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 » J’AI LE STYLE DES GARDIENS ESPAGNOLS « 

Après une période difficile à Valence, Mathew Ryan n’a pas encore tout à fait retrouvé le sourire à Genk. Mais avant la finale des PO2, le gardien australien sait exactement ce qui peut le ramener au sommet :  » Je ne peux pas laisser la déception l’emporter.  »

Il y a un an et demi, Mathew Ryan affrontait le Barcelone de Lionel Messi devant 60.635 personnes au Camp Nou. Mais le mois dernier, il n’y avait que 1357 spectateurs au Schiervelde pour assister au match opposant Roulers au KRC Genk. Lorsqu’il a quitté Bruges pour Valence, à la mi-2015, le gardien australien n’aurait jamais imaginé que sa carrière allait prendre un tel virage.

Avez-vous éprouvé des difficultés à vous motiver pour disputer les play-offs 2 ces dernières semaines ?

Mathew Ryan : C’est un bon test de caractère et de professionnalisme. On ne peut pas manquer de respect à l’égard des adversaires, quel que soit leur niveau. Celui qui fait ça est arrogant et peut commettre des erreurs. J’essaye d’arrêter chaque ballon qu’on m’envoie, quel que soit le tireur et où que nous soyons. Bien sûr, j’aimerais jouer au plus haut niveau, disputer les PO1. Mais dans mon cas, ce sont les PO2 qui m’ont donné l’occasion de vivre mon rêve. Et il y avait plus de matches.

Genk a manqué à la fois les PO1 et la qualification pour la finale de la Coupe, soit deux des trois objectifs que vous vous étiez fixé en signant dans ce club.

Ryan : Ce sont surtout les play-offs 1 qui me restent sur l’estomac car l’équipe tournait bien. Si nous avions pu nous qualifier, nous aurions pu être la plus belle équipe de ce mini-championnat grâce à notre football. Quand on n’atteint pas un objectif, il est toujours difficile de mettre le doigt sur la plaie mais nous avons peut-être manqué d’expérience. Beaucoup de joueurs apprennent encore leur métier. Avec un peu plus de planches ou de chance, nous aurions peut-être pu aller plus loin.

Vous avez quitté Valence en janvier afin de pouvoir rejouer. Vous ne vouliez pas perdre votre place en équipe nationale. Que pense le sélectionneur australien des play-offs 2 ?

Ryan : Je pense qu’il est plus heureux de me voir jouer n’importe où qu’être dans la tribune à Valence. D’autant qu’avant les play-offs 2, nous avons tout de même livré une belle campagne en Europa League.

Vous êtes satisfait du niveau que vous avez atteint à Genk ?

Ryan : Je suis heureux d’avoir progressé. Bien sûr, je veux tout le temps faire mieux, je veux arrêter tous les ballons. En réalité, c’est impossible mais il y a toujours des exceptions.

 » Mon keeping est devenu plus fluide  »

A quels niveaux avez-vous progressé depuis votre arrivée ?

Ryan : Si je compare mes premiers matches ici aux plus récents, je constate que je joue plus naturellement, que mon style est plus fluide. Quand on manque de rythme, tout semble moins facile. Quand on est en forme, on prend les décisions sans réfléchir, elles se présentent toutes seules. Quand j’ai analysé mes premiers matches à Genk, j’ai constaté des choses que je faisais différemment lorsque j’avais du rythme. Des détails techniques ou relatifs au placement.

Etre gardien à Genk, c’est différent d’être gardien à Bruges ?

Ryan : Ici, on construit davantage à partir de l’arrière, ce qui exige certaines choses de la part du gardien. Genk veut un sweeper keeper, un gardien qui joue haut et puisse participer au jeu avec ses pieds. Le jour où je quitterai Genk, ils chercheront le même genre de gardien tandis que, selon moi, Bruges n’a pas de profil de gardien déterminé. Le style de mon successeur, LudovicButelle, est tout à fait différent du mien. A Bruges, on dit à un gardien qu’il peut faire ce qu’il veut, du moment que ça fonctionne.

