Proche-Orient : pour s’en sortir, enfin

Triste anniversaire que celui du soulèvement palestinien, entré dans sa quatrième année le 29 septembre 2003. Au-delà des pertes humaines û 3 500 morts dont trois quarts de Palestiniens û, la deuxième Intifada livre un bilan tragique à tous les égards. Les territoires occupés sont exsangues, complètement sinistrés par la guerre ; la société israélienne est tétanisée par les attentats terroristes, moralement déprimée, éprouvée de plus par le marasme économique et social qu’a provoqué l’explosion de ses dépenses militaires.

Ces années de peur et de sang ont porté à un niveau paroxystique la haine que se vouent les deux peuples, devenus sourds à la logique et aux aspirations du voisin à côté duquel il faudra pourtant vivre, demain. Or, si tout indique que ces  » cousins « , dans leur immense majorité, persistent à préférer la paix à la guerre, rien ne laisse entrevoir qu’ils seraient actuellement capables de s’extraire, par la conjugaison de leurs seules volontés, du bourbier où ils se sont laissé piéger.

C’est quand un problème nous semble insoluble qu’il faut s’arrêter un instant, reprendre sa respiration, réfléchir à la manière dont on le pose et, surtout, se souvenir des étapes qui ont déjà été franchies pour s’approcher d’une solution. Ergoter sans cesse sur les responsabilités des uns et des autres dans l’échec du processus de paix, c’est une querelle stérile. Israéliens et Palestiniens ont, chacun, quelques bonnes raisons de se rejeter l’entière responsabilité du naufrage. Une autre attitude, plus constructive, est de réfléchir aux acquis engrangés depuis l’amorce du dialogue israélo-palestinien, au début des années 1990. Or ces progrès vers une résolution du conflit israélo-arabe sont considérables si on les compare à la situation qui prévalait en 1948, au lendemain de la création d’Israël, lorsque tous les pays arabes prétendaient  » rejeter les juifs à la mer « .

Ces progrès, rappelons-les. 1. Israël et l’Organisation de libération de la Palestine se sont reconnus mutuellement. 2. Les Palestiniens ont accepté l’existence d’Israël. Seuls parmi eux des groupes minoritaires s’y refusent encore. 3. Israël a accepté la création, à ses côtés, d’un Etat palestinien indépendant. 4. Les deux parties ont accepté de négocier leur accord final sur la base du principe général issu des accords d’Oslo et des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU :  » la paix contre les territoires « .

Ces quatre grands principes étant acquis dès 1993, leur concrétisation s’est heurtée, au cours des années suivantes, à des obstacles liés, le plus souvent, à la mauvaise foi des uns et/ou des autres. Ici aussi, seuls les historiens pourront départager les responsabilités respectives, avec le recul nécessaire. En 2000, face à l’enlisement du processus de paix, le président américain Bill Clinton a tenté de forcer le sort en réunissant, à Camp David, un sommet dont l’échec résulte, en grande partie, de l’extrême difficulté à se mettre d’accord sur le statut de Jérusalem et le partage de la souveraineté sur les Lieux saints. Des suites de ce sommet et des pourparlers  » de la dernière chance  » qui lui ont succédé, à Taba (Egypte), à la jointure des années 2000 et 2001, retenons cependant deux évolutions essentielles. 1. Le refus par Israël d’évacuer la totalité des territoires conquis en 1967 (Cisjordanie, bande de Gaza et Jérusalem-Est, en plus du Golan syrien), comme le droit international le lui enjoint, n’est plus un obstacle absolu à la paix. A la faveur d’un échange de territoires, l’Autorité palestinienne accepterait en effet qu’Israël conserve une partie des  » implantations  » qu’il a établies en Cisjordanie. 2. Le  » droit au retour  » que les Palestiniens revendiquaient pour les réfugiés qui ont dû fuir leur pays en 1948 a cessé, lui aussi, d’être un obstacle infranchissable. Les Palestiniens admettent aujourd’hui que, pour des raisons démographiques, cette demande ne peut être rencontrée par Israël, soucieux de conserver son caractère d’Etat juif.

En conclusion, le problème proche-oriental n’est pas aussi insoluble qu’on le prétend trop souvent. Au contraire, la plus grande partie du chemin a déjà été parcourue et la mise au point d’un règlement final n’est pas un objectif hors d’atteinte. En revanche, répétons-le, les protagonistes ne sont plus en mesure d’y arriver par eux-mêmes, fût-ce sous la tutelle, trop déséquilibrée, des Etats-Unis.

Après cinquante-cinq ans de conflit, cinq guerres et deux intifadas, la résolution du problème du Proche-Orient ne pourra faire l’économie d’une nouvelle conférence internationale, pilotée par ce qu’on appelle aujourd’hui le  » quartette  » : Etats-Unis, Union européenne, ONU, Russie. Pour que les Palestiniens ne s’y retrouvent pas isolés comme ils l’ont été par le passé, cette conférence devrait associer, selon une formule à déterminer, les deux pays arabes qui ont conclu un traité de paix avec leur voisin israélien : l’Egypte et la Jordanie. La conférence ne devra pas être un marathon : un temps suffisant û sans être excessif û devra lui être laissé pour dégager une solution équilibrée, juste et viable au conflit. En revanche, il devra s’agir d’un règlement complet et définitif, exempt des préalables et des étapes qui ont ruiné les tentatives précédentes, parce qu’ils ouvraient un champ trop large à l’appréciation des parties. Enfin, la réalisation du règlement devra être assortie d’une garantie internationale qui se traduira par l’envoi, sur le terrain, d’une force d’interposition issue du  » quartette « .

C’est, sans doute, plus facile à écrire qu’à réaliser. Mais, sauf à se résigner au pire, existe-t-il une autre voie pour mettre un terme à ce que Simone Susskind, docteur honoris causa de l’ULB, appelle, très justement,  » la mère de tous les conflits  » ?

jacques gevers

Israéliens et Palestiniens ne peuvent plus être abandonnés à leur huis clos mortel. Une conférence internationale doit imposer la paix et la garantir

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire