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Corée du Nord: « Le pouvoir compte plus que la vie d’un homme »

Le Vif

Avec l’exécution de son oncle, Jang Song-Thaek, le jeune dictateur nord-coréen Kim Jong-un semble prendre en main totallement le pouvoir. Mais les divergences au sommet de l’Etat sont nombreuses.

Par Marie Le Douaran, de L’Express.fr avec AFP

Au terme d’un procès expéditif, Jang Song-Thaek a été exécuté. L’oncle de l’actuel dirigeant de la Corée-du-Nord, Kim Jong-un, avait été limogé la semaine dernière avant de disparaître de la vie publique.

Deux ans après son arrivée au pouvoir, à la mort de son père, le poupon Kim Jong-un a mis en place la purge la plus violente au sommet de l’Etat depuis des décennies. Prise en main du pouvoir ou signe d’instabilité à la tête de la Corée du Nord?

Masquer les maux du pays?


Pour certains observateurs, non content de limoger et exécuter son oncle, numéro deux officieux du pouvoir et régent, Kim Jong-un lui a fait porter tous les maux du pays. « Le Nord a besoin d’un bouc émissaire pour s’exempter de tous les échecs » économiques et politiques, estime Cha Du-Hyeogn, de la fondation coréenne. Selon des propos rapportés par l’agence officielle nord-coréenne KCNA, Jang a avoué lors de son procès avoir « essayé d’attiser les plaintes du peuple et de l’armée contre l’échec du régime actuel à gérer la situation économique et les moyens de subsistance de la population ». Des paroles qui semblent reconnaître, même de façon indirecte, les difficultés économiques du pays.
« La situation économique est meilleure qu’il y a 15 ans, et je ne suis pas sûr qu’il faille aujourd’hui tuer un homme pour détourner l’attention de ces problème » tempère Pierre Rigoulot, directeur de la revue Histoire et Liberté, spécialiste de la Corée du Nord.

Tenir le pouvoir d’une main de fer

« Kim Jung-un a assis son pouvoir en se débarassant de cet homme » analyse Pierre Rigoulot, « et toute la vieille garde a été liquidée, comme sous Mao ou Staline ». Des sept hauts responsables qui l’entouraient lors des funérailles de son père en décembre 2011, cinq ont été écartées.
Deux hypothèses se détachent pour expliquer cette exécution. La première, il aurait déplu à des personnes qui ne veulent pas que la Corée du Nord change. « L’oncle était supposé être l’homme des Chinois, favorable à des réformes notamment sur le plan économique. Il est également possible qu’il se soit heurté à l’armée qui n’a pas l’air de vouloir lui obéir », avance Pierre Rigoulot. La seconde, le régent a pu oublier qu’il n’était que régent. « Son rôle consistait à aider le jeune homme sans expérience du pouvoir à gouverner. Il a peut-être oublié qu’il n’était qu’un serviteur de luxe ».
Jang Song-Thaek aurait donc déplu à quelqu’un ou quelques-uns. Une exécution rendue publique n’est pas exceptionnel dans les régimes communistes et totalitaires qui ont pour règle de bien faire connaître la traîtrise des opposants, même si cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé en Corée du Nord. Pour Yang Moo-Jin, de l’université des études nord-coréennes à Séoul, « cela vise à instiller une terreur maximale dans la population, afin de garantir la loyauté envers Kim Jong-Un et consolider le pouvoir entre ses seules mains ».

Cette concentration au prix de la vie de Jang Song-Thaek ne serait-elle pas le signe de troubles au sommet de l’Etat nord-coréen? Pour Pierre Rigoulot, c’est plutôt une question systémique. Dans ce genre de régime totalitaire, les places sont chères et « le pouvoir compte plus que la vie d’un homme ». Cette purge semble en tout cas indiquer que la tranquillité ne règne pas. Le cercle dirigeant nord-coréen souffre de divergences sur les orientations politiques et se livre une véritable bataille d’influence, croit savoir Le Monde. Kim Jong-un semblait voir en son oncle par alliance -il était marié à Kim Kyung-hui, la soeur de Kim Jong-il- un rival dont il fallait se débarrasser pour assurer son assise. L’homme, dans les couloirs du pouvoir depuis 40 ans, avait une influence notoire et une ambition tout aussi remarquable.

Dans les pas de la dynastie Kim

« Il n’a pas attaqué directement le coeur de sa famille » remarque Antoine Bondaz, chercheur à Asia Centre, sur RFI, « ni sa tante, ni des potentiels alliés au sein même de la famille » n’ont été visés. Mais en exécutant un membre de sa propre famille, Kim Jong-un que l’on a d’abord cru plus doux que ses prédécesseurs, s’inscrit en fait dans leur lignée. Dans les années 70, Kim Jong-Il, futur dirigeant et père de Kim Jong-Un, s’était débarrassé d’un de ses oncles dont il craignait la concurrence.

Le culte de la personnalité semble être un cheval de bataille de Kim Jong-un, moins charismatique que son grand-père. Pour Yang Moo-Jin, les griefs énoncés contre Jang lors du procès -applaudissements insuffisamment vigoureux lors des discours de son neveu par exemple- signalent un renforcement supplémentaire du culte de la personnalité, déjà omniprésent. « On peut penser que Kim Jong-un ne faisait et ne fait toujours pas le poids, qu’il a du mal à s’imposer et qu’il est donc un peu dans l’exagération » commente Pierre Rigoulot.

La Corée du sud parle de « règne de la terreur », le Japon de « radicalisation » supplémentaire. Kim Jong-un, qui sera attentivement observé lors de la cérémonie d’anniversaire de la mort de son père le 17 décembre, semble en tout cas suivre les pas de ses aïeux.



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