Après la phase de poules de l’Europa League, Genk a dû attendre les quarts de finale pour avoir une belle affiche, avec le Celta Vigo. Cela devait vous permettre de vous rappeler au bon souvenir des Espagnols mais vous avez rapidement encaissé trois buts. Un moment difficile ?

Ryan : A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je reste fort dans la tête, qu’il restait un match et demi à jouer. Après le match aller, j’étais surtout fier d’avoir pu faire un arrêt en fin de match afin de conserver le 3-2. Peut-être que par le passé, après un début de match aussi difficile que celui-là, ma déception aurait plus rapidement pris le dessus. Quand je repense au match de coupe avec Valence au Camp Nou, où nous avons pris un 7-0, je me dis que j’ai été dégoûté trop tôt dans le match. Si j’avais tenu bon mentalement, j’aurais peut-être pu éviter un ou deux buts.  »

 » Un gardien ne doit jamais se laisser abattre  »

Heureusement, après ce match, vous avez pu vous reprendre : never waste a good crisis.

Ryan : Pas seulement après ce match. Il y a peu, j’ai suivi à la télévision le match entre Leganés et le Real Betis, dont les filets étaient gardés par l’expérimenté Antonio Adán. Il a pris quatre buts contre une équipe qui lutte pour le maintien en Liga, ce qui veut dire que le football espagnol est très compétitif. La qualité des adversaires et des attaquants est très élevée. Un gardien peut très bien livrer un tout bon match et prendre trois buts. Sur le plan mental, c’est très dur mais les buts qu’on encaisse, on doit les oublier, se dire qu’on les analysera plus tard, après le match. Pendant la partie, il faut rester concentré, ne pas se dire qu’on n’a rien fait de mal mais que c’est 3-0. On s’est entraîné, on a travaillé dur pendant des années pour atteindre ce niveau. Alors, la prochaine occasion de faire un arrêt, il faut la saisir. C’est un cliché mais c’est ça qu’un gardien expérimenté essaye de faire : ne pas laisser la déception l’emporter, ne pas se laisser abattre. On me l’a dit des centaines de fois lorsque j’étais plus jeune. J’essayais d’écouter mais je n’ai véritablement compris que lorsque j’ai constaté ce qui se passait lorsqu’on se laissait envahir par la déception.

Qu’est-ce qui vous attire dans le championnat espagnol ?

Ryan : Le fait d’affronter les meilleurs joueurs du monde, de travailler dans un environnement où la marge d’erreur est très étroite et les aspirations, très élevées. Quand on fait un boulot, quel que soit le secteur, on veut se mesurer au plus haut niveau, non ? On ne vit qu’une fois, on veut la meilleure vie possible. Et ma vie à moi, c’est le football.  »

A vous entendre, on dirait que le championnat d’Espagne est le meilleur du monde.

Ryan : Le style des gardiens espagnols, c’est mon style. Bien sûr, tout le monde aime la Premier League. Y jouer, c’est encore autre chose. Mais quand je vois la Ligue des Champions, je me dis que des clubs comme l’Atlético Madrid, le Real Madrid et Barcelone sont des pur-sang. Au cours des dernières années, l’Espagne est le pays qui a obtenu les meilleurs résultats en Ligue des Champions.

Pourquoi le style des gardiens espagnols vous convient-il mieux que le style des gardiens anglais ?

Ryan : C’est une question de perception et de stéréotypes propres à chaque pays. Quand on songe aux gardiens anglais, on voit immédiatement des armoires à glace. Pour moi, en Espagne, les gardiens sont moins grands mais ils jouent le rôle de libéros. Ils sont plus actifs et proactifs. C’est cela qui m’attire. Je crois cependant que je pourrais jouer partout, y compris en Premier League. J’ai déjà affronté des attaquants de grande taille, ça ne leur garantit pas de marquer.

