Sur la route de Madison

Comme beaucoup d’ados de son âge, une jeune fille rêve de célébrité : devenir, un jour, Miss Belgique ! Son chemin, qui passe par des élections de reines de beauté locales, est pourtant pavé de déconvenues…

Ici, on sert des cocktails aux noms évocateurs – concorde, crash, turbulence, business class… Logique : le bar est un Airbus A 310, un vrai, mené par voie fluviale, de Zaventem à Gilly, dans les tout derniers mois du siècle passé. Un vieux zinc nigérian qui moisissait sur le tarmac bruxellois, dont une compagnie américaine avait racheté le contenu.  » Nous, nous avons gardé la coquille, au prix de la ferraille « , raconte la propriétaire de l’appareil. Devenu, en sept ans, un lieu branché de la banlieue de Charleroi, l’Airbus n’a pu être baptisé, pour des motifs juridiques, qu’ Air Us Café.  » On a dû enlever le b. Ça fait un peu idiot, pour un avion européen, mais ça ne gêne pas la clientèle « … Pour l’heure, du cockpit à la queue réaménagée, une foule d’habitués, auxquels se mêlent des familles de supporters endiablés, commencent à réclamer la présentation des demoiselles. En août dernier, une trentaine de jeunes filles de la région s’étaient portées candidates à l’élection de  » Miss Air Us Café by Wasteels 2007 « .  » On en a retenu 18, puis dix, explique l’organisatrice. Malheureusement, il n’y en a plus que six…  »

Personne ne sait où ont disparu les quatre prétendantes manquantes. Tant pis pour elles : leur absence laisse plus de chances à celles qui, dans la soute de l’avion, ont débuté les essayages, dans un bourdonnement d’abeilles en folie. L’une glousse :  » T’as pas du gloss ?  » ; une autre, à l’accent à couper au couteau, explique à sa voisine les bienfaits d’une huile de  » cayendouïa- romaré  » (entendre calendula-romarin) dont elle s’enduit généreusement les avant-bras bronzés. Parmi les jouvencelles, la toute jeune Madison, 16 ans, semble en retrait de l’hystérie collective. Un calme olympien la fait poser seule, dans un coin, la mine presque boudeuse. Passionnée, depuis deux ans, des concours de beauté et des défilés de mode, elle a déjà remporté Miss Charleroi 2007 Junior, Miss Pays de Charleroi 2006 Junior, et  » fait  » deuxième dauphine à Miss Fleurus et à Miss Châtelet. A Top Model Belgium, elle n’avait atteint que la demi-finale,  » à cause d’un numéro de dossard qui s’était retourné au plus mauvais moment « . Son rêve ? Devenir mannequin et,  » si je n’y arrive pas, styliste « . Et avant ça, dès 18 ans, briguer le titre de Miss Belgique.  » Certaines, au lycée, disent que j’me la pète, confie Madison. D’autres sont plus… grossières. « 

Les candidates ondulent du popotin

Avec leurs mèches de chiennes mouillées, arrangées par Carmello, coiffeur officiel de Miss Italia nel mondo, la plupart des filles sont sanglées dans leurs robes, des pièces uniques, pas toutes jolies. Leur créatrice, Zina. H ordonne :  » Alors vous vous changez rapidement car ça doit suivre « , au grand effroi d’une ado qui supplie d’un regard le droit d’aller encore une fois aux waters. Trop tard. La musique de Shaggy cogne ( » Hey sexy baby, I like your body… « ), des candidates ondulent du popotin, tandis que, parvenus d’en haut, des hurlements de mâles les encouragent à défiler. Talons aiguilles, sandales aux lanières de strass virevoltent, dans un froufrou de tissus, un tourbillon de paillettes et de senteurs corporelles, fondues aux parfums de chacune. Sous sa crinière de lionne, Madison reste sérieuse. Une équipe de la RTBF la suit dans ses moindres déplacements.  » Ils font une émission sur moi, déclare-t-elle simplement. Sur les personnes qui veulent être célèbres…  » A l’étage, sa maman Nathalie, 33 ans, a les larmes aux yeux. Pourquoi ?  » De me trouver si belle, peut-être « , suppose Madison.

Et c’est vrai qu’elle est charmante, mais de cet attrait de bouton de rose pas éclos. Délicieusement potelée, le ventre un peu trop rebondi, les hanches un peu trop épaisses, tout un corps lourd, encore, de l’enfance. Madison est au milieu du gué. Elle aimerait, sans doute, devenir une star, mais ne mène pas franchement son combat. Elle n’est pas une tueuse. Ou alors, en puissance seulement.  » Elle est toujours dans la retenue, résume Malika Attar, journaliste à la RTBF, même si elle se donne facilement à la caméra, parce que nous sommes précisément l’objectif qu’elle désire atteindre : passer à la télé, gagner cette célébrité pure, sans talent particulier, via le regard des autres. « 

Madison s’effondre en larmes

En groupe, les sept filles (on a rajouté Estelle, 16 ans, in extremis, pour étoffer la sélection) se faufilent dans les couloirs de l’avion : sept hôtesses rougissantes, qui regardent leurs orteils aux ongles vernis, pour ne pas trébucher.  » On m’a dit : « Pétasse ! »  » s’offusque l’une d’elles, en regagnant les coulisses, triturant son nombril portant piercing, visible en relief sous le body. Pas coincée pour un sou, Samira, 19 ans, fait un tabac sur scène, ventre nu. Le DJ, qui lui donne du  » ma chérie  » à tout bout de champ, pose des questions délicates :  » Tu as un superbe costume. D’où est-ce qu’il vient ?  »  » Du magasin « , répond platement l’apprentie danseuse. C’est enfin au tour de Madison. Un tango à l’érotisme forcé entraîne la petite à des contorsions provocantes, à califourchon sur son partenaire. Dans le public, Nathalie accompagne la chanson du bout des lèvres, parfaitement immobile, tous les muscles tendus vers sa fille. Dans une incorporation fascinante de l’une à l’autre, la souffrance de la mère paraît immense. Moins visible, toutefois, qu’à l’instant de la proclamation… Et c’est Alexandra, 23 ans, une belle plante de Châtelineau qui emporte le titre. Après avoir montré bonne figure, juste le temps requis, Madison, terrassée par la déception, s’effondre en larmes.  » J’ai tout donné et on dirait que je n’ai rien donné « , lâche-t-elle entre deux sanglots. Sa mère lève la tête, semble s’excuser de ces pleurs intempestifs ( » Les coups durs, ça l’aide à grandir et à penser « ), puis retourne aux bras de sa fille. Laissons-les à leur chagrin…

Retrouvez l’intégralité du reportage photo sur le site du Vif/L’Express www.levif.be

Valérie Colin

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire