La France complice du génocide ?

Dans un rapport à sens unique, une commission rwandaise accuse la France de complicité dans le génocide de 1994. Pour la première fois, 13 hauts responsables politiques sont nommément visés.

En plein c£ur de l’été 2007, on avait cru à une embellie dans les relations entre la France et le Rwanda, dans la foulée de l’élection de Nicolas Sarkozy. Un an plus tard, elles se crispent encore davantage avec la publication, longtemps différée, du rapport de 500 pages de la commission chargée de  » rassembler les preuves de l’implication de la France dans le génocide  » des Tutsi en 1994. Constituée de sept membres nommés par le président Kagame, cette commission n’a donc instruit qu’à charge, après avoir entendu 700 témoins, y compris belges, venus tous frais payés. Ce rapport conclut que  » la persistance, la détermination, le caractère massif du soutien français à la politique rwandaise des massacres montrent la complicité des responsables politiques et militaires français  » dans le génocide. Treize hauts responsables de l’époque sont cités, à commencer par feu le président Mitterrand et le Premier ministre Balladur. Il accuse également des soldats français de l’opération Turquoise d’avoir assassiné des Tutsi et violé des rescapées.

Bien qu’il soit largement documenté, ce rapport est considéré par l’opposant tutsi Deo Mushayidi comme une  » supercherie  » et un  » pare-feu  » au rapport Bruguière. En 2006, ce juge français lançait neuf mandats d’arrêt à l’encontre de proches de Kagame. Tous sont mis en cause pour complicité dans l’attentat, en 1994, contre l’avion du président Habyarimana, qui fut le déclencheur du génocide. Cette décision de la justice française avait aussitôt entraîné la rupture des relations entre les deux pays. Peu de temps après, c’était au tour de la justice espagnole d’inculper quarante militaires rwandais du FPR pour  » génocide, crimes contre l’humanité et terrorisme « . Coup dur pour Kagame, certes protégé par son immunité, mais qui voit sa stature d' » homme qui a mis fin au génocide  » sérieusement mise à mal.

D’où la contre-attaque. Kagame n’aime pas la France et le fait savoir depuis longtemps. En 1990, ses rebelles du FPR auraient pu défaire le régime Habyarimana, sans l’intervention des Français, des Belges et des Zaïrois. Mais seuls les soldats français sont restés dans le pays. Jusqu’en 1993, ils ont encadré l’armée rwandaise et formé les milices du  » Hutu Power « . Au début du génocide, en avril 1994, le gouvernement Balladur lance l’opération Amaryllis, mais elle ne servira qu’à évacuer les expatriés et des suppôts du régime. C’est surtout l’opération militaro-humanitaire Turquoise, de juin à août 1994, qui provoquera le débat. Alors qu’aucun pays n’a voulu se mouiller, la France a décidé d’y aller seule, avec l’aval de l’ONU. L’opération Turquoise avait-elle pour objectif de remettre en selle le Hutu Power ?  » A l’Elysée, certains ont pu envisager de mener une opération plus ambitieuse destinée à occuper la moitié du Rwanda et à forcer le FPR à négocier, répond le Belge Olivier Lanotte, auteur de La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention impossible et engagement ambivalent (éd. P.I.E. Peter Lang, 2007). Mais, au final, il n’y a pas eu de tentative de reconquête.  »

 » Le vrai scandale, poursuit Lanotte, ce ne fut pas Turquoise, mais bien Amaryllis et l’abandon du peuple rwandais.  » Or les Français sont loin d’être seuls en cause. Les Belges, qui formaient l’ossature de la mission ONU, ont préféré se replier. Quant aux Américains et aux Britanniques, aujourd’hui alliés de Kigali, ils n’ont pas bougé pour sauver les Tutsi du génocide. Il n’empêche : la politique française au Rwanda a mené au précipice, et Paris ne voudra jamais le reconnaître officiellement. La  » repentance  » est d’autant moins concevable que Paris considère les dirigeants actuels du Rwanda comme coresponsables de la tragédie qui s’est nouée à partir de 1990. Responsabilité que ceux-ci refusent toujours de reconnaître.

François Janne d’Othée

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