait le point avec nos deux coaches fédéraux : Marc Lammers (Red Lions) et Pascal Kina (Red Panthers).

Quelle est la grande différence entre le coaching de l’équipe masculine et celui de l’équipe féminine ? Pascal Kina : Avec les femmes, il faut communiquer davantage. Avec les hommes, on peut être plus direct, c’est plus facile.

Marc Lammers : Les femmes, il faut leur parler en tête-à-tête, ne jamais leur dire devant le groupe qu’elles ont mal joué. Si vous montrez une fille du doigt, elle vous en veut pendant trois ans. Elles sont plus émotives, plus sensibles tandis qu’un homme réfléchit et se dit que si le coach pense ceci ou cela, il va le faire.

Kina : Si vous dites à un groupe d’hommes qu’ils ont mal joué, ils pensent tous que ça concerne quelqu’un d’autre. Les femmes, elles, le prennent pour elles.

Lammers : En général, les femmes ont moins confiance en elles, elles se disent plus rapidement qu’elles ne peuvent pas y arriver, alors qu’elles en sont parfaitement capables. Les hommes, c’est exactement le contraire. Ils se comportent comme des coqs. Les femmes font tout ce qu’on leur demande. Si on leur dit d’aller à gauche, elles y vont. Un homme, lui, demande tout de suite : Et pourquoi n’irait-on pas à droite ? Ça discute tandis que les femmes se mettent au travail, quitte à se dire après un certain temps que ce qu’on leur fait faire est ridicule (il rit). Mais une fois rentrées au vestiaire, elles n’en parlent plus.

 » Les hommes sont plus égocentriques  »

En d’autres termes, les femmes sont davantage des suiveuses.

Lammers : Elles parlent davantage entre elles plutôt que de parler les unes des autres. Elles pensent d’abord à l’intérêt de l’équipe tandis que les hommes sont plus égocentriques. C’est culturel : l’homme était chasseur et les femmes restaient à la maison, elles collaboraient. Elles sont plus aptes à atteindre un objectif commun. En hockey aussi, les hommes pensent d’abord à eux, ils se demandent quel bénéfice retirer de ce qu’on leur propose. Il y a donc des différences mais, à 90 %, le travail est le même : on organise, on prépare, on tente d’innover, de motiver tout le monde…

Kina : Nous parlons beaucoup en groupe car tout le monde doit apprendre à prendre ses responsabilités. Nous réfléchissons à la façon d’aborder un problème et tout le monde peut donner son avis. C’est très important.

Lammers : Les femmes, il faut leur poser des questions et les obliger à réfléchir, afin qu’elles se sentent impliquées. Les hommes s’intéressent davantage au contenu, ils aiment bien se mêler de tactique. Je remarque aussi que si on demande à une femme de passer plus souvent par la droite, elle ne passera plus que par la droite.

Kina : C’est vrai, ça ! (il rit)

Lammers : Des suiveuses, oui. Avec elles, c’est noir ou blanc. Mais il faut aussi qu’elles comprennent pourquoi on leur demande de changer certaines choses.

N’est-ce pas quelque chose qu’on peut leur apprendre en cours de formation ?

Kina : Certainement mais, il y a quelques années, le niveau de la formation chez les filles était moins relevé. Avant, on leur envoyait les entraîneurs les moins bons et cela les incitait donc moins à réfléchir. C’est pourquoi il faut encore beaucoup insister sur l’aspect tactique des choses.

 » Une question de culture  »

Travaille-t-on différemment en Belgique qu’aux Pays-Bas ?

Lammers : Nous, les Hollandais, on parle plus. J’ai joué au plus haut niveau et quand on me demandait de faire quelque chose, je voulais toujours savoir pourquoi, ce que cela me rapportait. Mes coaches devenaient fous (il rit). Je trouve que les Belges sont trop modestes. Ils se demandent souvent s’ils seront capables d’arriver à tel ou tel résultat. C’est étrange.

Kina : C’est une question de culture.

L’histoire démontre que les Hollandais sont des conquérants. Cela rejaillit toujours sur leur comportement.

Lammers : C’est ce que dit notre psychologue et il a peut-être raison.

Kina : Au sein de l’équipe masculine, je constate tout de même une évolution depuis deux ou trois ans. Ils parlent beaucoup plus.

Lammers : Oui, même entre eux. Nous avons beaucoup travaillé en ce sens. Quand ils ne sont pas d’accord entre eux, ils doivent le dire. Quand on décide de quelque chose ensemble, il est beaucoup plus facile, par la suite, de découvrir pourquoi quelqu’un n’a pas respecté les engagements. On peut lui faire remarquer qu’il était là quand ceux-ci ont été pris. Les consignes viennent de moins en moins de moi, elles sont déterminées par le groupe, ce qui permet aux joueurs de se corriger entre eux. Et ça marche même avec un groupe plus jeune.

Ne parlent-ils pas davantage parce qu’ils ont déjà gagné quelque chose ?

