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Après Mons, une cathédrale ferroviaire carolo de luxe

Le Vif

Deux ans à peine après sa rénovation, la gare de Charleroi-Sud va faire l’objet d’un plan d’orientation… qui éventrera des ouvrages tout juste terminés. Dont coût : 110 millions d’euros, soit près du triple de la facture initiale, pris majoritairement sur le budget du rail. D’aucuns crient au sous-régionalisme.

Mars 2013, au Mipim (Marché international des professionnels de l’immobilier), à Cannes, Vincent Bourlard, le patron d’Eurogare (filiale de la SNCB et de la Société régionale d’investissement de Wallonie) présente devant le gratin de la brique le futur visage de la gare de Charleroi-Sud. Au programme : une large galerie commerciale sous les voies, une verrière de plus de 30 000 m2 au-dessus de la gare, des logements, un quartier d’affaires, un parking souterrain côté Villette, une salle de spectacle polyvalente, etc.

Le fait que la gare de Charleroi-Sud vient d’être rénovée ne semble pas perturber Eurogare. « Le plan d’orientation est un projet plus vaste, qui dépasse la gare. » C’est vrai, mais tout de même. L’ancien chantier 2005-2011 a créé une galerie commerçante et rénové l’esplanade en face de la gare. Le nouveau projet trouera… une partie de l’esplanade pour l’entrée d’une… galerie commerciale. L’étude d’orientation de ce nouveau projet a débuté en septembre 2011. Autrement dit, pendant que les pontes locales et régionales coupaient le cordon de l’inauguration, d’autres visionnaires discutaient l’éventrement des ouvrages à peine terminés.

Pour le budget de cette rénovation, la Ville de Charleroi sollicitera différents fonds à hauteur de 20 millions d’euros mais ne participera pas aux investissements. Dès après le Mipim, Paul Magnette a d’ailleurs rassuré le conseil communal : « Un budget de 80 millions d’euros sur la période 2013-2021 est prévu dans le plan pluriannuel d’investissement (PPI). » Le bourgmestre carolo est d’autant plus au courant de cet investissement qu’en tant que ministre des Entreprises publiques de 2011 à 2013, c’est lui qui a encouragé le nouveau PPI 2013-2025.

Lors du conclave de novembre 2012, certains investissements au PPI ont été rabotés. Côté gare, le budget d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, la station wallonne la plus fréquentée, passe de 111 à 63 millions euros. Mais les fonds alloués à la gare de Mons et de Charleroi passent respectivement de 190 à 193 millions et de 45,9 à 80,1 millions d’euros.

Avis négatif, budget augmenté

Fin juin 2013, deux rapports remettent en question la pertinence du plan carolo. La Cellule ferroviaire de l’administration wallonne évoque un projet à réévaluer, questionnant « l’utilisation du budget ferroviaire pour un projet urbanistique. […] » Le rapport de Technum, un bureau d’études qui fait partie de Tractebel Engineering, commandité par le gouvernement wallon pour cerner les priorités régionales, estime « déséquilibrée » la politique de gares en Wallonie. Le message est entendu cinq sur cinq début juillet par le gouvernement wallon. Une note de Philippe Henry (Ecolo) et Rudy Demotte (PS) avance que les investissements dans la gare de Charleroi-Sud sont « un choix discutable en matière de priorité », « de nature urbanistique sans lien direct avec le transport ferroviaire ». Les deux membres du gouvernement proposaient au fédéral de préfinancer ces aménagements commerciaux sur fonds propres, quitte à se faire rembourser par les loyers. Trois mois plus tard, en octobre, les mêmes Philippe Henry et Rudy Demotte avancent une nouvelle note. Celle-ci non seulement ne propose plus de réorienter les 80 millions fédéraux destinés à Charleroi-Sud mais en ajoute 30, de la poche régionale !

Bref, voilà un projet largement décrié dont le budget est quasi triplé (de 43 à 110 millions) et mieux programmé dans le temps. Une explication ? Tous les avis convergent vers un terme : « sous-régionalisme ». Après Liège et Mons, au tour de Charleroi.
Avec les 200 millions de Mons, « projet hors-norme et sans équivalent en Europe » selon Technum, ces cathédrales ferroviaires se font-elles au détriment de la qualité du réseau et de la vitesse de circulation ? « Il ne s’agit pas de montants astronomiques mais ils permettraient des améliorations notables au niveau des points d’arrêt, de la régularité, estime Xavier Tackoen. Si l’incidence est modérée, c’est très problématique en termes d’image et de choix politique. Ce type d’investissement concerne un nombre réduit d’usagers. Celui-ci passe du temps dans le train, pas dans la gare. »

Le PPI doit être finalisé en conseil des ministres. Avec le masterplan carolo validé ? C’est bien parti. En espérant que l’avenir ne réserve pas un rail sûr avec des trains roulant au pas.
Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

Olivier Bailly

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