A Charleroi, Paul Magnette se verrait bien siphonner le CDH de Véronique Salvi. © DENIS CLOSON/ISOPIX

Le PS veut remettre à bas les calotins du CDH

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

A Liège et à Charleroi, les socialistes entament de grandes manoeuvres pour faire payer au CDH, à l’échelon local, les conséquences du choix de Benoît Lutgen à l’échelon régional. Là-bas comme à Mons, le pronostic vital du parti humaniste est engagé.

A Charleroi, les élus et les électeurs du CDH fréquentent peu la Maison des huit heures, place Charles II. Encore moins par les temps qui courent. Le 14 juillet, l’arrière-salle de ce haut lieu du socialisme carolo, propriété de la CGSP depuis un siècle, était réservée à la fédération socialiste de l’arrondissement de Charleroi, qui y tenait un comité fédéral. Et là, les oreilles  » calotines  » ont sifflé comme rarement ces dernières années. On raconte même que Paul Magnette y a, avec une rare dilection, autorisé ses troupes à ponctuer l’Internationale d’un  » à bas les calotins  » qui avait tendance à disparaître. C’est que l’idée socialiste, désormais, alors que les deux partis sont aux abois, c’est de les faire disparaître, ces oranges des villes.  » Paul Magnette a été très clair : il est hors de question qu’il s’allie, après 2018, au CDH à Charleroi. Et personne n’a eu envie de le contredire « , raconte un socialiste. Certains, comme l’échevin Philippe Van Cauwenberghe dans un post Facebook qui a fait du bruit, ont même envisagé d’éjecter le partenaire municipal.  » Il y a eu une demande dans mon parti, en effet « , a expliqué Paul Magnette le 24 juillet, en conférence de presse.  » Mais il ne servait à rien de chambouler les équipes, ni de faire payer aux deux échevins CDH, Eric Goffart et Mohamed Fekrioui, les conséquences d’une décision, celle de leur président de parti, qu’ils n’ont pas prise « , a-t-il ajouté. Ces conséquences, c’est le parti qui les paiera. Plus tard.

Car à Charleroi depuis 2006, en tripartite avec le MR, à Mons depuis avril 2016 et l’éjection du MR, à Liège depuis les années 1980, le PS s’est associé à un CDH peu exigeant tant il pèse toujours moins. C’étaient à chaque fois des cadeaux, faits à un parti tout sauf incontournable sur la scène locale : à Charleroi, le CDH que mène Véronique Salvi, c’est 6 sièges sur 51, celui de Savine Moucheron, à Mons, c’est 3 sièges sur 45, et celui de Michel Firket, à Liège, c’est 7 sièges sur 49. Qu’il soit, après le prochain scrutin communal, éjecté des majorités de ces grandes villes, dirigées par de très pesants socialistes, et il confinerait au néant politique urbain. C’était pourtant un des enjeux de la présidence de Benoît Lutgen : rendre à son très rural parti un ancrage citadin. Son appel du 19 juin marque comme l’échec de cette ambition. Elio Di Rupo, mais surtout Paul Magnette et Willy Demeyer, comptent siphonner ce qu’il reste de la démocratie chrétienne, en punissant les leaders locaux qui ne se sont pas suffisamment désolidarisés de leur Bastognard de président.

Michel Firket, échevin depuis 1988, et Willy Demeyer sur la même liste en 2018 ?
Michel Firket, échevin depuis 1988, et Willy Demeyer sur la même liste en 2018 ?© PHILIPPE BOURGUET/BEPRESS PHOTO AGENCY – BPPA

Le RAW, le RAP et le rab

Depuis des mois déjà, Willy Demeyer clame ses envies de liste du bourgmestre. « Il appelle ça le RAW, le rassemblement autour de Willy », s’amuse un député socialiste. Y figurerait en bonne place l’éternel Michel Firket, échevin PSC puis CDH depuis 1988. Celui-ci n’est pas pour rien dans le départ d’Anne Delvaux : il devait lui céder son échevinat à la mi-législature, il ne l’a pas fait, elle est partie. Alda Greoli, elle, arrive. Catapultée ministre de la Culture à la Fédération Wallonie-Bruxelles, elle est appelée à jouer un rôle dans le tout prochain gouvernement wallon. Octobre 2018 devrait être sa première expérience électorale. Contre une liste du bourgmestre, RAW ou pas, qui compterait plusieurs figures de son parti, elle a peu de chances de percer. Fût-elle soutenue par le député wallon Benoît Drèze, certes de la gauche du parti, mais qui a récemment plaidé, dans La Meuse, pour constituer, à Liège aussi, des majorités sans le PS. Le RAW était sur les rails, le choix de Benoît Lutgen lui donnera encore plus de sens.

La partition bastognarde pourrait, à l’autre bout de la Wallonie, devoir également compter avec un air de RAP. Car si ce n’était, semble-t-il, pas ses intentions, Paul Magnette pourrait être tenté d’imiter le bourgmestre de Liège, et de composer un rassemblement autour de Paul, dans lequel se regrouperaient certains humanistes. Notamment les deux actuels échevins. Le jeune Eric Goffart, échevin des travaux, fait consensus. Proche de Benoît Lutgen – il a travaillé à son cabinet de ministre wallon -, il ne cache que fort peu sa désapprobation depuis le 19 juin. Son collègue Mohamed Fekrioui, échevin de la famille et de la petite enfance, ancien délégué syndical, s’entend notoirement mal avec sa cheffe de file, Véronique Salvi. Celle-ci doit s’attendre à sortir des bonnes grâces de Paul Magnette.  » Elle se dit mal à l’aise avec la décision de Benoît Lutgen, mais lorsqu’il l’a annoncée en bureau politique, elle était là, et elle n’a rien dit. C’est un peu facile après coup de faire croire qu’on est contre… « , lâche un socialiste, qui pense  » franchement possible  » que deux ou trois mandataires CDH franchissent le pas.  » C’est une question de survie pour eux, encore plus que pour nous, et une liste sans étiquette PS, menée par Paul Magnette, pourrait leur en offrir les conditions… « , jauge encore ce même socialiste carolorégien. Le passage du PSC, puis du CDH, au PS, est du reste une manière de tradition politique carolorégienne. Deux chefs de groupes démocrates-chrétiens successifs, Jean Santacatterina en 2000, puis Anne-Marie Boeckaert en 2006, avaient fait défection à leur parti pour se présenter sur la liste socialiste.

Ainsi vidé de sa substance, le CDH carolo ne compterait plus que quelques têtes, dont la première, Véronique Salvi, mais aussi Antoine Tanzilli, brillant chef de cabinet adjoint de Maxime Prévot, et principal conseiller de Benoît Lutgen dans les négociations wallonnes : Paul Magnette le hait. Il n’en avait pas voulu dans son collège, au point d’en faire une condition pour s’associer ou pas avec le CDH. Les deux oranges du Pays Noir verraient leurs horizons locaux bouchés. Certains socialistes carolorégiens souhaiteraient aussi voir les choses bouger dans d’autres communes de l’arrondissement où la démocratie chrétienne pèse encore. Des contacts, en tout cas, sont pris en ce sens depuis quelques jours…

Le RAW et le RAP mettraient à mal le CDH à Liège et à Charleroi. A Mons, il pourrait encore garder du rab : le PS d’Elio Di Rupo ne s’alliera ni avec le PTB, trop sulfureux, ni avec le MR, trop agressif. Il pourrait donc encore s’accommoder de l’accommodant CDH. Mais la liste que mènera le libéral Georges-Louis Bouchez devrait, dit-on, elle aussi compter d’anciens et d’actuels humanistes…

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