Mes proches et moi

Tout préoccupés par leur épanouissement personnel, les Belges sont de plus en plus nombreux à se faire du bien, à se permettre un petit joint ou un divorce. Les Flamands seraient même plus permissifs que les Wallons

Moi, moi, moi. C’est une valeur très individuelle qui se trouve désormais en tête des préoccupations des Belges (voir tableau 2) : 97,4 % des sondés accordent de l’importance, voire une très grande importance à leur santé. Cela passe avant la famille (plébiscitée par 94,7 % des répondants), les amis et les connaissances (90,2 %). Evolution notoire :  » Voici dix ans, dans une autre enquête sur les valeurs en Belgique, la santé arrivait après la famille « , commente Olivier Servais, anthropologue à l’UCL (Université catholique de Louvain). On semble donc s’orienter vers une société plus pragmatique, davantage attachée au concret. Quoique : dans leurs commentaires, certains répondants évoquent  » la santé de ma famille, celle de ceux que j’aime… « . En effet, au gré des études, les sphères familiale et amicale se recoupent.  » Ce n’est pas l’institution familiale qui est importante, mais le cercle des proches « , poursuit Servais. Ainsi, l’attachement peut être plus fort pour les enfants d’un nouveau conjoint que pour une grand-mère de sang.

Le culte du corps

La famille est encore plus évoquée par les francophones (96,3 %) et apparaît comme la valeur refuge. Dans une situation de crise, la solidarité permet de s’en sortir. En revanche, dans une société riche comme la Flandre, l’individu prend toute son amplitude. 43,9 % des Flamands accordent de l’importance à leur apparence, pour seulement 27,5 % des francophones. Petit-bourgeois ?  » Cet intérêt renvoie au culte du corps, à la beauté de l’individu vivant, ici, maintenant « , ajoute l’anthropologue de l’UCL.

En revanche, la valeur la moins importante serait la religion (score de 22,2 % seulement).  » Je crois plus en l’homme, notamment en politique, qui aura la force, le courage d’imposer des idées pour le bien du plus grand nombre « , commente un participant à notre enquête. Le politique fait en effet l’objet d’une montée en puissance : près d’un Belge sur 2 la juge importante dans notre sondage, pour 1 sur 4, lors de l’Eurobaromètre sur les valeurs de 1990. Certains sociologues se demandent si cela traduit une attente accrue des gens à l’égard des gouvernements et des partis face à des problèmes de société plus complexes, notamment en termes d’emploi.

Le système des valeurs des Belges s’affine quand ils précisent leurs aspirations pour le futur (tableau 3). Ils confirment alors leur attachement à la famille et leur volonté de lui consacrer du temps (83,6 %). Mais il est presque tout aussi important pour eux d’être attentifs à l’épanouissement personnel (81,5 %) ou à une vie plus simple et naturelle (77,2 %). L’esprit zen prévaut. Car seule une minorité de Belges, un tiers, plaident pour un retour à l’autorité.

Résultat d’une telle permissivité (tableau 4, p. 37) ? Le développement culturel de la liberté individuelle accroît la libre disposition de soi. Les sociologues parlent d’une véritable transition éthique au cours des dernières décennies : le rapport au corps, à la vie et à la mort a été soustrait aux prescriptions de la tradition judéo-chrétienne. Ainsi, parmi nos répondants, le divorce comme l’euthanasie sont largement acceptés, sauf pour environ… 5 % de la population ! A titre de comparaison, en 1981, lors du premier Eurobaromètre, 44 % des Belges sondés rejetaient le divorce et 58 % l’euthanasie. Les résistances restent plus vives quant au suicide que 32,5 % de notre échantillon n’acceptent pas. Mais, voici vingt-cinq ans, ils étaient 78,4 % à s’y opposer.

Même évolution en matière bioéthique : il n’y a plus qu’un Belge sur 4 pour s’opposer aux expériences scientifiques sur des embryons humains, contre 4 sur 5 voici dix ans, en 1999.

Tolérance zéro pour les incivilités

Cette remise en cause des tabous et des interdits contraste avec une forme de  » tolérance zéro  » en matière d’incivilités, avec un renforcement des normes en matière de police et de justice. Le résultat de politiques davantage sécuritaires ? Le comble de l’incivisme consisterait désormais à jeter ses papiers par terre, un comportement inacceptable pour 95,7 % des Belges !

