Telex aime aime la vie

Vingt ans après son dernier disque studio, Telex revient avec How Do You Dance, pop ludique réminiscente des meilleures années 1980. Rencontre

Diffusé dans une vingtaine de pays, le premier album de Telex depuis 1986 est un objet musical de 41 minutes dont la veine inspirée rappelle les premiers temps electro. Au menu : dix plages toniques et parfois mélancoliques ( This Is Your Song), mathématiquement partagées entre la reprise décalée (le J’aime la vie de Sandra Kim, La Bamba, Jailhouse Rock, etc.) et cinq originaux qui évoquent incidemment les sonorités enfantines. Les trois quinquas-sexas Dan Lacksman, Marc Moulin et Michel Moers seraient-ils des  » idiots savants  » sans âge ?

Le Vif/L’Express : Vous avez donc écrit cinq nouveaux morceaux en vingt ans. Expliquez-nous cette chimie de la lenteur.

E Dan Lacksman : Les tentatives précédentes ont rapidement échoué parce qu’on manquait d’idée directrice. Puis, en procédant à l’archivage numérique de nos disques, on s’est un peu redécouvert et Marc a pensé qu’il fallait peut-être s’inspirer des DJ aujourd’hui : nous sampler nous-mêmes pour construire autre chose. On s’est donc  » auto-pillé « .

E Michel Moers : Comme l’église bâtie sur les bases d’un temple païen, on a essayé de reconstruire quelque chose.

E Marc Moulin : On a surtout remarqué que la fraîcheur des débuts de Telex a été perdue par la suite. Le troisième album était un fourvoiement et les deux derniers, un rétablissement, mais pas complet. Donc, pour celui-ci, on opère un retour au fondamental.

La reprise du J’aime la vie de Sandra Kim semble être le moment le plus conceptuel du disque !

E Marc Moulin : C’est le plan Marshall de la Belgique qui gagne et se repositionne sur ses pôles d’excellence ! ( rires). Non, il y a l’évidence du tube qui existe depuis les années 1980, succédant aux années 1970 où le morceau long et ennuyeux était devenu la norme. Aujourd’hui, la mode est à un format plus radiophonique, ce qui n’est pas forcément une bonne idée pour l’art. Ce qui nous a beaucoup inspirés, c’est quand Sandra Kim a dit un jour que nous étions ringards ! Nous sommes tous des Berlinois, nous sommes tous des ringards et, aujourd’hui, nous sommes tous des Danois.

E Michel Moers : On reprend des archétypes, des icônes de chaque style, ce qui nous permet d’y mettre notre différence. Lorsqu’on refait La Bamba, c’est plus lent que l’original, peut-être pour donner aux gens davantage le temps de s’embrasser.

Le concept de Telex – satirique, décalé – n’est-il pas le meilleur moyen de dissi-muler vos émotions ?

E Marc Moulin : Je n’ai pas du tout besoin que l’on souligne l’émotion au fluo, je crois en la retenue. Je suis plutôt un fan de Jaoui/Klapisch que de la grosse farce française.

E Michel Moers : Je n’ai jamais adoré les gens qui mettent leurs intestins sur la table, que ce soit Janis Jopin ou Jacques Brel, bien qu’il soit  » le plus grand Belge de tous les temps « .

Dans Move !, avec son cri d’encouragement à un cheval qui ne veut plus bouger, on se rend compte que la musique de Telex est potentiellement faite pour les enfants !

E Michel Moers : En fait, les jouets ont un peu récupéré les sonorités des synthétiseurs. Ce côté cartoon, simplifié, permet de percevoir tous les sons distinctement. Cela rejoint l’idée de produire un disque sans multiplier les pistes à l’infini. E Marc Moulin : Aujourd’hui, on peut imiter tous les sons, comme les images de synthèse, les  » effets spéciaux « . On finit par ne plus rien croire de ce que l’on voit sur un écran et tout placer dans la catégorie  » effets spéciaux « . Donc, curieusement, les effets spéciaux des débuts, plus naïfs, apparaissent plus vrais ! En musique, c’est la même chose, si l’on se sert des tout nouveaux appareils, les gens vont peut- être croire qu’il s’agit d’un orchestre de cordes. Si l’on se sert d’un machin qui fait bip bip, tchouck tchouk, on va avoir le sentiment d’être en présence de vraie musique électronique.

La confusion entre réel et virtuel est inquiétante…

E Marc Moulin : On aime faire quelque chose que le public peut comprendre sans faire un effort colossal. Notre musique, c’est comme si on avait effacé le crayonné en ne gardant que l’encre de Chine. A un certain stade d’images de synthèse, le public ne voit plus qu’une chose : un homme qui vole vraiment ! Nous, ce qui nous intéresse, c’est de montrer qu’il ne vole pas ou qu’il y a des mains et des fils qui le font faussement voler.

En écoutant le disque, on pense un peu à ce titre d’Arno, Idiots savants.

E Marc Moulin : Oui, il s’agit de reconstituer les conditions de la naïveté alors qu’on a des milliers d’heures de métier, qu’on pourrait faire des choses très compliquées. Il s’agit de faire comprendre que, si on est naïfs, c’est parce qu’on l’a voulu, sachant qu’on ne peut pas reconquérir une vraie naïveté. On arrive avec l’esprit frais et nouveau, on se fait un yoga et on est aussi neuf que quand on a commencé le groupe. Cela s’entend…

CD How Do You Dance distribué par EMI, sortie le 27 février.

Philippe Cornet

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