La fiction devenue réalité

Ecrivain et juge d’instruction, Michel Claise a inventé une passionnante aventure qui jouxte, parfaitement et par hasard, l’actualité judiciaire. Eclairant.

Trafic de drogue et blanchiment d’argent : Michel Claise, juge d’instruction à Bruxelles, a puisé dans la réalité pour construire son cinquième livre, un roman passionnant qui naît au Maroc pour finir en Europe, Souvenirs du Rif, aux éditions Luce Wilquin (voir aussi Le Vif/L’Express du 11 février 2011). Hasard, à l’heure de la publication : la chambre du conseil de Bruxelles traite, ces jours-ci, du renvoi en correctionnelle d’une organisation criminelle démantelée en mai 2010 et exactement semblable à celle créée pour le roman (à l’exception de sa localisation). Elle avait fait main basse sur la place Lemmens, à Anderlecht, pour y écouler cannabis et produits dérivés envoyés par son pied marocain. Les copieux bénéfices étaient blanchis dans l’immobilier, à Bruxelles ou au Maroc. Plus de cent lieux – dont des études de notaires peut-être complaisants – avaient reçu la visite d’un demi-millier de policiers et vingt-neuf personnes avaient été interpellées. Désormais, le parquet de la capitale demande le renvoi de dix-huit d’entre elles devant le tribunal.

Attaquer le blanchiment

Mais comment Michel Claise tombe-t-il si juste ?  » Je me suis servi d’éléments qui se sont réellement produits. La tentative de corruption de policiers, les préparatifs d’assassinat par explosion au gaz, tout est vrai.  » Jusqu’aux codes utilisés par les trafiquants. Ah, les écoutes téléphoniques… Quant au Rif, Michel Claise l’a traversé : il connaît. Et ses immenses plantations de cannabis ainsi que l’extraction de sa résine, aussi.

Bref, dans le roman comme dans la réalité, l’organisation criminelle est pyramidale ( » Ceux d’en bas ne connaissent pas ceux d’en haut « ), vend au détail en rue ( » C’est extrêmement simple : tout le monde sait. Nous aussi d’ailleurs « ). Ou dans des coffee-shops à la mode hollandaise ( » Il y en a de plus en plus « ). Comment est-ce possible ?  » Il existe des zones dans lesquelles la police n’ose pas s’aventurer. Dire le contraire, c’est hypocrite. Cela concerne des coins de Saint-Josse, Anderlecht, une partie de Saint-Gilles et surtout Molenbeek. Voilà pourquoi, lors de l’opération de la place Lemmens – à laquelle je suis certes tout à fait étranger -, quelque 550 policiers avaient été déployés. Pas pour humilier les personnes du quartier, comme on l’a dit, mais pour assurer la protection des enquêteurs, par ailleurs confrontés à des difficultés croissantes. Ces trafiquants n’hésitent par exemple plus à faire monter des portes blindées pour retarder les perquisitions et pouvoir prendre la fuite par l’arrière. « 

Mais le juge-écrivain va au-delà.  » Quand on saisit de la drogue, la perte d’investissement est mince pour les trafiquants. A Bruxelles comme ailleurs, les filières vendent en effet très cher ce qu’elles paient presque rien à des paysans marocains maltraités [NDLR : la résine pure se négocie à 5 000 euros le kilo, à Bruxelles]. Or, au final, ces trafics engendrent le blanchiment annuel, pour l’Europe, de 11 milliards d’euros. Des billets de 5, 10 ou 20 euros qui circulent d’abord dans des valises, pas dans des comptes bancaires, avant d’entrer dans les circuits du terrorisme ou dans l’économie licite. C’est ça le vrai problème des dealers : blanchir ces masses d’argent. Et c’est là qu’il faut porter le fer. La Belgique est déjà mieux armée que d’autres à cet égard, mais l’argent circule encore via des professionnels, comme des fondés de pouvoir qui peuvent pactiser avec le diable au sein de banques pourtant honnêtes.  » Toutes choses que l’on découvre de plus près dans le roman si bien documenté, jusqu’au circuit des casinos, jusqu’aux avocats montant des fiducies à tour de bras, pour mieux tout rendre opaque…

ROLAND PLANCHAR

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