Ces internautes qui se rebiffent

La Chine représente la deuxième communauté Web du monde. Et les autorités font tout pour verrouiller un outil qui pourrait menacer leur contrôle des médias. Pourtant, des sites commencent à défier la censure.

De notre correspondante à Pékin

Veuillez poursuivre la recherche et la suppression de tout sujet qui aurait trait au 17e Congrès du PCC ou au 4 juin. Demain, chaque rubrique, chaque plate-forme de blog, chaque page de site devra faire l’objet d’une surveillance accrue afin de parer rapidement à tout problème.  » Cet ordre a été donné le 3 juin 2006 par Chen Hua, directeur adjoint du Bureau de gestion de l’information sur Internet de Pékin. Il s’adressait à l’ensemble des sites Internet commerciaux enregistrés dans la capitale chinoise, et il est cité dans un rapport de Reporters sans frontières sur la censure du Net en Chine.

Le pouvoir chinois était déjà passé maître dans le contrôle des médias traditionnels : si les citoyens ont accès à une soixantaine de chaînes de télévision (dont 12 nationales, les autres dépendant de chaque province), aucune ne risque de développer leur esprit critique. Très peu de téléspectateurs cherchent à capter CNN ou CBS, compte tenu de la barrière de la langue – et du coût de l’installation. Les informations diffusées à la télévision ou dans la presse sont passées au crible de la censure, voire de l’autocensure : une cellule du Parti est présente dans chaque grand journal. Les rares publications qui osent défier les consignes sont sanctionnées, suspendues ou carrément fermées. Même les journaux boursiers peuvent être interdits !  » Le système de contrôle s’assouplit dans certains domaines et à certains moments, mais il demeure très rigide sur les lignes éditoriales, résume ainsi Li Ren, professeur dans le département de journalisme d’une grande université chinoise. Les informations négatives (sur les catastrophes, la corruption, etc.) disparaissent régulièrement à l’approche de grands événements. Personne ne prend le risque d’enfreindre la ligne. « 

Dans ce contexte d’information bloquée, l’avènement d’Internet a fait naître l’espoir d’une libéralisation. La Chine abrite la deuxième communauté d’internautes au monde derrière les Etats-Unis – ils sont 172 millions, et le chiffre augmente de 4 millions chaque mois ! – et ils ont à leur disposition un formidable outil d’information. Au moins en théorieà car sur le Net aussi la censure fait son £uvre.  » Ici, les sites n’ont pas le droit d’avoir leur propre personnel pour collecter les informations, précise Li Ren. Ils n’ont que l’autorisation officielle de reprendre les nouvelles des médias traditionnels. Ceux-ci fournissent le contenu, les sites Internet apportent la technique.  » Si les sites chinois sont pauvres, pourquoi les internautes ne vont-ils pas regarder ailleurs, sur les sites étrangers ? Seulement 6 % des pages consultées depuis la Chine sont logées hors de Chine ! En fait, une fois de plus, avant même d’évoquer les raisons techniques, c’est la barrière de la langue qui empêche l’information de se diffuser massivement ; les Chinois, à l’exception des plus jeunes, ne parlent pas anglais.

Internet ouvre tout de même une brèche, car il permet aux citoyens de communiquer entre eux. Et c’est ce mouvement qui préoccupe le plus le gouvernement.  » Internet est un nouvel espace politique qui offre de nouveaux canaux de communication bon marché et horizontaux « , assure Xiao Qiang, directeur du China Internet Project de l’université américaine de Berkeley. Dans un pays où 19 % des internautes tiennent un blog et où les forums de discussion s’enflamment régulièrement sur des thèmes souvent anodins mais parfois politiques ou sociaux, Internet permet la formation virtuelle de communautés d’intérêts, voire de groupes d’action.  » Les blogs peuvent contribuer au changement social dans le pays « , prédit Isaac Mao, un blogueur chinois très engagé qui se définit comme un  » entrepreneur social « .

 » Je m’autocensure pour que le message ne soit pas bloqué « 

Les autorités ont évidemment pris les devants : le pays compte 60 000 cyberpoliciers et consacre 19 milliards d’euros par an au contrôle d’Internet, à en croire Reporters sans frontières. Tout est mis en £uvre pour éviter que le Net ne débouche sur des fédérations d’intérêts gênantes pour le gouvernement et le Parti.  » Les autorités ont recruté des gens extrêmement compétents, qui ont étudié dans les meilleures universités américaines et européennes, et elles font appel aux techniques de filtrage et de contrôle les plus avancées, raconte Eric Sautedé, professeur de sciences politiques à l’Institut interuniversitaire de Macao. Les grands équipementiers étrangers qui les leur vendent ignorent sciemment leur usage final.  » Et l’autocensure est, là encore, largement présente.  » C’est le principal succès du gouvernement : ces politiques ont créé un climat de peur « , regrette Isaac Mao, qui a vu son blog censuré et son site fermé en 2005 après qu’il eut diffusé une analyse technique du  » Great firewall of China « , le système de censure de la Toile.  » En tant que blogueur, je pratique parfois l’autocensure dans mes textes. Sinon, je sais que mon message sera bloqué « , avoue Li Ren. Presque tous les hébergeurs de blogs en Chine ont installé un mécanisme de filtres par mots-clefs.

Pourtant, blogueurs et internautes ont déjà plusieurs fois trouvé la faille. En lançant sur un blog une campagne contre son expropriation abusive, Wu Ping, propriétaire de la  » maison clou  » de Chongqing, a entraîné un mouvement de solidarité nationale qui lui a permis d’avoir gain de cause face au gouvernement local et au promoteur immobilier. Sa maison a été rasée, mais le couple a obtenu des réparations financières importantes.

Le Net permet la diffusion d’images de manifestations

De même, en mars dernier, les habitants de Xiamen, dans le sud du pays, ont réussi à se fédérer pour lutter contre la construction d’une usine chimique. Des blogs transmettaient pour la première fois des informations et des images des manifestations, presque en temps réel. L’exemple le plus marquant ? L’affaire Sun Zhigang, en mars 2003. Le tabassage à mort de ce jeune designer par des policiers dans un  » centre de détention et rapatriement  » de Canton avait entraîné une vague d’indignation sur le Net. Et la mobilisation des internautes réclamant la révision du système de détention des migrants a finalement conduit à l’abolition de ces centres, quelques mois plus tard. Pour la première fois, les autorités cédaient à la pression publique. Depuis, le Net a souvent permis la diffusion d’images de manifestations qui auraient autrefois été étouffées par les autorités.  » Internet permet à la société civile de commencer à répondre au pouvoir hégémonique du Parti communiste, constate Xiao Qiang. Mais le processus sera long avant qu’il ne devienne une menace fatale pour le régime ; d’autres conditions sociales, économiques et politiques doivent être remplies. Internet n’est pas la pilule magique d’une liberté instantanée.  » l

Séverine Bardon

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