» Ce qui s’est passé est grave « 

Pour Edouard Fremault, associé chez Deminor Recovery Services, des questions lourdes se posent sur la gouvernance de BNP Paribas. Et son premier actionnaire, l’Etat belge, doit faire valoir ses droits.

Le Vif/L’Express : Comment jugez-vous la réaction des autorités belges dans ce dossier ?

Edouard Fremault : L’Etat belge détient une position importante au sein d’un grand groupe bancaire qui a sciemment violé des normes de droit américain et qui a traîné des pieds avant de le reconnaître, ce qui d’ailleurs n’a fait qu’alourdir la sanction. Et maintenant, notre ministre des Finances aimerait savoir ce qui s’est passé et convoque le CEO de la banque. C’est mou, il y a beaucoup mieux à faire.

C’est-à-dire ?

Quand vous détenez 10 % du capital d’un groupe et que vous êtes l’Etat belge, vous ne pouvez pas vous contenter d’une rencontre avec le CEO du groupe. Ça, c’est de la diplomatie. La démarche peut se comprendre compte tenu des enjeux politiques liés à ce dossier mais c’est très insuffisant. Car ce qui s’est passé est grave, il faut lire le statement of facts publié par le département de la Justice américaine. BNP Paribas a contourné des législations américaines en connaissance de cause, les faits délictueux sont publics et la responsabilité est reconnue par la direction. Entre autres sanctions, 9 milliards de dollars ont été décaissés, ce qui a évidemment un impact négatif sur la valeur de l’entreprise, sans parler de la confiance des actionnaires. Comme tout actionnaire, l’Etat belge est en droit de savoir, non seulement ce qui s’est passé mais aussi, et surtout, ce qui a été entrepris pour que cela ne se reproduise plus. Comment retrouver la confiance sans cela ?

Et si BNP Paribas ne souhaite pas en dire plus ?

Au besoin, le droit français prévoit l’expertise de minorité, accessible à tout actionnaire détenant plus de 5 % du capital. L’Etat belge peut demander au conseil d’administration de lui fournir toutes les explications utiles sur un acte de gestion. Le conseil a un mois pour réagir et, s’il ne réagit pas ou si la réponse n’est pas jugée satisfaisante, l’actionnaire peut ensuite se tourner vers le tribunal de commerce pour demander une expertise.

Les deux administrateurs désignés par l’Etat belge présents au conseil de BNP Paribas ont-ils rempli leur rôle ?

Leur rôle est de veiller aux intérêts de la société, au nom des actionnaires dans leur ensemble. Ils ne représentent pas l’Etat belge mais tous les actionnaires. Lorsque des points confidentiels sont traités en conseil, ils ne peuvent pas prendre leur téléphone en sortant pour appeler le ministre des Finances et le mettre au courant. Par contre, les administrateurs sont responsables collégialement devant les actionnaires de la manière dont BNP Paribas a géré cette affaire. Il faudra voir ce que l’Etat belge, via la SFPI (Société financière de participations et d’investissement) qui agit pour lui, fera en tant qu’actionnaire lors de l’assemblée générale des actionnaires, au printemps prochain.

L’Etat belge doit-il voter contre la décharge des administrateurs ?

Si l’Etat belge vote pour la décharge des administrateurs, cela signifie qu’il est d’accord avec la manière dont ils ont géré cette affaire. Or, des questions lourdes se posent concernant la conformité, le reporting. C’est la gouvernance et la responsabilité de BNP Paribas qui est ici en cause. Les administrateurs étaient-ils bien informés ? Si oui, comment se fait-il que les transactions délictueuses se soient poursuivies même après l’ouverture d’une enquête ? Ont-ils veillé aux intérêts de la société et des actionnaires ? L’Etat belge doit exiger toute la clarté, car il faut bien voir que ce sont les moyens des contribuables belges qui sont engagés ici. S’il ne le fait pas, alors tout ce discours sur les bienfaits d’une bonne gouvernance d’entreprise n’est que du blabla.

Et si l’Etat belge ne le fait pas ?

D’autres investisseurs institutionnels s’en chargeront. Nous sommes d’ailleurs en contact avec des fonds de pension, en particulier anglo-saxons, dont certains ont une politique très précise en matière de gouvernance, ils ne se contenteront pas des vagues explications données jusqu’à présent quant aux responsabilités et aux mesures correctrices. Il ne s’agit pas d’agir dès à présent, ce serait prématuré. Mais il est certain qu’il a des possibilités d’agir.

Paul Gérard

Si l’Etat belge n’exige pas toute la clarté, d’autres s’en chargeront

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