Lammers : Les bons résultats obtenus tant en équipe nationale qu’avec leurs clubs belges et hollandais en Euro Hockey League ont évidemment augmenté leur confiance en eux (quelques Belgesont disputé la finale avec Oranje Zwart, le KHC Dragons et le RC Bruxelles ont terminé troisième et quatrième, ndlr). Nous progressons pas à pas mais ce sont des étapes importantes.

Kina : La structure du hockey masculin a été établie beaucoup plus tôt, nous avons environ huit ans de retard mais nous revenons dans le coup. Je me dis même que, parfois, nous sommes un peu trop confiants. Nous nous disons que, puisque nous sommes allés aux Jeux olympiques, nous sommes capables de tout. Les clubs changent également, ils prennent le hockey féminin beaucoup plus au sérieux mais il faudra sans doute encore quatre à cinq ans avant que nous soyons au même niveau que le hockey masculin.

 » Pas toujours une question d’argent  »

Pourquoi la fédération n’a-t-elle pas parié en même temps sur les femmes et sur les hommes ?

Kina : C’est simple : pendant des années, elle n’a pas cru dans l’équipe féminine. C’est la première chose à laquelle BertWentink a remédié lorsqu’il est devenu directeur technique, en 2005.

Lammers : Il y a douze ans, lorsque j’étais toujours sélectionneur de l’équipe féminine hollandaise, j’ai demandé à la fédération belge de pouvoir jouer un match amical. On m’a répondu : Nous n’avons pas d’équipe nationale féminine.

Si on vous avait dit, à l’époque, que vous seriez un jour sélectionneur de la Belgique…

Lammers : Je ne sais pas ce que j’aurais fait. C’est facile de parler mais il faut encore passer à l’acte. Ça fait 30 ans que l’Irlande essaye mais elle ne parvient pas à dépasser la Belgique. La progression de l’équipe féminine belge est gigantesque. D’autres pays, comme la France, voudraient en faire autant mais ils n’y arrivent pas.

Kina : Nous sommes douzièmes au classement mondial mais le plus important est de continuer à progresser calmement. Une structure a été mise en place à partir des U15. Elle permet aux meilleures jeunes de suivre la filière mais il y a encore des trous dans la pyramide et il faudra encore quelques années pour les résorber. Chez les garçons, toutes les catégories (U16, U18,…) affichent complet. L’idéal serait que les filles ne soient internationales A qu’à partir de 18 ou 19 ans mais ici, j’ai déjà dû en sélectionner deux de 16 ans. C’était le cas chez les messieurs avant aussi mais aujourd’hui, c’est impensable.

Lammers : Ce n’est pas toujours une question d’argent. C’est vrai qu’aux Pays-Bas, les budgets sont plus importants mais la Belgique est peut-être meilleure dans d’autres domaines. La passion et l’imagination permettent de résoudre beaucoup de choses et de tenter de faire mieux que la concurrence.

 » Depuis 2005, tout va très vite  »

Kina : La dernière fois que nous avons pris part à une Coupe du monde avec l’équipe masculine, en 2002 à Kuala Lumpur, nous n’avions même personne pour analyser les images vidéo et nous filmions les matches avec une petite caméra. A partir de 2005, lorsque MarcCoudron est devenu président de la fédération et qu’il a fait appel à Bert Wentink, tout est allé très vite. Marc, qui détient le record de sélections en équipe nationale, a connu les moins bons moments de l’équipe nationale. Son expérience et son intelligence lui ont permis d’initier les changements.

Lammers : D’autant qu’il avait constaté que les autres pays, eux, se professionnalisaient.

Kina : Mon noyau est encore trop étroit, certaines filles sont irremplaçables. Marc, lui, a le choix et peut remplacer un joueur si celui-ci n’est pas en forme. C’est un luxe. Moi, je dois composer. La fédération le sait mais il n’y a personne. Chaque année, j’accueille des filles qui jouent bien mais qui n’ont pas d’expérience. Je ne peux pas aligner 10 gamines de 16 ans, hein. Mais avec la structure que nous mettons en place, je tiendrai un autre discours dans quatre ou cinq ans.

En 1988, les Pays-Bas ont décidé de retirer les huit meilleurs hockeyeurs de leur championnat afin qu’ils puissent s’entraîner ensemble toute l’année. Huit ans plus tard, à Atlanta, ils étaient champions olympiques. Le hockey belge ne devrait-il pas suivre cet exemple afin de franchir un palier supplémentaire ?

Lammers : Je ne crois pas dans ce système car ce qui fait la force de la Belgique et des Pays-Bas, c’est justement leurs championnats. Il faut donc garder les deux, même si la communication entre les entraîneurs de clubs et le sélectionneur national pourrait être meilleure, ce qui permettrait de s’entraîner plus intelligemment. Cela profiterait à la fois aux clubs et à l’équipe nationale. Si on retire les meilleurs joueurs du championnat, on se coupe de la base.

Kina : Je ne suis pas partisan du système non plus. Il y a deux ans, nous avons entamé des réunions entre la fédération et les clubs, ce qui a permis à ceux-ci de travailler de façon plus professionnelle.

