Sans déficit, on court au suicide !

Oui, il faut se résoudre au déficit budgétaire. Sans cela, la Belgique s’enfoncerait dans la récession. Fons Verplaetse (CD&V), chantre de l’assainissement des années 1980-1990, et Laurette Onkelinx, vice-Première ministre (PS), sont d’accord sur ce point. Mais pas tout à fait sur la méthode.

Le Vif/ L’Express : Revoici le temps des déficits budgétaires. La Belgique va-t-elle renouer avec ses vieux démons, qui l’ont fait plonger il y a trente ans ?

EFons Verplaetse : La situation n’est pas comparable. En 1981, la Belgique était l’enfant malade de l’Europe. Il a fallu assainir une situation budgétaire qui était terrible : le déficit, hors charges d’intérêts, s’élevait à 7,4 % du PIB en 1981 ! C’était une maladie spécifiquement belge. En février 1982, la dévaluation du franc belge – qui nous a permis d’augmenter nos exportations et de réduire nos importations – a en partie fait supporter l’ajustement budgétaire par l’étranger. Ce ne serait plus possible aujourd’hui.

Le contribuable a aussi trinqué durant cette interminable cure d’austérité…

EAh ça ! Il a fallu vingt-deux ans pour remonter la pente et combler huit années de laisser-faire dans la décennie 1970.

La crise frappe ; on appelle à nouveau les finances publiques à la rescousse. Au diable, la rigueur budgétaire érigée en modèle de vertu ?

EMaintenir l’équilibre budgétaire dans la crise actuelle, c’est courir au suicide socio-économique. On a la corde au cou, il ne faut pas tirer dessus, mais, au contraire, donner un peu d’air. Nous ne sommes pas seuls dans cette situation.

Va donc pour un retour au déficit. Mais pour quoi faire ?

EIl faut s’attaquer aux handicaps structurels de notre économie. Un : diminuer le coût du travail, en réduisant les charges patronales de sécurité sociale. Sans ce petit cadeau gouvernemental, les partenaires sociaux ne parviendront pas à s’entendre sur un accord interprofessionnel. Deux : combler le retard en matière d’innovation, en augmentant les investissements publics en recherche et développement. Notre gamme de produits ne parvient pas à être concurrentielle.

A l’inverse, que faut-il éviter sous peine de déraper ?

EIl ne faut pas diminuer encore l’impôt des personnes physiques. Ceux qui ont des revenus trop modestes n’en paient déjà pas. Une réduction d’impôts n’aurait donc aucun impact sur ceux qui ont le plus de raisons de se plaindre. On ne doit pas non plus se lancer dans des dépenses publiques de consommation. Il faut poursuivre, sans répit, la restructuration de La Poste et le programme de réduction du nombre de fonctionnaires. Je suis contre tout relâchement du plan d’assainissement de la Fonction publique.

Quand on commence à s’endetter, est-on capable de s’arrêter à temps ?

EUn déficit temporaire et limité à 2 %, ne m’inquiète pas. Emprunter n’est pas trop grave : les taux d’intérêt tournent autour de 4,5 %. En 1981, ils se situaient aux alentours de 12 % ! Tout est une question de volonté politique. Dans le temps, le Belge attendait d’être très malade avant de faire venir le médecin. J’espère qu’on en retiendra la leçon.

N’empêche : quand la bise fut venue, l’Etat se retrouva sans le sou…

EIl n’y a pas de tirelire, effectivement. La diminution des taux d’intérêt enregistrée depuis 1999 était un cadeau pour les finances publiques. Mais 90 % de ce cadeau a été dépensé au cours de ces années d’euphorie, en réduction d’impôts et en dépenses publiques de consommation. Et non en investissements.

Le monde politique est incorrigible…

EJe ne crois pas que les politiques, avec leur mentalité, soient capables de construire des excédents budgétaires de façon durable.

On doit lâcher du lest aujourd’hui. Faudra-t-il à nouveau se serrer la ceinture pour compenser ce relâchement, même temporaire ?

EPas par une nouvelle cure d’austérité. La reprise économique fera repartir les recettes à la hausse. Mais on ne pourra plus faire de cadeaux aux contribuables !