 » Cette échelle de la permissivité enterre les mythes qui collent à la peau de Wallons qui seraient plus laxistes ou fraudeurs, poursuit Servais. Globalement, il n’y a pas de différences fondamentales entre les répondants du Nord et du Sud. On observe juste une tolérance plus grande des Flamands face à la marijuana, sans doute sous l’influence hollandaise, mais aussi à l’égard de l’euthanasie, du suicide, des manipulations génétiques, etc.  » La Flandre apparaît plus moderne, plus pragmatique :  » Il faut aller de l’avant, surtout, si cela me concerne, si ce sont mes affaires.  » En comparaison, en Wallonie, comme en France, on va plus facilement brandir le principe de précaution.

Feu rouge, toutefois, pour le code de la route, à propos duquel les Flamands sont toujours un peu plus sourcilleux que les francophones. Un plus grand respect des lois ou des règles appartient à la mentalité anglo-saxonne. En revanche, en matière de pots-de-vin ou de travail au noir, les Wallons auraient davantage tendance à fermer les yeux.  » Cette tolérance à l’égard de la débrouille se note dans tous les Etats en crise : mais, en Wallonie, on n’est pas en Albanie, poursuit l’anthropologue de l’UCL. Les différences de sensibilité par rapport à la Flandre restent minimes.  » Enfin, la Wallonie paraît plus marquée par l’affaire Dutroux : les francophones sont beaucoup plus nombreux que les néerlandophones à ne trouver aucune justification à entretenir des relations sexuelles avec des mineurs et même à s’opposer à la prostitution.

Une société multiculturelle

Cela dit, être plus permissif ne veut pas dire plus tolérant, notamment à l’égard des minorités (tableau 5, p.38).  » Même si un tiers des Belges sont disposés à accueillir n’importe qui comme voisin « , relève Anne Morelli, historienne à l’ULB (Université libre de Bruxelles). Mais, globalement, la société belge s’assumerait davantage comme multiculturelle.  » Au gré des enquêtes sur les valeurs, on observe de moins en moins d’aversion vis-à-vis de l’étranger, note Servais. En revanche, le rejet des personnes incontrôlables augmente.  » 63,7 % des gens préféreraient ne pas avoir de drogués près de chez eux. Les alcooliques sont rejetés par 1 Belge sur 2 et les personnes instables émotionnellement par 30,4 %.

Ensuite, le racisme touche d’abord les gitans (28,3 % d’opposition), puis les musulmans (20,5 %).  » Mais on craint aujourd’hui davantage les gens avec des chiens (17,5 %) que les immigrés (9,6 %), davantage les familles nombreuses (6,3 %) que les juifs (4,4 %) « , relativise Anne Morelli en riant. L’intolérance semble croître avec l’âge. Entre les plus de 55 ans et les moins de 25 ans, les réactions de rejet tombent d’environ dix points à l’égard des alcooliques, des gitans, des musulmans, des gens avec un casier judiciaire et des chiens.

Les Belges n’auraient-ils plus confiance qu’en eux ? En tout cas, la crédibilité des institutions est d’autant plus grande qu’elles sont ancrées dans la vie quotidienne. Dans notre sondage, c’est l’enseignement qui jouit du crédit le plus élevé (83,7 %), sans doute parce qu’il reste le moyen le plus sûr d’ascension sociale. De quoi mettre un peu de baume au c£ur des enseignants. Puis viennent le mariage (74,1 %), la sécurité sociale (73,4 %), les gens en général (71 %), etc. Sur Internet, une personne sondée explique :  » Je crois en l’homme qui donne sens à la vie, en la liberté, la responsabilité, l’autodétermination, etc. Ce sont les valeurs des athées.  »

Les lois de Rome

En comparaison, la cote de confiance de l’Eglise se limite à… 23,3 %. L’institution est clairement rejetée :  » Je ne suis pas pratiquante parce que je ne peux pas accepter les lois de Rome : elles ne sont pas humaines « , explique un internaute catholique. La chute donne le vertige par rapport à l’Eurobaromètre de 1990, quand près de la moitié de la population (49 %) marquait encore sa confiance en l’Eglise.

D.K

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