La Belgique à travers l’histoire

Où allons-nous ? Dans un pays qui s’interroge sur son avenir, cette question mérite qu’on s’en pose une autre : d’où venons-nous ? Car, si le passé est utile pour comprendre le présent, il peut aussi nous aider à réfléchir calmement au futur. Profitant du double anniversaire 175/25 (175 ans d’indépendance, 25 ans de fédéralisme), Le Vif/L’Express entame une grande série d’articles consacrés à l’histoire de la Belgique et de ses composantes. Cette semaine, zoom arrière de la préhistoire à la bataille de Waterloo : une – modeste – tentative d’éclairer un passé compliqué l

Comment tout a commencé ? Eh bien, comme presque partout sous nos latitudes européennes. Pendant des dizaines de milliers d’années, des générations d’hommes et de femmes précocement installées dans nos contrées ont durement lutté pour leur survie et pour la perpétuation de leur groupe. A leurs stades de développement respectifs et au gré des variations du climat, ils se sont battus contre les éléments qu’ils ne maîtrisaient pas, contre les maladies et les bêtes sauvages, pour tenter de glaner, de- ci de-là, de quoi se nourrir et donner à leurs petits la chance, rare, d’échapper à une mort précoce. Ils ont peu à peu appris à domestiquer le feu, allié inégalable pour vaincre la peur de la nuit, se défendre contre les fauves et faire cuire quelques aliments. Ils ont appris à fabriquer des outils, d’abord rudimentaires puis de plus en plus inventifs, perfectionnant sans cesse les techniques centrées sur la satisfaction des besoins élémentaires : chasser, pêcher, apprêter des peaux pour s’en vêtir, se défendre contre les loups, les ours et les groupes humains rivaux venus leur disputer les braises d’un feu, une caverne bien située, un territoire giboyeux. Puis, le temps aidant, ils ont acquis peu à peu cette relative maîtrise de l’environnement immédiat qui leur permettait de faire reculer les frontières de la peur, omniprésente dans la vie de l’homme préhistorique. Ils ont aménagé des sépultures pour leurs morts, jadis abandonnés à la convoitise des charognards. Ils ont créé des parures, inventé les premières expressions artistiques sur les parois de leurs habitats. En un mot comme en cent, ils ont vécu un peu de cette vie telle qu’elle est imaginée par le cinéma (La Guerre du feu, L’Odyssée de l’espèce), avec plus ou moins de rigueur scientifique et ce qu’il faut de broderie fictionnelle pour nous en rendre le spectacle agréable.

C’est alors qu’arrive dans nos régions, vers 6000 avant notre ère, l’une des plus fantastiques transformations dans le cours de l’humanité : la révolution néolithique, qui avait débuté quelque 6 000 ans plus tôt au Moyen-Orient. Abandonnant peu à peu leur mode de vie nomade (il fallait poursuivre le gibier) et leur comportement de chasseurs-cueilleurs, nos ancêtres commencent à se sédentariser. Ils construisent des habitations, d’abord de fortune, puis de plus en plus perfectionnées. Ils sèment et récoltent les premières cultures et domestiquent déjà quelques animaux, traçant les prémices de l’élevage. Ils apprennent à tisser des vêtements et fabriquent des poteries à la main. Ils adorent les forces de la nature pour s’en concilier les faveurs, mais vénèrent aussi des déesses-mères, dont le culte est lié à la fécondité du sol. L’apparition de tumuli (amas de terre et de pierres servant de sépultures collectives) et de monuments mégalithiques (dolmens, menhirs) montre que la densité de la population s’accroît alors fortement. Des outils de métal remplacent progressivement ceux fabriqués en pierre, en bois et en os. L’utilisation du bronze apparaît, chez nous, vers 1800 avant Jésus-Christ. L’habitat se perfectionne : les huttes en bois et de terre glaise à toit conique cèdent parfois la place à des demeures plus solides, de pierre et de torchis, regroupées en hameaux entourés de palissades.

Entre 1000 et 500 avant le Christ, des populations de souche indo-européenne, dont certains situent l’origine dans le sud-ouest de l’Allemagne, entreprennent une grande migration vers l’ouest et le sud de l’Europe et viennent se mêler aux communautés néolithiques originaires de nos régions. Ce sont les Celtes. Ils maîtrisent bien l’usage des métaux, mais ignorent l’écriture et ne constitueront jamais une société suffisamment organisée pour résister aux invasions futures, romaine et germanique. Leur expansion en Gaule impose une langue commune, le celtique, dont l’empreinte la plus importante subsiste, aujourd’hui, dans les parlers breton et irlandais.

Entre les années 900 et 100 avant J.-C, les tribus  » belges  » prennent peu à peu possession de nos régions. Du nord au sud en passant par le centre, les Ménapiens, les Morins, les Nerviens, les Eburons, les Condruses (dans l’actuel Condroz), les Trévires et les Aduatiques se partagent un territoire dont l’unité se limite à une pratique religieuse commune, le druidisme. A la fois prêtres, juges, médecins et devins, les druides forment la  » caste  » dominante d’une société inégalitaire où l’esclavage est courant, mais l’organisation politique embryonnaire. Les tribus sont à la fois autonomes et rivales.

LA PÉRIODE ROMAINE (57 av. J.-C – ive siècle )

Cinq décennies avant notre ère, cet espace morcelé va être confronté à un choc d’une importance historique exceptionnelle. Une autre civilisation, infiniment plus organisée et développée, poursuit en effet la longue expansion qu’elle a amorcée, plusieurs siècles auparavant, au départ d’une bourgade devenue capitale du monde antique : Rome. Après avoir conquis l’Italie et vaincu Carthage, sa grande rivale, la république romaine a étendu son emprise sur le pourtour méditerranéen et progresse à présent vers le nord. Cette conquête des Gaules va révéler le nom d’un général méthodique et extraordinairement ambitieux, qui met son sens politique et son art militaire au service d’un objectif suprême : la conquête du pouvoir absolu. Il s’appelle Jules César . C’est en 57 avant J.-C. qu’il aborde nos régions, non sans avoir habilement man£uvré pour empêcher la coalition des tribus belges. C’est ainsi qu’il les soumet successivement, des Nerviens de Boduognat aux Eburons d’Ambiorix, dont la révolte sera punie d’une répression impitoyable.

En 51 avant J.-C., tout est dit : Rome a eu raison de la  » Gaule belgique « . La pax romana s’installe pour quatre siècles au cours desquels se construit une véritable civilisation gallo-romaine. La  » métropole  » apporte son administration, ses coutumes, sa mythologie et… sa langue. Amené par les soldats, les fonctionnaires et les marchands, le latin se répand grâce à la création des premières écoles. Mais il s’impose surtout dans les centres, tandis que le celtique survit temporairement dans les campagnes. Le commerce à grande échelle se développe à la faveur des premières véritables routes qui sont construites selon des axes stratégiques, notamment celui qui relie Boulogne à Cologne en passant par Tournai (Turnacum), Bavay et Tongres (Aduatuca Tungrorum), au nord du sillon Sambre-et-Meuse. Plus au sud, Arlon (Orolaunum), l’un des rares autres véritables noyaux urbains nés à l’époque, est une étape sur l’axe qui relie Reims à Trèves. La future frontière linguistique daterait-elle de cette époque ? Pour l’instant, contentons-nous de constater que la pénétration romaine semble avoir été plus profonde dans la partie méridionale de l’actuelle Belgique, où se multiplient les villae, de grands domaines agricoles. Ce qui n’empêche pas les Romains, quand ils ont la double chance d’être gourmets et patriciens, de régaler leurs papilles en dégustant des oies importées de  » Morinie « , l’actuelle Flandre maritime… Les premières activités industrielles se développent. La métallurgie du sillon Sambre-et-Meuse et d’Ardenne fabrique de l’outillage et fournit des armes (tiens, déjà…) aux légions romaines qui défendent, sur la rive gauche du Rhin, les limites de l’Empire menacé par les Germains insoumis de la rive droite du grand fleuve. Les carrières et briqueteries fournissent des matériaux nouveaux pour la construction ; les verreries et des ateliers textiles se multiplient. L’un des derniers apports de l’époque romaine est l’arrivée du christianisme dans nos régions, aux iiie et ive siècles. Cette première évangélisation est cependant superficielle et n’atteint pas véritablement les campagnes.

Mais, à partir du iiie siècle ap. J.-C., la lente décadence de l’Empire romain ouvre progressivement l’espace belge aux invasions germaniques. Les Francs arrivent par vagues successives aux ive et ve siècles, dans des circonstances encore mal éclaircies. Cela rend fragiles les théories qui datent de cette époque la fixation quasi définitive de la frontière linguistique. Parmi les hypothèses plausibles, certains historiens émettent l’idée que la colonisation franque aurait été plus dense dans le nord du pays que dans le sud. La découverte de vestiges de fortins le long de l’ancienne route Bavay-Tongres laisse imaginer que cet axe aurait pu faire obstacle aux invasions germaniques et servir de rempart (limes) à la pénétration franque, incitant les populations romanisées à se réfugier au sud de la route. On imagine ainsi que la masse des envahisseurs francs, s’installant de préférence dans le nord relativement peu peuplé de nos régions, aurait pu y imposer plus facilement la langue germanique. Tandis que des Francs moins nombreux, s’installant dans le sud du pays, auraient été assimilés par une population plus dense et fortement romanisée, conservant les dialectes hérités du latin et précurseurs des parlers wallons, puis du français. La fragilité des sources disponibles incite cependant à la prudence quant à la fixation définitive de la frontière linguistique, que certains historiens situent plutôt au xe, voire au xiie siècle.

LES FRANCS (ive – ixe siècle)

Vers 430, le roi des Francs saliens issus du delta du Rhin, Clodion, s’empare de Tournai. Son fils Mérovée (qui donne son nom à la dynastie des Mérovingiens) et son petit-fils Childéric en font leur capitale. Mais la véritable conquête de la Gaule par les Francs sera l’£uvre de Clovis (v.465-511), qui se convertit au christianisme. Il reçoit ainsi l’appui de l’Eglise, elle-même en mesure d’entreprendre, aux vie et viie siècles, l’évangélisation décisive de nos régions. Les monastères se multiplient au viie siècle. L’Etat franc est cependant fragile. Son unité est menacée en permanence par la coutume des partages successoraux et l’ensemble territorial finit par s’émietter complètement. Il ne sera réunifié qu’au viiie siècle, par les fondateurs de la dynastie des Carolingiens.

Grand conquérant, Charlemagne (Carolus Magnus, 742-814) est le plus illustre représentant de cette nouvelle dynastie. Au départ des restes morcelés du  » domaine franc « , il constitue un vaste empire qui s’étendra jusqu’à l’Elbe (Saxe), au Danube moyen et au centre de l’Italie, en se poursuivant jusqu’à l’Ebre, en Espagne. De cet ensemble, qui transforme la carte de l’Europe, il installe la capitale à Aix-la-Chapelle, dans le diocèse de Liège. Tout en séjournant souvent dans sa résidence de Herstal, d’où il part chasser dans les Ardennes. Pour un moment, la région de la Meuse moyenne devient ainsi le centre du monde occidental. Mais, malgré la renaissance économique et artistique qu’elle offre à nos régions, cet empire est également fragile. Conformément à la coutume franque, il est bientôt divisé entre les trois petits-fils de Charlemagne. Le traité de Verdun (843) attribue à Charles le Chauve la  » Francie occidentale « , qui comprend les territoires situés à l’ouest du Rhône, de la Saône, de la haute Meuse et de l’Escaut (et, donc, une partie de la Flandre). La  » Francie orientale  » (à l’est du Rhin et au nord des Alpes) est dévolue à Louis le Germanique, tandis que Lothaire hérite de la partie centrale de l’empire, une bande de territoire longue et étroite qui s’étire de la Frise (mer du Nord) au sud de Rome. Peu de traités dans l’histoire ont eu des conséquences aussi considérables que celui de Verdun, qui dessine une première esquisse de l’Europe contemporaine. La part de Charles, avec ses populations romanisées, préfigure en effet la France, tandis que celle de Louis est à l’origine de l’Allemagne. En revanche, la part de Lothaire manque d’unité et ne résiste pas au temps. A son décès, ce territoire se morcelle en trois nouveaux Etats : l’Italie, la Bourgogne et la Lotharingie. Cette dernière correspond à peu près au territoire de l’actuel Benelux. Une intense rivalité se développera peu à peu entre la France (dont le royaume se constitue à la fin du ixe siècle) et l’Allemagne, pour la possession de cet espace. Nos régions deviennent un enjeu central et vont leur servir de champ de bataille.

Depuis le traité de Verdun, le territoire correspondant à la future Belgique connaît une double division. Une frontière politique nord-sud qui suit la vallée de l’Escaut : les territoires situés à l’ouest de cette frontière dépendent du royaume de France ; ceux situés à l’est relèvent de la Lotharingie, puis, à partir du xe siècle, du Saint Empire. Cette frontière subsistera, juridiquement, jusqu’au xvie siècle. Elle est perpendiculaire à la frontière linguistique, orientée ouest-est.

LA PÉRIODE FÉODALE (ixe – xiie siècle)

Au xe siècle, les Normands, Germains  » Vikings  » de Scandinavie, excellents marins, abordent nos côtes et remontent les cours d’eau à bord de leurs agiles drakkars. Ils se livrent à des pillages et à des dévastations auxquels les faibles successeurs de l’empire carolingien, affaiblis par leurs querelles, sont incapables de résister. Ce sont alors les grands propriétaires qui assurent la défense de leurs domaines et de la population. Le territoire se morcelle ; des enceintes et des fortifications sont érigées de toutes parts : ainsi naît le monde féodal. Profitant des désordres de cette époque, certains comtes cherchent à se soustraire à l’autorité royale et à étendre leur territoire. A la fin du ixe siècle, le comte Baudouin II parvient ainsi à se libérer de la tutelle du roi de France et à constituer un vaste comté de Flandre englobant des régions du nord de la France et des territoires relevant de l’empereur d’Allemagne. En Lotharingie, l’empereur maintient d’abord son autorité, notamment en s’appuyant sur des autorités ecclésiastiques, comme le prince-évêque Notger de Liège. Mais, en raison de conflits multiples, de mariages, de successions et de rachats, la Lotharingie se fractionne en principautés autonomes. C’est ainsi que naissent les duchés de Brabant et de Limbourg, les comtés de Hainaut, de Namur et de Luxembourg, les principautés abbatiale de Stavelot-Malmedy et épiscopale de Liège. Ces principautés, dont les limites se fixent aux xiie-xiiie siècles, persisteront jusqu’à la Révolution française, fin de l' » Ancien Régime « . C’est dans ces espaces politiques morcelés, encore théoriquement dépendants du roi de France et de l’empereur d’Allemagne, que s’organise la société féodale. Les princes s’entourent eux-mêmes de vassaux, seigneurs et châtelains dominant une population essentiellement rurale.

L’ESSOR DES VILLES (xiie – xive siècle)

A partir de l’an mille cependant, l’accroissement de la population pousse au défrichement des terres, à l’extension des cultures et au perfectionnement des techniques agricoles. Le développement du commerce qui en résulte favorise celui des petites industries – métallurgiques au sud, textiles au nord – et un extraordinaire essor des villes, qui, à partir du xie siècle, poussent littéralement comme des champignons. La riche bourgeoisie naissante de ces villes cherche à échapper au pouvoir des princes. Elle achète ainsi des libertés qui se transforment en  » coutumes « , bientôt consignées dans des chartes. Ces libertés sont symbolisées par les beffrois, érigés en grand nombre à l’époque. Bruges, tournée vers la navigation avec l’Angleterre, devient un puissant pôle du commerce international et l’une des métropoles les plus prospères de l’époque. Longtemps accessible par la mer grâce au golfe du Zwin, qui n’est pas encore ensablé, elle restera le premier port de Flandre jusqu’au xive siècle. A partir du xiie siècle, les croisades, auxquelles la noblesse belge participe activement, ouvrent des nouveaux débouchés commerciaux vers l’Europe du sud et l’Asie Mineure.