Piloter un déficit budgétaire contrôlé exige un gouvernement fort et uni. Ce n’est pas vraiment le cas…

EC’est le moins qu’on puisse dire, et je n’aime pas ça. L’éparpillement des forces politiques en Flandre n’est pas un bon signe, non plus.

Le Vif/ L’Express : En tant que vice-Première ministre socialiste, vous plaidez en faveur d’un déficit budgétaire. Serait-ce le retour des vieux démons dépensiers des années 1980 ?

E Laurette Onkelinx : Ah non ! Ce déficit-ci est conçu pour être temporaire et répondre à une situation urgente. Pas question d’en faire un déficit de long terme.

Mais les décisions prises aujourd’hui vont fatalement avoir des répercussions dans plusieurs années !

ESi on ne faisait rien pour alléger les conséquences sociales de la crise, les finances publiques plongeraient de toute façon dans le rouge. A cause du ralentissement de la croissance, le budget de l’Etat accusera un déficit de 0,5 à 0,7 % en 2009, et ce à politique inchangée. Alors, autant agir et tenter de limiter l’ampleur de la récession économique. Le tout sera d’agir de la manière la plus pertinente possible.

Et quelle serait la meilleure façon d’agir ?

EIl faut privilégier des mesures qui n’hypothéqueront pas l’avenir. Un exemple : anticiper des investissements à la SNCB me paraît une meilleure idée que d’augmenter les indemnités versées aux travailleurs mis en chômage technique. Les travaux sur le réseau ferroviaire devront de toute façon être réalisés : on ne prendrait qu’un peu d’avance sur le calendrier prévu. En revanche, il serait très difficile d’un jour revoir à la baisse des indemnités qui auraient été augmentées en période de crise.

Tout le monde n’est pas d’accord, au sein du gouvernement, sur la hauteur du déficit que l’on jugerait acceptable. Pour vous, quelle est-elle ?

ELes institutions européennes garantes de l’Union économique et monétaire autorisent un déficit à 3 %. Et, en ces temps de crise, les Etats sont autorisés à déroger momentanément aux critères de Maastricht. Cela ne veut pas dire que nous pouvons tout nous permettre. Notre dette est supérieure à la moyenne européenne, nous sommes dès lors plus fragiles. La Belgique devrait donc rester sous le niveau de déficit admis par l’Europe. Ce dernier ne devrait pas dépasser les 2 % du PIB, au maximum. Sinon, nous nous mettrions en difficulté sur le long terme.

Votre ton est plus prudent et moins  » keynésien  » qu’il y a quelques semaines, non ?

EIl y a quelques semaines encore, l’Open VLD exigeait qu’on réalise des surplus budgétaires. Ensuite, il a accepté l’idée d’un budget en équilibre, pour 2009. Maintenant, on lui demande d’accepter un déficit pour permettre un plan de relance. On vient de loin ! Dans un premier temps, pour toute réponse à la crise, on comptait sur le dynamisme des Régions. Il a fallu batailler pour convaincre que le gouvernement fédéral devait jeter toutes ses forces dans la bataille. D’où mes accents  » keynésiens « , à ce moment.

Ne va-t-on pas être tenté de dépenser beaucoup d’argent public, et pas nécessairement pour la  » bonne cause  » ? Par exemple : construire de nouvelles routes au lieu d’investir dans l’environnement ?

EAnticiper des travaux de réfection des autoroutes, ce n’est pas la même chose qu’en construire de nouvelles. Investir dans les logements sociaux, dans la SNCB, dans la Régie des bâtiments, dans l’amélioration de l’image de Bruxelles, dans l’habitat  » durable « , ce sont des  » bonnes causes « , me semble-t-il.

Le PS ne veut-il pas  » profiter  » de la crise pour anéantir le plan de réduction des effectifs de La Poste, par exemple, ce qui hypothéquerait sa survie à long terme ?

ELa Poste réalise des bénéfices exceptionnels, et veut supprimer 500 emplois. Cela ne me paraît pas une bonne idée, en pleine période de crise. A ce stade, je propose une suspension du plan Géoroute, pas sa suppression. Mais tant mieux si la crise permet de déboucher sur une discussion plus globale sur la libéralisation de La Poste.

Entretien : Pierre Havaux; Entretien : Isabelle Philippon

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