Des super-flics contre les pollueurs

Pollutions des rivières, trafic de déchets, dégagements sauvages de dioxines… En Wallonie, la nature a l’habitude de trinquer. Mais la tolérance, c’est fini ! Benoît Lutgen, le ministre de l’Environnement, annonce la création d’une police spéciale de l’environnement. Interview exclusive

En Wallonie, on peut se permettre à peu près n’importe quoi avec l’environnement. Le risque de se faire pincer est faible. Celui de payer la note avancée par un tribunal est voisin de zéro. Des exemples ? Ils foisonnent. En janvier 2005, à Lobbes (province de Hainaut), des ouvriers travaillant pour une intercommunale déversent tranquillement le contenu nauséabond de fosses septiques et d’égouts communaux dans un collecteur. L’opération, interdite, paralyse aussitôt la station d’épuration située en aval qui, saturée, rejette le trop-plein de matières fécales dans le ruisseau. Le parquet sera prévenu par… la presse. La même année, des industriels sans scrupules relâchent une grande quantité de cyanure dans la Sambre. Résultat : 40 tonnes de poissons le ventre en l’air et quinze ans d’efforts de repeuplement de la rivière ruinés.

De tels exemples ne sont que le sommet de l’iceberg. Aux quatre coins de la Wallonie, des collecteurs de déchets se  » spécialisent  » dans la récupération des pneus usagés. Après s’être fait grassement payer pour l’enlèvement de la marchandise, ils incendient leur dépôt – bonjour la dioxine dans l’atmosphère ! – et s’évanouissent dans la nature, le magot soigneusement mis à l’abri. De telles affaires ne concernent pas exclusivement de vils trafiquants. De simples particuliers, mais aussi de petites et moyennes entreprises, n’ont aucun mal pour balancer leurs ordures de chantier le long des routes et dans les chemins creux de nos campagnes. L’année dernière, rien qu’au bord des voiries régionales, on a dû évacuer 7 000 tonnes de déchets, 228 tonnes de pneus et 3,5 tonnes de batteries. Coût pour la collectivité : 5 millions d’euros.

Que fait la police ? Au fédéral, elle a d’autres chats à fouetter que l’environnement. Les policiers locaux, eux, sont rarement spécialisés : une condition pourtant indispensable à un bon travail. Chaque année, des centaines de dossiers de pollution sont classés sans suite par les parquets, à cause de procès-verbaux mal rédigés. Certes, une police spécialisée, la Division de la police de l’environnement (DPE), est censée réprimer les infractions liées au cadre de vie. Mais un audit, en 2003, avait conclu à la nécessité urgente de la réformer. Non que tout y fut à jeter, mais voilà : en Wallonie, la crainte du képi vert est nulle. Il manque une véritable force de frappe, capable de mener des enquêtes dignes de ce nom, d’investiguer discrètement et de remonter les filières, un peu à l’instar de l’Unité anti-braconnage (UAB) qui, depuis 2003, a fait ses preuves dans le petit monde de la forêt et de la chasse.

Le coup de projecteur donné par cet audit n’était pas seulement le fait d’environnementalistes aigris. Il est aujourd’hui partagé par les autorités judiciaires et, de plus en plus, par des ténors politiques ou issus de l’administration. Un document confidentiel de la Région wallonne annonce un renversement de la vapeur et – enfin – des actes concrets avec la création d’une unité spéciale de répression dans ce domaine. Nous avons demandé à Benoît Lutgen (CDH), le ministre wallon de l’Environnement, de détailler ce projet. Une impression s’en dégage : celle que le redressement de la Wallonie et de son image pourrait – aussi – passer par là.

Le Vif/L’Express : En quoi consiste cette cellule de répression des infractions environnementales ?

