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Namur : les femmes battues implorent Turtelboom

La grève des avocats pro deo a des conséquences catastrophiques pour de nombreuses victimes de violences conjugales. Exemple à Namur dans un service d’accompagnement attaché au centre hospitalier régional.

Florence Lobet est désespérée. La grève du pro deo dure depuis un mois et demi maintenant. Une grande partie des victimes de violences conjugales dont elle s’occupe ne parviennent plus à faire valoir leurs droits. Un véritable drame pour ces femmes qui ont l’impression d’être doublement battues.

« Violences conjugales, ça vaut pas le coup » est un centre d’accompagnement ambulatoire qui travaille avec le centre hospitalier régional de Namur et celui d’Auvelais. « Notre public est plutôt aisé ici dans le Namurois et pourtant, la moitié a droit à l’aide juridique, explique l’animatrice du centre. C’est que ces femmes de médecins, de cadres supérieurs ou de pilotes de ligne n’ont bien souvent aucun revenu propre. Elles ont consacré leur vie à entretenir le ménage et à élever les enfants pendant que Monsieur travaillait. »

Elles ont donc recours à un avocat pro deo pour obtenir l’attribution du domicile conjugal et la garde des enfants. En effet, la loi le leur permet en tant que victime de violences conjugales : un droit essentiel pour ces femmes brutalisées qui, auparavant, devaient bien souvent quitter leur maison pour se protéger de leur bourreau. Mais, pour faire valoir ce droit, il faut une ordonnance du tribunal des référés ou de la justice de paix. Or les frais de citation en justice s’élèvent au minimum à 200 euros, parfois 600 euros, selon les dossiers. Et une citation ne peut se faire sans avocat, dont la première consultation coûte entre 75 et 100 euros de l’heure, pour les plus abordables. Depuis la grève des pro deo, le 9 mai, il n’y a plus de possibilité de citations.

« Certaines de ces femmes sont obligées de quitter leur domicile pour aller dans un refuge, déplore Florence Lobet. Une épouse d’un patron d’entreprise a été contrainte de trouver des sous dans sa famille pour se défendre en justice. Je m’occupe d’une dame en dépression grave qui ne peut même pas être placée en refuge car elle a un fils de 13 ans, soit l’âge à partir duquel les refuges doivent refuser les victimes accompagnées de leur enfant. Elle est au bord du suicide… »

Une enveloppe budgétaire inchangée

L’animatrice reçoit aussi de nombreux coups de fil de refuges et de maisons d’accueil cherchant un avocat qui ferait une exception. Mais il n’y en a pas. Ceux-ci le font déjà pour les cas d’extrême d’urgence, les mineurs d’âge, les déficients mentaux, les détenus. « Si nous multiplions les exceptions, notre mouvement de grève ne serait ni crédible ni cohérent et la ministre de la Justice Anemie Turtelboom (Open-VLD) ne sentirait plus la pression, justifie Me Ingrid Capelle du barreau de Namur, qui a l’habitude de travailler avec le centre  » Violences conjugales, ça vaut pas le coup « . Bien sûr, cela me pose un énorme cas de conscience. Mais, là, on a trop enduré. »

Depuis deux ans, l’enveloppe budgétaire fermée consacrée à l’aide juridique n’a pas bougé. Or, la crise aidant, les justiciables ayant droit au pro deo sont de plus en plus nombreux. Résultat : la valeur de la prestation a diminué de 12 %. Certains avocats sont moins rétribués à l’heure que s’ils l’étaient avec des titres-service.

Malgré tout, Florence Lobet n’en veut pas aux avocates avec qui elle collabore. Elle comprend même leur ras-le-bol. « Cela fait des années qu’on se connaît. Elles travaillent avec un dévouement exceptionnel et ne font aucune différence entre les dossiers pro deo et les autres », dit-elle. La ministre de la Justice n’a toujours pas trouvé de solution pour débloquer la situation. Il se chuchote qu’une proposition pourrait voir le jour lors du conclave budgétaire de mi-juillet. En attendant, les femmes battues continueront d’implorer silencieusement Anemie Turtelboom.

Thierry Denoël

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