Planisphères

l Les planisphères américains ne sont pas les nôtres. Sur les nôtres, l’Atlantique est une mare nostrum, rive américaine d’un côté, européenne de l’autre, deux terres naturellement liées au-delà desquelles s’étendent des confins incertains. Pour nous, l’Atlantique organise le monde.

Il en est le centre alors que, pour les Américains, le c£ur du monde est un continent, le leur, qu’ils placent au milieu de leurs mappemondes, d’un côté l’Atlantique, de l’autre le Pacifique, deux océans au-delà desquels s’ouvrent l’Europe et l’Asie, espaces également lointains. La guerre froide l’avait fait oublier.

L’Union soviétique avait si bien soudé les rives atlantiques que ces deux visions du monde, américaine et européenne, s’étaient confondues dans les cartes d’état-major dressées par l’Otan. Le planisphère américain avait épousé le nôtre mais, l’URSS disparue, la menace commune évanouie, les Etats-Unis se retrouvent là où leurs géographes les avaient placés, entre deux océans et non plus à l’ouest d’un seul.

Nous ne voulons pas le voir, mais le monde a changé. Tandis que nous nous disputons, en Europe, sur nos degrés de fidélité à l’Alliance atlantique, nous ne voyons pas que, pour l’Amérique, cette alliance n’est déjà plus primordiale, plus exclusive en tout cas. Nous en sommes toujours à l’ancien siècle, quand, d’ores et déjà, les Etats-Unis sont dans le nouveau, tissant leurs liens avec la Chine, s’alliant à l’Inde pour contenir le Pakistan, s’installant en Irak pour refaire le Proche-Orient à leur main et ne se souciant de l’Europe que pour limiter nos ambitions.

Nous n’avons pas d’illusions à nous faire. Pour les Etats-Unis, dans ce siècle commençant, nous sommes un concurrent économique à ne pas laisser devenir concurrent politique. Nous sommes leurs alliés, nous le restons, mais pour autant seulement que nous les aidions à asseoir leur prééminence, que nous servions leurs intérêts nationaux, qui ne sont plus forcément les nôtres, déjà plus sur le marché mondial et de moins en moins, donc, dans les relations internationales.

Pour les Etats-Unis, non seulement nous ne sommes plus des alliés obligés, mais notre affirmation par l’Union ne serait, pour eux, tolérable qu’à la condition qu’elle ne puisse pas les gêner. Ce n’est évidemment pas le cas. Elle les gênera par le seul poids que notre unité nous donnera. Dans l’ère post-communiste, nous avons, eux comme nous, des dynamiques naturelles, souvent conciliables mais, parfois, divergentes.

Le problème n’est plus, dans ce contexte, d’être pro ou anti-américains. Il est d’être pro-européens, partisans déterminés de l’émergence d’une Europe puissance, assez forte pour défendre nos intérêts et refonder, avec l’Amérique, dans un rapport de forces, l’alliance dont notre communauté de valeurs a besoin. Cela ne se fera pas sans la France. C’est à la France d’ouvrir la voie, de proposer la transcendance des souverainetés nationales dans la souveraineté européenne, d’accepter, pour l’Union, le long pari de la démocratie. Jacques Chirac y est-il prêt ? l

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