Le Ciac, bouée de sauvetage des musées ?

La première brique du Centre international d’art et de culture n’est pas encore posée, mais déjà, les critiques fusent.

Achever un chantier de plus de 23 millions d’euros en deux ans et demi : Liège semble aimer les défis ! La Ville est en réalité au pied du mur. Soit elle passe à la vitesse supérieure, soit les fonds européens Feder destinés à subsidier le Ciac lui passeront sous le nez. La course contre la montre a commencé.

Après le BAL, le Mamac ou le Mulum, les musées communaux devraient donc compter un nouvel acronyme d’ici à 2015. Le Ciac, Centre international d’art et de culture. Un projet dont on parle depuis 2006 et qui avait alors été fomenté par le GRE, le groupe de redéploiement économique liégeois.

Le Ciac ne sera pas réellement un musée.  » C’est une structure inédite en Belgique !  » s’enthousiasme Jean-Pierre Hupkens, échevin socialiste de la Culture. Ce sera plutôt un espace dédié à accueillir des expositions temporaires  » de niveau européen « , trois tous les deux ans. Les estimations (très) optimistes tablent sur une fréquentation annuelle de 600 000 personnes. Il remplacera l’actuel Mamac, le musée d’arts moderne et contemporain du parc de la Boverie qui s’offrira pour le coup une rénovation et une vaste extension.

L’infrastructure est censée devenir la cerise sur le gâteau de l’offre muséale liégeoise qui, ces dernières années, a radicalement mué. Réouverture du Grand Curtius en 2006 après 46 millions de travaux, inauguration du BAL (Beaux-Arts de Liège) en 2011, remise à neuf du musée Grétry à nouveau accessible depuis mars…

Puis, d’ici à fin 2015, le Ciac. Si tout va pour le mieux, donc. Or les pouvoirs publics n’ont toujours pas attribué les travaux ni l’exploitation des lieux, qui sera assurée par un concessionnaire privé. Le premier appel s’était soldé en février dernier par deux remises d’offres trop onéreuses. Un autre appel a dû être organisé dans la foulée.  » Il arrive à échéance fin 2013, décrit Jean-Pierre Hupkens. Après, il y aura deux ans de travaux et une inauguration fin 2015. C’est impératif.  » Un calendrier trop serré ? L’échevin s’en défend.  » On est dans une transformation, pas dans une construction. C’est plus rapide.  »

Une boîte vide ?

D’autres doutent sérieusement du respect du délai. Et de la pertinence du projet.  » 2015 me semble difficilement tenable, juge Pierre Gilissen, conseiller communal MR et président de la commission Culture. Lors du premier appel, on aurait pu penser que les offres viendraient de l’étranger vu l’ambition internationale proclamée. Or seuls deux groupes belges ont remis prix. C’est inquiétant.  » Et de se questionner sur le contenu du futur Ciac, encore flou aujourd’hui.  » A terme, l’endroit deviendra un lieu tendance pour organiser des réceptions, prédit François Schreuer, conseiller communal Vega (Verts et à gauche). On est en train de transformer un musée en boîte vide. Ce qu’on nous présente comme le futur navire amiral de la Ville est dénué de mission culturelle. Et comme il sera géré par un privé, le risque est qu’il n’y ait aucune interaction avec le reste des infrastructures.  »

Pour Jean-Marc Gay, directeur des musées de Liège, le futur centre international devrait au contraire drainer le public vers l’offre muséale existante, qui en aurait bien besoin. Malgré les espoirs (et les millions) placés sur le Grand Curtius, celui-ci n’a jamais attiré les 150 000 visiteurs annuels annoncés. Cent mille firent le déplacement en 2009. Ils n’étaient plus que 50 000 en 2011.  » Mais nous avons augmenté la fréquentation de 20 % en 2012 « , assure le responsable. Quant au BAL, ouvert à la va-vite en 2011, il manque totalement de visibilité. Au sens propre comme au figuré : bien malin celui qui pourrait le remarquer, caché sur les hauteurs de la rue Saint-Georges…

 » On n’attire pas les mouches…  »

Aux yeux de François Schreuer, le Grand Curtius manquerait de cohérence, lui qui abrite aussi bien des arts religieux que des collections d’armes.  » Il faudrait une offre moins large mais de meilleure qualité. La Ville manque aussi d’un pass unique qui permettrait d’accéder à tous les musées, communaux ou non.  »  » On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, ajoute Pierre Gilissen. Il fut un temps où Liège accueillait des Monet, Chagall, Picasso… Aujourd’hui, plus rien. Il faut à nouveau miser sur les grands événements.  »

Jean-Marc Gay n’y serait pas opposé.  » Mais ces grandes expos coûtent aujourd’hui extrêmement cher !  » Et les moyens manquent déjà pour promouvoir les collections et infrastructures existantes… Un pass unique ?  » J’espère concrétiser cela en juin.  » Des trésors trop hétéroclites au Grand Curtius ?  » Ce dont nous souffrons, c’est du manque de hiérarchisation dans la présentation. Cinq mille pièces seront bientôt présentées autrement.  » Le BAL ?  » On va libérer des locaux pour qu’il ait plus de visibilité.  »

Quant à la fréquentation, le directeur cite les efforts consentis pour sensibiliser les Liégeois, attirer un public scolaire, réaliser un magazine culturel, accroître la promotion, améliorer les traductions, obtenir plus de subsides en passant en catégorie A aux yeux de la Fédération Wallonie-Bruxelles… Le Ciac devrait faire le reste. Si les travaux sont terminés d’ici à 2015.

MÉLANIE GEELKENS

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