course de fond sans panache ni esbroufe

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Asile, budget, nucléaire : cornaqué par l’apaisant et méthodique Van Rompuy, l’attelage gouvernemental a franchi à son rythme et sans trébucher les obstacles dressés sur son parcours. La performance demandait confirmation au pied du mur communautaire. Mais le coach a choisi de dételer avant de se cabrer sur BHV.

Confiance. Il n’a que ce mot-là à la bouche, lorsqu’il s’adresse brièvement aux élus du peuple pour leur demander de lui accorder le bénéfice du doute. Ce 3 janvier 2009 à la Chambre, trois jours après sa surprenante désignation, le Premier ministre Herman Van Rompuy (CD&V) n’a rien d’autre à offrir que relever ce défi, modeste et colossal à la fois : restaurer un début de confiance dans un pays groggy. Miné par un contentieux communautaire persistant, assommé par une crise financière sans précédent, ébranlé par les rebondissements du Fortisgate, cette saga politico-judiciaire qui a emporté le patron du gouvernement, Yves Leterme (CD&V). L’inattendu Van Rompuy et l’équipe dont il hérite au pied levé ont encore tout à prouver. Mais cet humble appel à la sérénité suffit à rendre espoir. Après trois gouvernements, trois Premiers ministres et deux démissions gouvernementales en un an, difficile de connaître pire. Quoique… dans une année électorale comme l’est 2009, on ne jurerait de rien.

Les nerfs à rude épreuve

Le monde de la finance se charge d’abord de donner du fil à retordre à la fragile pentapartite (CD&V-Open VLD-MR-PS-CDH). Premières crispations à relents communautaires autour du sauvetage en urgence de la KBC, avec de l’argent flamand plutôt que fédéral. Une broutille, à côté du bras de fer qui tient le gouvernement en haleine : promise par l’Etat depuis octobre 2008 à BNP Paribas, la banque Fortis est à la merci d’une armée de petits actionnaires frondeurs. Coup dur : la mémorable assemblée générale de Bruxelles du 11 février tourne à l’avantage des adversaires de la vente aux Français. Et à la confusion de Van Rompuy Ier, empêtré dans ce bourbier bancaire. Nouvelles semaines d’intenses tractations avec le banquier français, doublées d’un travail au corps des actionnaires récalcitrants afin de les ramener à la raison. Enfin la délivrance, en avril : Fortis Banque peut mettre le cap sur BNP Paribas. Le gouvernement respire. Et retrouve franchement des couleurs, en voyant s’éloigner un autre danger, sur le front parlementaire. La commission d’enquête qui fouillait dans le Fortisgate et ses man£uvres politico-judiciaires, accouche d’un verdict apaisant. La mauvaise passe est franchie. Mais elle a mis à rude épreuve les nerfs de certains acteurs de la majorité.

Van Rompuy Ier aborde ainsi le printemps. Sans panache. Avec pour seule plume à son chapeau : l’adoption du chômage économique, en guise de parapluie de fortune contre les ravages de la crise. Les premiers pas n’ont rien de fracassant. Normal, quand on a pris pour principale résolution de faire le gros dos. Le bilan s’en ressent : squelettique. Asile et immigration, situation budgétaire, avenir du nucléaire, sans même parler du communautaire et de BHV en particulier : tous les sujets qui fâchent restent à empoigner et à boucler. Ce jeu purement défensif suscite sarcasmes et quolibets de l’opposition. Van Rompuy assume sans honte l’immobilisme, il en fait même sa marque de fabrique : ne rien faire a parfois aussi des vertus. Le Premier ministre a surtout un rendez-vous incontournable à invoquer pour justifier les pages blanches de son agenda : le passage par les urnes, le 7 juin. Ce dimanche d’élections régionales et européennes, qui rend les partenaires de la coalition de plus en plus nerveux. PS et MR donnent le ton. Ils sont à couteaux tirés. En guerre totale pour le leadership en Wallonie et à Bruxelles. A la moindre étincelle, on pense que Van Rompuy Ier va sauter. L’équipe frôle l’incident majeur en plein mai préélectoral chauffé à blanc. Lorsque Didier Reynders décrète les socialistes  » infréquentables « , Laurette Onkelinx (PS) exige une clarification, faute de quoi elle pourrait claquer la porte du gouvernement. L’irréparable est évité. On a joué à se faire peur.

A droite au Nord, à gauche au Sud

Enfin le verdict des urnes. Terriblement contrasté. La Flandre accentue son virage vers la droite, le sud du pays garde son penchant pour la gauche. La Belgique n’en sort pas plus facile à gouverner. Et le gouvernement fédéral pas plus rassuré sur sa marge de man£uvre. Sans doute peut-il compter sur un PS miraculé et un CD&V tout ragaillardi. Mais il doit s’inquiéter d’une aile libérale fragilisée par ses contre-performances. Soulagement : Verhofstadt, au nom de l’Open VLD, donne des gages de loyauté. Van Rompuy fait surtout la grimace en assistant à l’entrée de la N-VA au gouvernement flamand. De mauvais augure pour la paix des ménages gouvernementaux. Mais le Premier ministre a appris à savourer l’instant présent :  » Nous sommes désormais libérés des élections régionales, nous disposons d’un an sans perspective de scrutin.  » Il est temps de s’ébrouer. L’empoisonnant dossier de l’asile, source de blocage politique persistant, figure tout en haut de la pile. Pris à bras-le-corps en juillet, il accouche d’un vrai petit miracle : le sujet est ficelé en quelques jours. Dans une version reconfigurée (Leterme est de retour mais aux Affaires étrangères, mais Daerden recyclé aux Pensions lui vole la vedette en Flandre…), le gouvernement peut partir en vacances et Van Rompuy arpenter l’Australie en motorhome, son premier devoir accompli. Le premier d’une série qui s’annonce autrement corsée pour la rentrée.

Septembre : les gouvernements reprennent le collier pour parler avant tout de gros sous. A tous les niveaux de pouvoir, c’est la chasse douloureuse aux milliards. Le nord et le sud du pays sont priés de ramer dans la même direction, pour maintenir à flot des finances publiques malmenées par la crise. Le hic : ils ne sont pas disposés à suivre le même rythme. Van Rompuy sent poindre le danger :  » Il n’y a pas de place pour un fédéralisme d’opposition « , martèle le Premier ministre. Une façon d’inviter les entités fédérées à contribuer honnêtement à l’effort général de rigueur ou d’austérité. Le gouvernement fédéral, lui, fait coup double : deux budgets 2010-2011, bouclés sans véritable psychodrame ni torrents de larmes. Une prouesse pour une  » Belgique en faillite virtuelle « , dixit le ministre du Budget Vanhengel (Open VLD) dans le rôle du provocateur de service. Van Rompuy Ier a localisé opportunément deux vaches à lait pour épargner le pouvoir d’achat du contribuable : les banques et le secteur nucléaire passeront à la caisse. Budgets de crise ficelés, dilemme énergétique tranché : ce gouvernement fédéral tient décidément le cap. Et son chef surprend agréablement au fil du temps.

Mais il est attendu au tournant. L’épreuve de vérité s’appellera BHV. Trimbalé de parlement en parlement sudiste au gré des procédures en conflits d’intérêts, l’inextricable dossier vient d’être neutralisé par les germanophones. Encore 120 jours de répit pour un Van Rompuy faussement zen.  » Jugez-moi en 2011 « , avait lancé le Premier ministre lors de son entrée en fonctions. L’Europe ne va pas lui en laisser le temps (voir en page 92). Lancée début novembre, la rumeur enfle puis devient réalité : aspiré vers les cieux européens,  » super Herman  » laisse soudainement un vide inquiétant derrière lui. Tellement immense que la carrure du remplaçant tout désigné, Yves Leterme, n’est pas jugée suffisante pour le combler entièrement. Le gabarit du revenant Jean-Luc Dehaene fera l’appoint pour déminer le terrain communautaire. Curieuse formule pour clôturer une année politiquement déroutante.

Pierre Havaux

Van Rompuy assume sans honte l’immobilisme. Ne rien faire a parfois aussi des vertus

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