A partir de la seconde moitié du xiie siècle, une série de révoltes prolétariennes éclatent, mettant aux prises les artisans et les patriciens des villes. Elles interfèrent avec des conflits extérieurs, notamment en Flandre, où le comte doit faire face à une tentative de reprise en main par le roi de France. Philippe le Bel annexe effectivement la Flandre en 1300. Mais des soulèvements gagnent tout le comté et, le 11 juillet 1302, des milices populaires remportent une victoire éclatante contre la chevalerie française, près de Courtrai. Cette  » bataille des Eperons d’or  » libère la Flandre et va devenir un symbole de première importance de son histoire, même si ce succès est rapidement remis en question. Pour faire pièce aux prétentions du roi de France, la Flandre se rapproche alors de l’Angleterre. Mais cette alliance connaîtra bien des vicissitudes tout au long de la guerre de Cent Ans, qui oppose la France et l’Angleterre à partir de 1337.

Dans les principautés qui couvrent l’ancienne Lotharingie, l’autonomie n’est pas remise en question par l’Allemagne, alors affaiblie. Mais les pouvoirs des princes s’érodent. Aussi sont-ils limités dès le xive siècle, théoriquement au bénéfice de l’ensemble de la population ; en fait, au profit des groupes les plus favorisés. Les villes, fortes de leurs franchises, jouent un rôle de plus en plus déterminant contre l’absolutisme des princes. Elles développent des particularismes locaux, dont l’esprit va survivre au cours des siècles suivants.

La fin du Moyen Age est marquée par des difficultés économiques qui entraînent disettes, famines, épidémies. La peste refait son apparition au début du xive siècle et deviendra bientôt endémique, donnant un coup d’arrêt à la croissance démographique des siècles précédents. Malgré ces difficultés de fin de période, le bilan du Moyen Age laisse à l’espace belge une forte tradition industrielle, appuyée sur des techniques d’avant-garde, déjà centrée sur le textile, au nord, et la métallurgie, au sud. L’essor d’une agriculture intensive préfigure déjà l’espace rural belge. L’urbanisation est un phénomène encore plus remarquable : la densité des villes médiévales de Flandre et du Brabant n’a pas d’égale en Europe, sauf en Italie du Nord. Politiquement morcelé, l’espace belge n’a pas à subir un pouvoir central trop contraignant : c’est, déjà, la terre d’élection des particularismes régionaux.

L’ÉTAT BOURGUIGNON (1384 – 1482)

Mais le paysage politique change radicalement à partir du xve siècle. Les principautés belges – sauf celle de Liège, qui reste autonome – vont alors être regroupées sous l’autorité d’un même souverain et rattachées à des ensembles politiques plus vastes, successivement la Bourgogne, l’Espagne et l’Autriche.

Le rôle de rassembleurs des principautés belges revient aux ducs de Bourgogne, qui, par le biais d’une série d’alliances matrimoniales, de successions et de rachats, constituent au xve siècle un vaste ensemble situé entre le royaume de France et l’empire germanique, et allant des Pays-Bas actuels à la Franche-Comté. Les ducs de Bourgogne mènent, non sans rencontrer de résistance, une politique de centralisation du pouvoir. A la mort de Charles le Téméraire (1477), son héritière, Marie de Bourgogne, doit faire des concessions, notamment en restaurant les privilèges un temps confisqués aux provinces et aux villes. Elle tente de résister aux convoitises du roi de France, mais son mariage avec Maximilien d’Autriche fera passer nos régions sous la souveraineté des Habsbourg.

SOUS LES HABSBOURG D’ESPAGNE (1482 – 1713)

Ceux-ci vont les appeler  » pays d’en bas  » (Pays-Bas), par opposition à leurs  » terres hautes « , celles d’Allemagne du sud et d’Autriche. A la mort de Marie de Bourgogne (1482), Maximilien devient régent des Pays-Bas, mais il les abandonne en 1494 à son fils, Philippe le Beau. Deux ans plus tard, celui-ci épouse Jeanne, fille des Rois catholiques, héritière du trône d’Espagne. C’est ainsi que les provinces belges vont tomber, pour deux siècles, dans l’orbite espagnole.

La période espagnole n’est pas homogène dans l’histoire des principautés belges. Une distinction classique oppose le  » beau xvie « , qui s’arrête en fait vers 1560, à la période suivante, assombrie par une série de guerres. Du point de vue politique, la cohésion des Pays-Bas se renforce au cours du règne de Charles Quint (1516-1555). Puis la révolte contre son fils Philippe II provoquera la scission entre les Pays-Bas du Nord, qui deviennent les  » Provinces-Unies  » indépendantes, et les provinces méridionales – l’essentiel de la Belgique actuelle -, qui restent sous domination espagnole.

Fils de Philippe le Beau, petit-fils de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne, Charles Quint (1500-1558) devient roi d’Espagne et des colonies d’Amérique en 1616, puis recueille l’héritage de Maximilien d’Autriche et se fait élire empereur en 1519. Dès lors absorbé par les charges de cet immense empire  » où le soleil ne se couche jamais « , il ne réside plus aux Pays-Bas, même s’il y revient régulièrement. Il s’y fait représenter par une  » gouvernante  » : d’abord sa tante Marguerite d’Autriche, ensuite sa s£ur Marie de Hongrie. Il parvient cependant à renforcer la cohésion des dix-sept provinces, appelées de plus en plus souvent Pays-Bas. En 1548, il leur fait accepter la  » pragmatique sanction « , qui instaure des règles de succession identiques dans toutes les principautés. Pendant ce temps , des événements de première importance se préparent sur le plan religieux. La Réforme protestante gagne les Pays-Bas et les thèses de Luther puis de Calvin se répandent de Tournai à la Frise. Le règne de Charles Quint correspond à une ère de prospérité, de croissance démographique et d’échanges économiques intenses. Anvers, qui a supplanté Bruges ensablée, devient la première métropole commerciale d’Europe. Elle héberge une bourse active et son port accueille un trafic quatre fois plus important que celui de Londres ! C’est aussi un grand centre de l’humanisme et de l’art de la Renaissance. Mais le climat économique et social se gâte au milieu des années 1560, alors que le roi d’Espagne Philippe II (1527-1598) a déjà succédé à son père Charles Quint. Les mécontents voient dans la Réforme la promesse d’un nouvel ordre social. Mais Philippe II, qui bredouille le français et ignore le flamand, se voit avant tout en défenseur du monde catholique. Il manifeste une intolérance radicale à l’égard du protestantisme, met en branle l’Inquisition et lance la chasse aux  » hérétiques « . Pour venir à bout des révoltes sociales et religieuses, le roi confie en 1567 la répression à un Espagnol, le duc d’Albe, qui fera prononcer 8 000 condamnations à mort en trois ans. Les plus célèbres victimes de cette répression sont les comtes d’Egmont et de Hornes, tous deux catholiques mais exécutés sur la grand-place de Bruxelles le 5 juin 1568. La dureté des persécutions et l’extrême brutalité de la soldatesque espagnole vont transformer la révolte en insurrection dans les provinces du Nord, où les protestants deviennent majoritaires. En 1581, les calvinistes proclament la déchéance du roi et la création des Provinces-Unies. La scission des Pays-Bas entre dans les faits à la fin du xvie siècle, même si l’indépendance des Provinces-Unies n’est reconnue par l’Espagne qu’en 1648. Quant aux provinces méridionales (les  » nôtres « , restées espagnoles), elles sont amputées à cette date de la Flandre néerlandaise, du Brabant septentrional, d’une partie du Limbourg et de Maastricht, au profit des Provinces-Unies. Ces limites tracent à peu de chose près la frontière nord de la Belgique d’aujourd’hui. La pesante tutelle espagnole contribue à accentuer la composante catholique de nos régions. La majorité des protestants qui y vivent encore préfèrent abjurer ou s’exiler aux Provinces-Unies, en Angleterre ou en Allemagne.

Le xviie siècle est une période de guerres presque incessantes, liées surtout à des conflits récurrents entre la France et l’Espagne, en pleine décadence. Les Pays-Bas espagnols sont plus que jamais le champ de bataille de l’Europe. Les défaites successives de l’Espagne l’obligent à céder à la France une série de régions, et ces pertes dessinent peu à peu le tracé actuel de la frontière franco-belge. Après 1585, la fermeture des bouches de l’Escaut par les orangistes des Provinces-Unies détrône Anvers au profit d’Amsterdam. Aux épidémies et aux guerres contre Louis XIV succède la guerre de succession d’Espagne (1701-1713), au terme de laquelle nos provinces sont attribuées aux Habsbourg d’Autriche, par le traité d’Utrecht (1713). A l’aube du xviiie siècle, les Pays-Bas méridionaux, séparés des provinces calvinistes du Nord et amputés de quelques territoires au profit des voisins, ont acquis la configuration de la Belgique actuelle, à une exception près : la principauté de Liège y constitue toujours une importante enclave indépendante.

LES PAYS-BAS AUTRICHIENS (1713-1794)

Le changement de dynastie ne modifie pas fondamentalement le statut politique des provinces belges, qui ne sont liées à l’Autriche – comme auparavant à l’Espagne – que par un lien personnel avec les souverains. La cour de Vienne s’engage à respecter l’intégrité territoriale des Pays-Bas et les libertés traditionnelles des principautés. Mais les nouveaux souverains souhaitent mettre en place un régime absolutiste moderne en modifiant les institutions et la société, en contrôlant notamment la hiérarchie religieuse. Succédant à Marie-Thérèse, Joseph II mène une politique caractéristique du despotisme éclairé. Il cherche à laïciser la société et limite les prérogatives de l’Eglise, enlève l’état civil au clergé et institue le mariage civil, ce qui lui vaut l’opposition des catholiques. La deuxième moitié du xviiie est relativement paisible et prospère. Les épidémies régressent, la peste disparaît et les campagnes produisent des excédents alimentaires, ce qui favorise une nouvelle croissance démographique. Le recensement de 1784 crédite les Pays-Bas autrichiens (sans la principauté de Liège) de 2,27 millions d’habitants, soit la densité de population la plus forte d’Europe. La pomme de terre, naguère produit de luxe, devient la base de l’alimentation populaire. La période 1740-1790 prépare la révolution industrielle. La filature et le tissage du coton se développent à Gand, les verreries se multiplient à Charleroi. L’imitation et l’amélioration de nouvelles techniques importées d’Angleterre préparent l’industrialisation intense du sillon Sambre-et-Meuse. Bruxelles (environ 80 000 habitants en 1783), siège de l’administration centrale et de la cour, devient la capitale incontestée des Pays-Bas autrichiens. Une minorité de la population habitant autour des institutions parle le français, tandis que le flamand domine encore dans la ville basse. Mais le phénomène de francisation de la ville, entamé au xve siècle, se poursuit avec l’appui d’une administration autrichienne très cosmopolite, qui parle elle-même le français. La langue de Molière devient une marque de prestige social. A tel point que les classes dirigeantes flamandes abandonnent progressivement leur langue maternelle, même en Flandre. Le français est également le vecteur qui propage les idées nouvelles et la philosophie des Lumières, favorablement accueillies par un gouvernement toujours prêt à tailler des croupières au clergé. Bref, les idées venues de France percolent indiscutablement l’élite francophone belge, souvent séduite par la franc-maçonnerie.

La  » révolution  » brabançonne de 1789 n’a pas grand-chose à voir avec celle qui enflamme Paris, la même année. Il s’agit plutôt d’une réaction aux volontés réformatrices de Joseph II. Le mouvement rassemble la noblesse, le clergé, les métiers et tous les tenants de l’ordre ancien, sur fond de misère paysanne et ouvrière aggravée par de mauvaises récoltes. Mais l’attitude rigide de l’empereur favorise l’union des opposants conservateurs et progressistes. Le 24 octobre 1789, une insurrection armée oblige l’armée autrichienne à se replier sur le Luxembourg. En janvier 1790, les Etats généraux réunis à Bruxelles créent des  » Etats belgiques unis  » sur le modèle – tout théorique – des Etats-Unis d’Amérique. En réalité, il s’agit plutôt de revenir au passé et de restituer aux privilégiés des droits devenus anachroniques. Parallèlement, une autre révolution, d’inspiration égalitaire et républicaine, se déclenche à Liège, obligeant le prince-évêque à prendre la fuite. Mais tant la révolution progressiste de Liège que le soulèvement réactionnaire du Brabant sombrent dans l’anarchie et l’armée impériale restaure la souveraineté autrichienne en 1790. Les péripéties guerrières entre la France révolutionnaire et les monarchies coalisées provoquent cependant plusieurs changements de souveraineté durant les années suivantes. Et, à partir de juin 1794, la France occupe pour une vingtaine d’années l’ensemble de nos régions, ainsi que la principauté de Liège.

LA PÉRIODE FRANÇAISE (1794-1814)

A Paris, deux jours de débat suffisent à la Convention pour adopter, le 1er octobre 1795, le décret d’annexion de la Belgique. Les provinces belges, non seulement les anciens Pays-Bas autrichiens mais aussi les principautés de Liège et de Stavelot-Malmedy font désormais partie de la France et cette annexion est acceptée par l’Autriche lors du traité de Campoformio, en 1797. Les régions belges perdent dès lors l’autonomie qu’elles avaient su préserver sous les régimes bourguignon, espagnol et autrichien. Bruxelles comme Liège perdent leur statut de capitale et l’espace  » belge  » disparaît littéralement de la carte politique de l’Europe. Son territoire est réparti en 9 départements qui portent le plus souvent les noms de cours d’eau, comme en France, et sont chapeautés par des préfets nommés par Paris. Ces divisions territoriales ne sont pas tout à fait homogènes sur le plan linguistique et leurs limites ne tiennent pas compte des anciennes principautés. L’annexion est néanmoins considérée par la majorité des Belges comme un moindre mal par rapport aux occupations sporadiques imposées par les armées révolutionnaires durant les années précédentes, qui s’étaient accompagnées de persécutions religieuses, de spoliations artistiques et de mesures vexatoires pour  » républicaniser  » nos régions. Désormais, les Belges sont officiellement citoyens français, nantis des droits qu’accompagne ce statut. Les institutions et privilèges de l’Ancien Régime sont abolis. Le français, imposé comme langue exclusive de la vie publique, continue à progresser également en Flandre, mais plus de manière spontanée comme aux siècles précédents. Néanmoins, la population se sent soumise à un pouvoir étranger et seule une minorité se réjouit sans réserve de ce statut. L’opposition se manifeste d’abord au sein de l’Eglise, qui ne pardonne pas à la France révolutionnaire d’avoir supprimé les couvents, confisqué les biens ecclésiastiques, séparé l’Eglise et l’Etat, confié l’état civil aux maires, autorisé le divorce, fermé l’université de Louvain… Mais c’est surtout l’instauration du service militaire obligatoire qui motive le mécontentement populaire, alimenté par les vexations de toutes sortes. En 1798 éclate une  » guerre des paysans  » : les régions rurales de Flandre et du Luxembourg se soulèvent avec l’appui du clergé. La grogne est cependant vite matée par l’armée française.

En 1799, l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte s’accompagne d’un certain apaisement qu’accentue la restauration de la liberté du culte, en 1801. Sur le plan économique, nos régions profitent de la politique de Napoléon, qui agrandit et modernise le port d’Anvers pour en faire un port de guerre tourné contre l’Angleterre. Et quand, en 1806, il instaure le blocus continental en vue d’empêcher l’accès de l’Europe à l’Angleterre, cette mesure stimule l’économie belge plus qu’elle ne la gêne. Débarrassés de la concurrence britannique, les produits belges s’exportent dans tout l’empire napoléonien. De plus, l’empereur est bon client : ses entreprises guerrières profitent pleinement à l’économie belge qui amorce précocement sa révolution industrielle, et notamment aux entreprises d’armement du bassin liégeois. Mais toute médaille a son revers. La conscription de plus en plus lourde des jeunes recrues dans les armées impériales et un régime policier sans cesse plus oppressif dressent à nouveau une grande partie de la population contre la France. Mais le régime impérial faiblit. Lorsqu’au début de 1814 les armées de la coalition antifrançaise entrent en Belgique, elles ne suscitent guère d’enthousiasme. Quand Napoléon, échappé le 26 février 1815 de l’île d’Elbe où il était reclus, entame sa victorieuse campagne des Cent-Jours, il suscite chez nous des sentiments partagés. Une dernière bataille l’attend à Waterloo, où la jonction de l’Anglais Wellington et du Prussien Blücher lui inflige une défaite définitive. Mais, au soir de cette terrible bataille du 18 juin 1815, un constat s’impose : à Waterloo, il y avait des Belges dans les deux camps. Surtout des Wallons, côté français. Des Flamands et des Bruxellois, côté alliés.

Jacques Gevers

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