 » C’était le bordel à Valence  »

En 2015, lorsque vous êtes parti à Valence, votre carrière était en plein boom. A ce moment-là, le ciel était la limite.

Ryan : Je me laissais porter par la vague, je profitais de la vie et du football. Je ne dirais pas que je n’avais pas connu de déceptions – je n’avais pas été champion avec Bruges, par exemple – mais, sur le plan personnel, tout allait bien. Je n’avais jamais été écarté pour très longtemps. Jusqu’à ce que je me blesse à Valence et que les choses se compliquent. Finalement, je suis revenu et j’ai repris ma place mais les résultats n’ont pas suivi, nous avons changé cinq fois d’entraîneur et j’ai fait la navette entre l’équipe et le banc de touche.

Ça semblait être le bordel à Valence.

Ryan : (il rit) Et c’était le cas.

Vous n’auriez pas pu prévoir cela au moment de signer là-bas ?

Ryan : Valence était un club historique. Au cours des années précédentes, il avait souvent terminé entre la troisième et la cinquième place. Lorsque j’ai signé, il venait de se classer quatrième. L’entraîneur devait rester et, dans les grandes lignes, le noyau ne devait pas beaucoup changer. Le club qui s’intéressait à moi devait avoir de l’argent pour payer mon transfert. Je me disais donc qu’il me voulait vraiment car on ne jette pas des millions par la fenêtre. Je pensais que cela m’aiderait à devenir premier gardien mais il semble bien que dans la vie, on ne puisse rien prévoir.

Quelles leçons tirez-vous de cette expérience ?

Ryan : Par le passé, lorsque j’habitais encore en Australie, je trouvais qu’il était normal de passer du temps avec ma famille. Lorsque je suis arrivé en Europe, ça m’a manqué. Aujourd’hui, quand je rentre au pays, je profite vraiment de tous les petits repas, des promenades ou des discussions avec la famille. Quand on vous reprend quelque chose, vous apprenez à l’apprécier. J’ai ressenti le même effet au football. Pour moi, il n’y a pas de sentiment plus fort que d’avoir contribué à la victoire de son équipe. Quand on perd cela, on est déçu et on veut se battre pour le récupérer. Et quand ça arrive, on cesse de penser que tout va de soi. Cela m’a motivé à vouloir faire encore mieux. Mais bien entendu, il faut trouver un équilibre, on ne peut pas se mettre trop de pression non plus.

 » Il ne faut jamais dire jamais  »

Serez-vous toujours à Genk la saison prochaine ?

Ryan : Il ne faut jamais dire jamais mais j’ai des objectifs plus importants. Je veux jouer au plus haut niveau et j’ai un contrat avec un club de ce niveau. Pour quatre ans encore. J’espère retourner en Espagne.

Mais vous verrez désormais Valence d’un autre oeil.

Ryan : Après ce qui s’est passé, je veux des certitudes. Je veux savoir si je vais jouer, sans quoi je chercherai ailleurs.

Dernière question, pour le fun : si vous deviez féliciter un joueur pour un but qu’il vous a inscrit, ce serait qui ?

Ryan : (il rit) Féliciter quelqu’un qui marque contre moi ? Vous n’y pensez même pas !

Mais s’il s’agit d’un but parfait, contre lequel vous ne pouvez rien faire, vous n’appréciez pas malgré tout ?

Ryan : Je ne pense pas en être capable, non.

Même pas si c’est Messi qui marque ?

Ryan : Tout le monde dit ça : c’est quand même un but de Messi. Mais non, je veux être l’exception. Car celui qui empêche le meilleur joueur du monde de marquer est le meilleur gardien du monde.

PAR KRISTOF DE RYCK – PHOTOS KOEN BAUTERS

 » Je veux la meilleure vie possible. Et ma vie à moi, c’est le football. Je veux donc le meilleur du football.  » Mathew Ryan

 » Féliciter quelqu’un qui a marqué contre moi ? Pas question, même si c’est Messi.  » Mathew Ryan

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