Pas assez de langues dans le supérieur !

Dans l’enseignement supérieur, les langues ne sont pas logées partout à la même enseigne. Si quelques établissements en font une priorité, la plupart pourraient beaucoup mieux faire. Mais la situation s’améliore lentement.

C’est une vieille rengaine, qu’aiment marteler les employeurs confrontés à une pénurie de talents : le niveau en langues étrangères des jeunes diplômés serait trop faible par rapport aux attentes du marché du travail. Plusieurs coupables sont pointés du doigt : la rareté des cours dans le fondamental, l’insuffisance de ceux du secondaire, le manque d’attrait des étudiants eux-mêmes… Mais sur le banc des accusés, l’enseignement supérieur occupe une place de choix. Les universités et hautes écoles négligeraient l’apprentissage des langues. Une réputation justifiée ?

S’il est vrai que par le passé, la plupart des établissements n’en faisaient pas une priorité, la donne serait en train de changer. Mais il serait risqué de généraliser.  » Il y a sans doute des lacunes et cela reste variable en fonction des cursus, concède Toni Bastianelli, directeur de la haute école de la province de Liège. Dans les filières économiques, on va par exemple organiser un semestre de cours en anglais. Mais on ne le fait pas pour le bachelier d’assistant social, parce que cela ne se justifie pas.  »

Chaque institution décide du nombre d’heures de cours qui fera partie du programme.  » Les départements se basent sur l’analyse du marché de l’emploi, sur les témoignages de diplômés, sur ce que proposent les autres universités, sur des audits internes… « , détaille Christine Bouvy, sous-directrice de l’Institut supérieur des langues vivantes de l’ULg.

Cours de langue ou cours en langue étrangère ?

Dans la limite des moyens disponibles, les contraintes budgétaires existent. L’enseignement des langues coûte cher car il ne peut être donné dans des amphis de 600 personnes, mais uniquement en petits groupes. Par ailleurs, les grilles horaires ne seraient pas extensibles à l’infini.

Une alternative existe : les cours en langue. L’argument financier est ainsi contourné et les professeurs n’y voient pas d’inconvénient, eux qui pratiquent souvent l’anglais dans le cadre de leurs recherches. Ces cours sont en constante augmentation. Mais ici aussi, des contraintes subsistent. Décrétales, d’abord. Il est légalement interdit de prévoir plus de 25 % du cursus prodigué en langue étrangère en bachelier, et 50 % en master, même si des dérogations existent. La situation s’améliore : avant le récent décret  » Paysage « , qui entre en vigueur en cette année académique 2014-2015, l’immersion était interdite durant les trois premières années du supérieur.

Autre inconvénient : ce type de pédagogie n’est envisageable que si les étudiants possèdent un niveau minimum. Ce qui serait loin d’être toujours le cas.  » L’enseignement secondaire ne fait pas toujours très bien son travail, regrette Philippe Neyt, directeur de l’Institut des langues vivantes de l’UCL. On se retrouve confronté à une très grande hétérogénéité à laquelle on doit s’adapter. Par exemple, 70 % des étudiants possèdent un niveau élémentaire de néerlandais lorsqu’ils arrivent en première.  »

La situation serait cependant meilleure en anglais. La langue de Shakespeare est d’ailleurs le premier choix dans l’enseignement supérieur. Parce qu’elle serait plus répandue dans le monde du business, mais aussi parce que les étudiants se tournent plus volontiers vers elle que vers celle de Vondel.  » On a beau répéter aux jeunes que le néerlandais est important, ils pensent qu’ils pourront s’en passer, pointe Philippe Emplit, vice-recteur à l’ULB. Jusqu’au jour où ils passent leurs premiers entretiens d’embauche… C’est le jour où on saute à l’eau qu’on se rend compte qu’il faut savoir nager !  »

Priorité à l’anglais également en raison de la présence d’étudiants internationaux, pour qui le néerlandais pourrait tout aussi bien être du chinois.  » Chez nous, 30 % des inscrits viennent de l’étranger et n’ont aucune notion de néerlandais. On ne peut pas leur imposer ces cours « , poursuit le vice-recteur bruxellois.

S’il accorde de plus en plus de place aux langues, l’enseignement supérieur continue de penser que la maîtrise de celles-ci ne fait pas complètement partie de ses obligations.  » L’université n’estime pas qu’elle est entièrement responsable de cela. Il n’y a pas de raison qu’elle compense ce que les autres niveaux scolaires n’ont pas réalisé. Et les étudiants doivent aussi prendre leur formation en main « , lance Vincent Wertz, prorecteur à l’UCL.

Et de citer de nombreuses possibilités mises à leur disposition : séjours linguistiques à l’étranger (ou en Flandre), cours du soir, tables de conversation, opportunité de suivre un cursus dans une université néerlandophone (VUB à l’ULB, KUL à l’UCL), tandems linguistiques entre deux jeunes d’établissements différents…

Ceux qui mettent le paquet

 » On sait aussi que le fait de posséder un permis B est important pour décrocher un emploi. Mais ce n’est pas pour cela qu’on va dispenser des cours d’auto-école ! ajoute le prorecteur. Les employeurs voudraient aussi des choses qui n’existent pas. Des diplômés trilingues, qui possèdent déjà 5 ans d’expérience… Sans leur en laisser le temps.  »

Cette vision n’est pas partagée par tous. Si les universités offrent grosso modo les mêmes opportunités (pas toujours très poussées), certaines hautes écoles ont décidé de mettre le paquet sur les langues. L’Ichec (Brussels management school) et l’Ihecs (Institut des hautes études des communications sociales) restent des établissements souvent cités en exemple. Dès la première, des cours tant en anglais qu’en néerlandais sont orchestrés. Et les échecs dans ces deux branches sont difficilement acceptés pour passer à l’année suivante.

 » C’est une question de choix d’institution, souligne Martine Osterrieth, secrétaire académique aux études à l’Ichec. On contourne les problèmes budgétaires et de grille horaire en prodiguant des cours en langue. C’est un critère qui compte beaucoup lorsque les jeunes viennent s’inscrire.  »

 » On met aussi en avant le taux d’insertion de nos diplômés sur le marché de l’emploi « , ajoute-t-elle. Soit 80 % qui trouvent un job dans les trois mois. Pas seulement grâce aux langues : les profils économiques sont certainement plus demandés que d’autres.  » Mais ça y contribue « , conclut-elle. Un exemple à suivre ?

Dossier coordonné par Philippe Berkenbaum, avec Mélanie Geelkens

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