 » Nos dames manquent d’expérience  »

Lammers : Si on retire les internationaux du championnat, les jeunes n’auront plus l’occasion de s’entraîner avec les meilleurs. Ici, en équipe nationale, ils apprennent à s’entraîner à un rythme plus élevé et retransmettent cela aux jeunes de leur club. Il est important que nos meilleurs joueurs restent en Belgique car, à terme, cela rendra les clubs et les jeunes plus forts. Nous ne pouvons empêcher personne d’aller aux Pays-Bas mais je préférerais qu’ils restent en Belgique, afin que le championnat belge conserve son niveau. S’ils n’y en a que deux ou trois qui partent, ce n’est pas très grave mais il n’en faudrait pas dix.

Kina : Chez les dames, la situation est différente car le niveau de notre championnat est bien plus faible qu’en Hollande. En vue des Jeux olympiques de Rio, je préfère donc qu’elles évoluent aux Pays-Bas. Les hommes rendent nos jeunes meilleurs tandis que nos dames ont tout à apprendre dans un championnat plus fort.

La Coupe du monde constitue-t-elle une étape vers un objectif plus important comme les Jeux olympiques de Rio ?

Lammers : Non, la Coupe du monde constitue un objectif en soi. Il ne sert à rien d’établir des plans à quatre ans. Il y a un grand tournoi chaque année. En 2013, c’était le championnat d’Europe à Boom, cette année il y a la Coupe du monde, l’an prochain il y aura un nouvel Euro et, en 2016, les Jeux olympiques. L’objectif est d’y décrocher à chaque fois la meilleure place possible et de continuer à donner une chance aux jeunes car il y a beaucoup de talent ici. A Rio, ils auront tous deux ans de plus. Lorsque je suis devenu champion olympique avec l’équipe féminine hollandaise à Pékin, en 2008, la moyenne d’âge était de 24,6 ans. Celle de l’équipe masculine belge n’est encore que de 22,8 ans. L’idéal, c’est d’avoir des joueurs de toutes les tranches d’âge, de la diversité. Trop de vieux, ce n’est pas bon. Trop de jeunes, non plus. C’est ce qu’on constate chez les dames : le groupe est trop jeune, il manque d’expérience.

 » Le professionnalisme n’est pas indiqué  »

La plupart des internationaux sont toujours étudiants ou travaillent. Ne préféreriez-vous pas travailler avec des professionnels ?

Lammers : Absolument pas. On ne gagne pas assez d’argent en hockey et puis, je trouve que c’est bien que les joueurs étudient ou travaillent. Je veux qu’ils soient disponibles à temps plein pendant deux ou trois mois avant les Jeux olympiques mais ne faire que jouer au hockey pendant quatre ans (il souffle), c’est monotone. Il est vrai que les volleyeurs hollandais sont devenus champions olympiques de la sorte mais après leur carrière, ils ont presque tous sombré dans la dépression parce que leur reconversion n’avait pas été préparée.

Kina : Il faut pouvoir faire autre chose pendant huit ou neuf mois par an. Sur ce plan aussi, beaucoup de choses ont changé. Les parents n’obligent plus les jeunes à arrêter le hockey à cause des études, qui peuvent être étalées sur sept ou huit ans. C’était déjà le cas dans d’autres pays et cela entre dans les mentalités en Belgique. Les jeunes finissent par obtenir leur diplôme mais ils ont pour eux l’expérience d’un championnat du monde ou des Jeux olympiques.

Lammers : Les footballeurs feraient d’ailleurs bien de faire autre chose que de jouer au foot. Une enquête réalisée aux Pays-Bas a démontré que les gens qui s’épanouissent dans la vie active sont également plus performants sur le plan sportif. Ceux qui ont un boulot ou vont habiter à l’étranger progressent en hockey parce qu’ils apprennent à être plus autonomes, ils prennent confiance… L’homme est fait pour réaliser quelque chose. Moins on a de choses à faire, plus la vie est monotone. Je souhaite donc que mes joueurs relèvent d’autres défis. J’incite personnellement ceux qui n’ont que le hockey à faire autre chose, sans quoi ils deviendront comme les footballeurs (il s’esclaffe).

Kina : Nous tentons de travailler par périodes mais pendant celles où nous travaillons à temps plein, les joueuses doivent vraiment être disponibles. Il n’y a pas d’excuse.

Lammers : « Ceux qui arrivent en équipe nationale sont des battants, des gens dotés d’une bonne mentalité. Aujourd’hui, les entreprises hollandaises accordent en priorité leur confiance à des gens qui ont réussi à combiner les études et le sport de haut niveau. La plupart des internationaux que j’ai entraînés ont un bon job.

Dernière question : vous parlez beaucoup entre vous ?

Kina : Bert Wentink nous le demande. Nous nous retrouvons donc souvent pour discuter d’aspects bien précis.

Lammers : Je trouve ça bien. Quand on reste replié sur soi-même, on ne voit que des difficultés. Quand on s’ouvre aux autres, on voit des possibilités.

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Si tu montres une fille du doigt parce qu’elle a mal joué, elle t’en voudra pendant trois ans.  » Marc Lammers

 » Il nous faudra encore quatre à cinq ans avant d’atteindre le niveau de l’équipe masculine.  » Pascal Kina

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