DE RÉVOLTES ET D’ESPOIRS

Le djihadisme est une révolte nihiliste. Plus précisément : les jeunes, Belges ou Français par exemple, qui partent grossir les rangs de Daech et qui, pour certains, à leur retour de Syrie ou d’Irak, attaquent, kalachnikov à la main et ceinture d’explosifs à la taille, un stade de football, une salle de concert, un musée, des terrasses de café, un Thalys, une synagogue, des caricaturistes, ces jeunes-là sont moins convaincus de l’idéal religieux de leurs actions qu’animés par une volonté révolutionnaire. Purement destructrice.

C’est l’une des théories qui ont le vent en poupe, depuis les attentats du 13 novembre, à Paris. Elle suggère que ces djihadistes européens ne sont pas  » des musulmans radicalisés mais des radicaux islamisés « . Que les frères Abdeslam, les Abdelhamid Abaaoud, les Bilal Hadfi, les frères Kouachi et beaucoup de ceux qui, à moins de 30 ans, mitraillent la société et la culture dans lesquelles ils sont nés, dans lesquelles ils ont grandi et desquelles ils ont un moment accepté les codes avant de décider de les démolir, ont développé une identité de radicalité bien avant de la coiffer d’une barbe et d’un turban. Comme le prétendent l’islamologue Olivier Roy et le criminologue Serge Garcet dans notre dossier consacré à l’itinéraire de ces terroristes, ils étaient en recherche, en attente d’une  » offre  » leur permettant de laisser libre cours à leur radicalité avant même de connaître l’existence de Daech. Ces jeunes-là, issus de la deuxième génération de familles immigrées, qu’ils aient ou non auparavant tâté de la plus ou moins petite délinquance, qu’ils aient été ou pas confrontés à une réalité socio-économique précaire, se sont d’abord rebellés contre leurs parents, leur propre culture et celle, occidentale, au sein de laquelle, pour différentes raisons, leurs aînés ne s’étaient pas forcément fondus. Ce qui feraient d’eux, non pas  » le symbole d’une radicalisation des populations musulmanes  » mais l’incarnation de l’explosion de  » la fracture générationnelle « .

Ensuite, c’est l’espoir d’être reconnus, par ceux qui prônent  » de nouvelles normes « , leur permettant enfin de libérer et légitimer toute leur rage et leur violence, qui animerait cette  » génération Daech « . L’espoir de prendre une revanche, un peu sur tout et tout le monde. Jusque sur des événements, des situations, qui les dépassent, ou qui ne peuvent pas toujours être considérés comme des vérités historiquement établies. Loin des soulèvements idéologiques jusqu’ici courants (extrême gauche, propalestiniens, etc). L’espoir dont la société qui était la leur les aurait, à leurs yeux, peu ou prou privés.

L’espoir… Un autre dossier de ce numéro y est consacré, autour du travail mené par cent scientifiques, des quatre coins du monde. Le professeur libanais Shahe S. Kazarian y distingue ainsi deux approches de l’espoir. L’occidentale,  » individualiste et horizontale « , dont l’une des conséquences imprévues est  » la responsabilisation d’un « moi » narcissique au dépens du bien collectif du « nous » « . Et la vision caractéristique du monde arabe,  » collectiviste et hiérarchique « , dont une conséquence imprévue est  » la responsabilisation du « nous » aux dépens d’un « moi » marginalisé et sacrifié, voire martyrisé.  »

En assistant, désormais depuis les premières loges, à l’affrontement brutal entre ces différentes logiques, entre ces différentes mécaniques, en n’ayant plus aucun doute sur la crise aiguë qui frappe notre modèle de société, on ne peut que mesurer le rôle prépondérant de la notion même d’espoir dans le monde actuel. Parce que c’est lui qui, déclencheur d’actions, peut mener à la sortie du marasme. Tout comme c’est lui qui, combiné à une démarche nihiliste, et pour paradoxal que ce soit, a contribué à l’aggraver.

de Thierry Fiorilli

 » Ces jeunes djihadistes ne seraient pas le symbole d’une radicalisation des populations musulmanes mais l’incarnation d’une fracture générationnelle  »

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