Les Pays-Bas eurosceptiques

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La Haye, qui veut consacrer sa présidence de l’Union aux dossiers économiques, réclame aussi une Europe plus  » lisible « . Les Néerlandais nourrissent en effet un ressentiment de plus en plus vif à l’égard de  » Bruxelles « 

Thank you very much, Ireland ! Les Pays-Bas, qui assument depuis le 1er juillet la présidence tournante de l’Union européenne, s’étaient préparés, dès février dernier, à devoir boucler eux-mêmes le projet de Constitution, resté dans les limbes après l’échec du sommet de Bruxelles en décembre 2003. Ils s’attendaient également à devoir poursuivre les efforts afin de dénicher un successeur au président de la Commission européenne, l’Italien Romano Prodi. Toutefois, dans la dernière ligne droite de leur présidence, les Irlandais ont fait des étincelles : le 18 juin, au terme d’ultimes marchandages, la Constitution était adoptée û un texte fortement édulcoré et  » britannisé  » û et, le 27, Dublin déjouait tous les pronostics en annonçant un accord des dirigeants européens sur le nom du chef du gouvernement portugais, José Manuel Durão Barroso, pour diriger la Commission.

La Haye peut donc avancer en terrain déminé. Néanmoins, le semestre néerlandais est une période de transition. La présidence travaillera en effet jusqu’au 1er novembre avec une Commission en fin de mandat et le Parlement nouvellement élu se réunira pour la première fois en septembre. Les commentateurs les plus ironiques relèvent que la présidence durera en fait six semaines au lieu de six mois : du 1er novembre au sommet européen des 16 et 17 décembre.  » Les Pays-Bas se contenteront surtout de gérer les affaires courantes « , admet le quotidien économique national Het Financieele Dagblad. Les dirigeants du pays insistent dès lors sur la nécessité de faire fonctionner la machine.  » Pour rendre efficaces les Conseils européens à 25, il faudra réviser les règles de procédure « , relève Sjerp van der Vaart, directeur du bureau du Parlement européen à La Haye.

Pour autant, les débats institutionnels qui ont divisé l’Union ces derniers mois sont clos. La coalition de centre-droit au pouvoir à La Haye a donc estimé que l’Europe devait s’occuper désormais de sujets plus  » concrets « . Le Premier ministre Jan Peter Balkenende, chrétien-démocrate aux idées libérales, a déjà affiché sa priorité : la réanimation des résolutions du sommet de Lisbonne (2000). Elles visaient à faire de l’Union la première économie mondiale à l’horizon 2010. A mi-parcours, on est loin du compte.  » Savez-vous qu’il est onze fois plus difficile de créer une entreprise en Europe qu’aux Etats-Unis ? » a lancé récemment Balkenende.

Les Néerlandais devront également s’atteler à la réforme ultrasensible du pacte de stabilité… et cela, contre leur gré. Le ministre libéral des Finances, Gerrit Zalm, est l’un des plus ardents défenseurs du pacte, observé très rigoureusement par La Haye. Autre gros dossier économique : le début des négociations, qui s’annoncent complexes, sur le prochain budget communautaire pour la période 2007-2013. La Commission a prévu, en février dernier, un budget équivalent à 1,15 % du produit intérieur brut européen. Un montant inacceptable pour les plus gros contributeurs nets, dont les Pays-Bas, qui veulent le plafonner à 1 % du PIB. Zalm a déjà prévenu que la présidence ferait  » cavalier seul  » si la Commission ne présentait pas un budget plus raisonnable.

Reste une  » patate chaude  » sur l’assiette néerlandaise : les Européens ont promis de se prononcer sur l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie au sommet de la mi-décembre. En octobre, la Commission livrera son rapport sur l’état de préparation d’Ankara. Sauf surprise, elle devrait conseiller aux chefs d’Etat et de gouvernement d’engager les négociations d’adhésion en 2005. Le Premier ministre néerlandais plaide pour que la discussion ne porte pas sur la pertinence pour l’Union de s’ouvrir à un pays à population musulmane, mais seulement sur les critères d’adhésion fixés à Copenhague. La décision sera  » équitable, indépendante et transpa- rente « , assure le ministre des Affaires étrangères, Bernard Bot, ancien ambassadeur à Ankara et défenseur de l’entrée de la Turquie dans l’Union à l’horizon 2015.

Le gouvernement a, par ailleurs, pris la mesure de l’euroscepticisme croissant des Néerlandais. Les libéraux du VVD ont été longtemps les plus critiques à l’égard de l’Europe. Mais, depuis cette année, les chrétiens-démocrates du CDA, principal parti de la coalition, et les socialistes du PvdA leur ont emboîté le pas. Ainsi, Wouter Bos, chef de file du PvdA, se montre partisan d’une Europe moins ambitieuse. Il met l’accent sur les intérêts nationaux, ne veut pas d’une politique sociale européenne spécifique et rejette tout approfondissement de l’Union.

L’idéal européen n’est plus une valeur qui compte aux Pays-Bas, qui sont pourtant l’un des pays fondateurs de l’Union. Un tiers des Néerlandais sont opposés à l’euro, selon un sondage Eurobaromètre. Un record parmi les pays qui ont adopté la monnaie unique. Beaucoup s’interrogent sur son utilité alors que leur pouvoir d’achat diminue. La politique agricole commune (PAC) est également très contestée.  » Mes concitoyens sont las d’une Europe qui, pensent-ils, se construit sans eux, voire contre eux, constate un fonctionnaire néerlandais de la Commission. Dépassés ou excédés par certaines décisions, ils nourrissent un ressentiment de plus en plus profond à l’égard de Bruxelles.  » Au point que le chrétien-démocrate  » Ben  » Bot, l’un des rares européens convaincus du gouvernement, est allé jusqu’à déclarer qu’il serait  » courageux  » de  » rétrocéder certaines compétences communautaires aux gouvernements nationaux « .

Les premiers signes du désintérêt, voire de la méfiance à l’égard de la construction européenne sont apparus lors des élections européennes de 1999. Avec moins de 30 % de votants, les Pays-Bas avaient accusé l’un des plus mauvais scores de l’Union. Au scrutin de juin dernier, l’abstention n’a pas été aussi forte, mais elle concerne tout de même 61 % des électeurs. Seuls les Suédois et les citoyens de cinq pays de l’ex-Europe de l’Est se sont encore moins mobilisés que les Néerlandais.

Les dernières élections ont, en outre, pris les allures d’un conflit ouvert entre La Haye et Bruxelles. Comme la Grande-Bretagne, les Pays-Bas votaient trois jours avant les autres pays de l’Union. Mais, contrairement à Londres, qui a attendu que le scrutin fût clos partout en Europe avant de divulguer les résultats, La Haye a révélé le choix de ses électeurs le jour même du vote. C’était la première fois qu’un Etat transgressait la règle qui veut qu’aucun résultat national ne soit rendu public avant la fermeture de toutes les urnes dans l’Union. Ce faux pas a suscité une vive irritation à la Commission, qui a menacé de saisir la Cour européenne de Justice.

Au-delà de cet incident, le score surprenant obtenu par l’ancien fonctionnaire européen Paul van Buitenen, dont le parti Europa Transparant ( » Europe transparente « ) a remporté deux sièges, est un autre signe révélateur de l’inquiétude et de la déception des citoyens néerlandais à l’égard de l’Europe. Tombeur de la commission Santer en 1999 û il avait rédigé un rapport incendiaire, partiellement dégonflé depuis lors, sur les pratiques à la limite de la fraude au sein de la Commission û, le  » chevalier blanc  » a mené campagne contre la gabegie européenne. Manifestement, l’idée a convaincu une partie de l’électorat : les Néerlandais lui ont accordé 7,3 % des voix, alors qu’il ne bénéficiait d’aucun budget électoral.

Van Buitenen, qui a rejoint le groupe des Verts au Parlement européen û malgré les réticences de certains d’entre eux û, chante sur tous les toits qu’il n’a rien d’un eurosceptique. Mais les partis de la majorité gouvernementale, sortis affaiblis des élections européennes, ont eu la confirmation que les Néerlandais réclament une Europe plus lisible et plus attentive aux besoins de ses citoyens.

Olivier Rogeau

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