Les séquestrés du Phoenicia

Pour ne pas risquer d’être assassinés avant d’avoir élu le futur président, les 40 députés de la majorité parlementaire libanaise sont enfermés dans un hôtel de luxe.

De notre correspondante

Comme c’était prévisible, la séance du Parlement libanais du 12 novembre, qui devait être consacrée à l’élection d’un nouveau président, a de nouveau été reportée. Au 21 novembre cette fois, soit trois jours avant la fin du mandat d’Emile Lahoud. Les deux camps – la majorité parlementaire antisyrienne, soutenue par les Occidentaux, et l’opposition, appuyée par Damas – n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur un candidat de consensus. En attendant, les 40 députés de la majorité vont devoir rester enfermés à l’hôtel Phoenicia, l’un des plus prestigieux de Beyrouth, transformé en camp retranché. Ils y vivent depuis la mi-septembre, sans pouvoir en sortir. Une assignation à résidence destinée à les protéger d’éventuels attentats visant à réduire leur nombre afin de leur faire perdre la courte majorité dont ils disposent au Parlement. Il faut dire que six d’entre eux ont été assassinés au cours des derniers mois. Le dernier, Antoine Ghanem, tué le 19 septembre, était sorti de l’hôtel en dépit des instructions. Depuis, les 40 députés toujours en vie sont enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans leurs chambres luxueuses. Ils ont leur propre restaurant et n’ont pas le droit de se mêler aux autres clients de l’hôtel. Ils ont accès au spa à des heures déterminées, et tous les conduits d’eau et d’aération qui donnent sur l’aile qui leur est réservée font l’objet d’une surveillance stricte. Pas question non plus d’ouvrir les rideaux par crainte des francs-tireurs, même si nombre de parlementaires supportent mal d’être ainsi privés de la lumière du jour. Leurs familles ont le droit de leur rendre visite, mais ils sont soumis à des fouilles sévères en entrant dans l’hôtel. Quant aux visiteurs étrangers, notamment les journalistes, ils doivent se munir au préalable d’une autorisation spéciale. Le député Fouad Saad, dont la mère est récemment décédée, n’a été autorisé à assister à ses obsèques que sous très haute surveillance.

Ce huis clos forcé pèse. Pour s’échapper un peu, malgré tout, de ce qu’ils appellent leur  » prison dorée « , les députés passent une bonne partie de leur temps accrochés au téléphone. Mais lorsque l’un d’eux se plaint de ne plus supporter l’enfermement, ou du manque à gagner qui en résulte – c’est le cas pour les professions libérales, les médecins notamment, qui ne peuvent plus exercer – le député druze Wael Bou Faour, proche de Walid Joumblatt, leur lance un réaliste :  » C’est cela ou le cimetière !  » Toutes les plaintes sont alors ravalées. Car, en dépit de l’impression d’étouffement et de l’ennui qui les ronge, ils sont convaincus de mener une nouvelle bataille pour l’indépendance du Liban contre les assassins qui n’en finissent plus de vouloir saboter les institutions du pays.

Reste que nul ne sait de quoi l’avenir sera fait. Si les tractations en cours permettent finalement l’élection d’un chef d’Etat accepté par tous, sans doute pourront-ils retrouver une vie normale. Mais dans le cas contraire ?  » Alors, dit l’un d’eux, tout le pays devra faire face à un chaos inextricable.  » Une perspective qui inquiète la communauté internationale.

Scarlett Haddad

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire