Les prédications de Jan Fabre

Une partition de Wolfgang Rihm, un film de Chantal Akerman, une actrice, quatre danseuses et une centaine de cigarettes : les ingrédients éclectiques de I’m a mistake, nouvel opus signé Jan Fabre.

Un plateau nu. En fond de scène, la quinzaine de musiciens de l’Ensemble Recherche. Derrière, en hauteur, un écran format grand angle. Pour l’actrice et les quatre danseuses, reste l’avant-scène. Au centre, Hilde van Mieghem, la cinquantaine, noble dans sa longue robe noire au dos nu. De chaque côté de cette reine de la nuit, deux jeunes femmes, robe noire mi-courte en lamé or. Au même moment, toutes les cinq portent une cigarette à la bouche, après l’avoir soigneusement sortie de son paquet et tassée avec précision, chacune au même moment, toujours. A l’unisson, le quintet craque une allumette. Signal pour le chef d’orchestre, dos à la scène, de lancer ses musiciens dans la partition complexe de Wolfgang Rihm aux harmonies organiques disloquées… Telle est l’ouverture de I’m a mistake, une pièce en trois temps.

Au premier temps, fut la musique. Centrale, l’actrice Hilde van Mieghem trône, debout, enchaînant cigarette sur cigarette. Régulièrement, elle s’avance jusqu’au bord de la scène, vient jeter ses cendres d’un coup sec, presque arrogant. Attend quelques instants avant de retourner à son point initial pour s’allumer une nouvelle clope… Pendant ce temps, les deux duos de danseuses, attendent, cigarette à la bouche, à la main, ou effectuent quelques pas d’inspiration classique, la sèche toujours vissée aux lèvres ou collée entre deux doigts… Gesticulations un peu vaines à regarder. La musique et ses couleurs sombres, légèrement hachurées, occupent tout l’espace. Le contre-ballet en forme de catwalk de l’actrice, également…

Au second temps, fut la lumière. Celle du film triptyque de Chantal Akerman. Des images en noir et blanc. Différents moments de rencontres avec la cigarette, solitaire ou sociale, triste ou gaie, dans une ruelle, sous la pluie, un porche, dans un café, voire une église… Plan large ou serré sur une bouche, une cendre incandescente, une fumée nageant dans l’espace… Autant de traits d’union entre le quintet de corps et le travail des musiciens. L’aspect  » plaqué « , qui semblait les réunir jusque-là, se fond petit à petit. La danse prend davantage de corps, de consistance. Un lent climax s’installe. Çà et là, les corps se perdent et se font prolongement des courbes de volutes de fumée. Des serpents se dessinent. Une mante religieuse vient longuement esquisser sa danse nuptiale au centre du plateau… Le magnétisme prend, enfin. L’odeur de cigarette a envahi toute la salle. Des gens toussent, par tic ou à raison…

Au troisième temps, vint le texte. Un long poème de jeunesse de Jan Fabre (1988). L’artiste anversois avait à peine débuté sa grande carrière polymorphe. Une ode à la cigarette, un long monologue que Hilde van Mieghem vient magistralement interpréter en bord de scène. Le cérémonial de l’ensemble prend des teintes de prédication détournée, entrecoupée d’instants de confession fragile, de cris prophétiques et d’attitudes très Marilyn. Jamais d’hystérie, mais un brin de mélancolie et quelques pincées de poésie. Pour terminer par une perle au sens multiple :  » Je suis fidèle au plaisir qui essaie de me tuer.  » Dernière sentence d’un Jan Fabre éclectique, venimeux comme il se doit, même si le venin est ici plutôt discret.

I’m a mistake. Le 11 décembre, au palais des Beaux-Arts, à Bruxelles. Tél. : 02 507 82 00 ; www.bozar.be

Olivier Hespel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire