L’horloge tourne

Comme ça se présente, l’US Open révélera si les deux Américains ont encore un avenir sur le circuit.

Ce n’est pas qu’ils sont très vieux, mais le compte à rebours a été solidement enclenché pour Andre Agassi et Pete Sampras à Wimbledon. Débarqué dans la banlieue londonienne avec le statut de troisième tête de série, le premier se fit surprendre par Paradorn Srichaphan, un modeste joueur de Thaïlande répertorié à la 67e place au classement mondial. Quant au second, sa sortie fut encore plus remarquée puisqu’elle fut à mettre à l’actif de George Bastl, un Suisse classé au 145e rang international et qui n’avait même pas réussi à s’extraire des qualifications (il fut repêché en tant que lucky-loser).

Ces deux coups de tonnerre résonnèrent d’autant plus fort dans le ciel de Londres qu’ils furent donnés dès le deuxième tour du tournoi, précipitant celui-ci dans le chaos le plus total avant même la fin de la première semaine.

Ce sont deux Américains anéantis autant par la douleur que par l’incompréhension qui vinrent commenter leur déroute. « Je suis en état de choc », déclara Agassi, le visage défait. « C’est un choc pour moi », argumenta de son côté Sampras, lequel ajouta: « Le vol retour vers les Etats-Unis va être très pénible »…

En filigrane de ces deux défaites s’inscrit en lettres capitalesune question : Est-ce la fin pour deux des plus grands champions que le tennis ait jamais produit?Verra-t-on encore ces deux hommes qui totalisent à eux deux 20 titres du Grand Chelem briller au plus haut niveau? Pas sûr, car l’univers du tennis international devient chaque jour plus impitoyable. Les surprises guettent à chaque tournant. Et quand on affiche 32 et 31 ans au compteur, le temps devient une denrée précieuse. « Chaque défaite devient de plus en plus pénible en raison de l’âge », dit à ce sujet Agassi. « C’est pourquoi chaque victoire procure un sentiment de joie toujours plus énorme. Plus les jours passent et plus il me devient difficile de m’accrocher dans des matches difficiles. Mais les années ne sont en rien une excuse. Je suis en bonne santé, je suis en forme et j’étais prêt pour faire un grand tournoi. Simplement, j’ai été surclassé par un joueur qui mérite sa victoire ».

Joueur au tempérament fougueux, Paradorn Srichaphan ne vola pas son succès. Mais même si le gazon est une surface propice aux surprises, le joueur asiatique ne possédait toutefois pas le répertoire suffisant pour surprendre un joueur aussi expérimenté que le kid de Las Vegas.

Mais que vaut encore aujourd’hui l’expérience quand on rencontre des joueurs qui présentent désormais un physique affûté dès le plus jeune âge? S’il est un maître qui survolait de sa classe l’exercice sur herbe, c’était bien Pete Sampras. Mais quand on le vit empêtré sur le « cimetière » de Wimbledon dans un match sans fin, obligé qu’il fut de lire les mots d’encouragement que sa femme lui avait écrits sur un bout de papier pour espérer ne pas perdre pied, on éprouva un sentiment de pitié pour un homme dont les soucis à venir ne regarniront pas le crâne, c’est une certitude. Le Californien ne fut plus que l’ombre de l’artiste qui s’imposa à sept reprises au All England Club.

« Tout peut arriver en un jour », dit-il, le regard vide et les larmes ne demandant qu’à sortir.  » Les notes me servaient à rester positif. Bien sûr, je pensais jouer sur un des show courts , le court central ou le n°1, en raison de mon passé ici mais cela n’explique rien. Un court est un court, les dimensions sont les mêmes partout ».

Sampras reviendra à Wimbledon!

Malgré l’échec, Sampras reviendra. Il l’a promis, il l’a juré. « Je ne veux pas quitter Wimbledon de cette manière », expliqua l’ancien numéro un mondial. « Aussi longtemps que je me sentirai encore capable de gagner un titre du Grand Chelem et d’être compétitif, je continuerai à jouer. Au moment où je vous parle, je suis évidemment découragé parce que j’ai énormément travaillé depuis le début de la saison et placé la barre très haut en termes d’objectifs. Arriver pratiquement vide à Londres ne fut guère encourageant ».