E Benoît Lutgen : Il s’agira d’une équipe de 16 personnes, de préférence très soudées. Contrairement aux agents actuels de la Police de l’environnement (DPE), ses membres auront la qualité d’officiers de police judiciaire (OPJ). Cette particularité facilitera considérablement leurs missions car elle leur donnera un pouvoir coercitif, comme la privation provisoire de liberté ou l’exercice d’un mandat de perquisition délivré sous l’autorité d’un juge. Son organisation sera calquée sur celle de l’Unité anti-braconnage (UAB), actuellement dirigée par un policier de la section criminelle de l’ancienne police judiciaire, qui donne pleinement satisfaction. Elle aura d’ailleurs avec l’UAB un dénominateur commun : le recours à une banque de données spécialisées, la formation à l’usage d’armes à feu, aux techniques d’enquête, à la rédaction de procès-verbaux, etc. Un juriste, un armurier et un logisticien travailleront à la fois au service de l’UAB existante et à celui de la future cellule, qui s’appellera probablement l’Unité antipollution (UAP) ou l’Unité de répression des pollutions (URP). Le trio qui dirigera cette double cellule sera composé, au total, de trois policiers fédéraux, familiarisés avec les noyaux durs de la délinquance.

Quelles seront les missions de cette Unité ?

E Benoît Lutgen : Elle s’occupera des grosses atteintes portées à l’environnement : les trafics de déchets, les déversements illicites de produits dangereux, les stocks sauvages de pneus, les pollutions des rivières. Il ne s’agit pas d’aller vérifier la teneur exacte des gaz qui sortent des cheminées des usines : la DPE s’en occupe déjà et des mesures en continu s’exercent sur les principales activités industrielles. Mais, si des sites industriels sont soupçonnés de participer à des trafics ou des importations de déchets, alors oui : cela fera partie de ses missions d’intervenir sur place. Ce que je veux, c’est donner un bras armé à la DPE. Je ne peux plus tolérer que ses agents, censés enquêter sur de tels délits, n’aient pas accès aux sites suspects sous prétexte que ceux-ci sont fermés pendant le week-end et que la pollution a eu lieu un vendredi ! Il est intolérable que des inspectrices de la DPE soient empêchées d’exercer leur travail dans une décharge douteuse, sous prétexte que l’exploitant, haut d’un mètre nonante, les accueille à coups d’injures et de menaces.

Vous supprimez l’actuelle police de l’environnement ?

E Benoît Lutgen : La DPE ne changera pas dans un premier temps. Je ferai d’ailleurs un appel interne pour y recruter les agents de la nouvelle cellule. Des agronomes, des chimistes, des biologistes seront peut-être intéressés par l’exercice de missions plus dures. Mais il faut y modifier une certaine culture interne qui, parce que sa hiérarchie est trop peu répressive, laisse en friche certaines fonctions : recherches, filatures, proactivité, etc. Ceux qui ne veulent pas de cette réforme risquent de rester à quai. Rendez-vous compte : à peine la Région a-t-elle fait assainir 42 sites, envahis de montagnes de pneus usagés, que 30 nouveaux dépôts sauvages se sont rapidement créés ! Veut-on encore de cette image lamentable pour la Wallonie ? Lorsqu’un sous-produit industriel comme du cyanure est déversé de nuit dans une rivière, c’est de santé publique qu’il s’agit, pas uniquement d’environnement ! Les auteurs doivent être identifiés rapidement. Les liens avec le parquet doivent être renforcés. Avec une bonne enquête, la sanction tombera plus vite et l’effet dissuasif jouera pleinement auprès de tous.

Cette nouvelle police risque de coûter cher. L’heure est aux économies dans la fonction publique… Quelles garanties avez-vous que cette réforme passera la rampe ?

E Je suis confiant. L’engagement des 16 membres de l’URP devrait coûter 1,2 million d’euros. Il faut y ajouter 500 000 euros pour le matériel et la formation. J’ai l’espoir que cette nouvelle structure s’autofinancera à raison de 1 à 1,5 million d’euros, via la perception d’amendes. Il ne faut pas oublier que toutes ces atteintes à l’environnement ont un coût qui, à un moment ou à un autre, est à la charge de la collectivité. Pensez aux milliards de francs qu’il a fallu pour assainir des pollutions  » historiques  » comme Mellery. Aujourd’hui, chaque fois qu’il faut épurer une rivière ou nettoyer un bois, il faut mobiliser des moyens humains et techniques considérables. Au final, tout le monde peut être gagnant avec une telle réforme.

Entretien : Philippe Lamotte

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