Sampras fit ici allusion à son palmarès qui reste vierge de toute victoire en tournois depuis juillet 2000, date de son septième succès à Wimbledon. Quelques mois avant Roland Garros, il avait annoncé la fin de sa collaboration avec Paul Annacone, appelé à d’autres fonctions au sein de l’USTA, la fédération américaine, et annoncé l’engagement de José Higueras, le maître espagnol de la terre battue. On avait alors pensé que le joueur voulait mettre tous les atouts de son côté et se donner ainsi une ultime chance de remporter la quinzaine parisienne, la seule qui manque à son incroyable carte de route. Mais à Paris, Sampras ne passa même pas le premier tour. Un certain Andrea Gaudenzi, ainsi qu’un temps à ne pas mettre un chien dehors, avaient eu raison de son obstination.

Pour Sampras, mais aussi dans une moindre mesure pour Agassi, le cercle est vicieux. Ils restent bien sûr des joueurs d’exception, capables sur un jour de produire un extraordinaire tennis mais ont-ils encore la force suffisante pour répéter leurs efforts? Parce qu’ils consentent un jour de repos entre chaque match, les tournois du Grand Chelem devraient être des terrains de jeu qui leur restent favorables mais les matches s’y disputent aussi, et surtout, au meilleur des cinq sets. Et pour des corps de 31 et 32 ans, 24 heures de repos c’est très peu.

Plus que jamais, la condition physique est devenue le facteur essentiel de leur longévité. Et chacun sait qu’il est plus difficile de suer aux entraînements quand les résultats ne suivent plus.

Ancien coach, entre autres, de Boris Becker et de Goran Ivanisevic, Bob Brett a son explication quant aux déboires actuels de Sampras:. « Pete n’a pas suffisamment amélioré son tennis pendant toutes ces années où il dominait le jeu. Il le paye maintenant parce que les autres sont devenus plus performants ».

La remarque est pertinente, même si Sampras ne l’entend pas de cette oreille. « Je crois encore que mon jeu est très dangereux », rétorqua-t-il. « Il est un fait que la concurrence est devenue beaucoup plus forte. Il est également clair que je ne suis plus aussi intimidant que par le passé. Mes adversaires sont toujours plus confiants quand ils m’affrontent et je ne suis sans doute plus aussi affûté. Je sais que je dois travailler certains points et surtout retrouver la confiance. A un moment donné, il faudra que je retourne au boulot mais pour l’instant, ce n’est pas vraiment ce que j’ai envie de faire.L’heure est à la réflexion et j’espère que moralement, je ne descendrai pas trop bas ».

Le fait que Sampras ne se soit finalement pas aligné à Los Angeles, premier tournoi de la saison sur ciment, est de mauvais augure. L’US Open, où il atteignit la finale l’an dernier grâce un très haut niveau de jeu contre Agassi et Rafter notamment, approche à grands pas. Le compte à rebours ne s’arrêtera plus.

Physiquement, Agassi était bien…

Nul doute que le rendez-vous new-yorkais sera également très important pour Agassi. Reste que son cas est toutefois moins inquiétant que celui de son ancien grand rival. Vainqueur de trois titres dans la première moitié de l’année, le compagnon de Steffi Graf affiche toujours un excellente condition physique (ce qui est primordial vu son type de jeu) et garde une mentalité de vainqueur à toute épreuve. La seule différence par rapport au passé est que toutes les conditions doivent être réunies chaque jour, chaque heure, chaque minute. Car des joueurs capables de frapper la balle comme des brutes pendant des heures, le circuit en est maintenant rempli.

« J’ai beaucoup travaillé pour me présenter en forme à Londres », confirme Agassi. « Je me sentais bien avant le tournoi et même pendant les deux premiers jours de celui-ci. Ma défaite prouve que la compétitivité du circuit est devenue telle que la moindre inattention, la moindre baisse de régime, même passagère, peuvent être fatales.Vous êtes légèrement moins bien que votre adversaire ou c’est lui qui est légèrement mieux que vous et cela suffit à présent à faire la différence. Contre Paradorn, j’étais trop préoccupé par ma recherche de rythme et par le fait que mon mouvement n’était pas idéal. Et comme il ne me laissait pas le temps d’installer mon jeu, je ne suis pas arrivé à me concentrer sur ce que je devais faire ».

Engagé à Los Angeles, Agassi aura peut-être recouvré une partie de son fighting spirit, grâce notamment à son fiston, lequel doit toutefois forcément l’éloigner un peu de sa mission. Le fait qu’il sera resté inactif pendant une longue période n’aura cependant pas été excellente pour un joueur de son acabit. Car plus que jamais, seul le travail pourra, si pas lui permettre de remporter encore un tournoi majeur, du moins le maintenir dans le top 10, une zone que Sampras a déjà désertée depuis longtemps.

Pour l’un comme pour l’autre, l’US Open sera décidément riche d’enseignements.

Florient Etienne

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire