Quand Bush fustigeait  » l’axe du mal « 

Bible à l’appui, l’Amérique se sent investie d’une mission d’émancipation universelle. Sa lecture aurait motivé George W. Bush à envahir l’Irak en 2003, avec des conséquences funestes qui se font encore ressentir douze ans après.

Défini comme un born again christian,  » chrétien né de nouveau « , l’ancien président américain George W. Bush ne cessait d’évaluer les événements selon une grille d’analyse religieuse. Quand il s’est mis en tête d’envahir l’Irak en 2003, les Ecritures ont à nouveau été mises à contribution. Selon lui, on assistait au début de l’Apocalypse et à l’accomplissement des prophéties bibliques.  » Gog et Magog sont à l’oeuvre au Proche-Orient « , a-t-il un jour asséné à un Jacques Chirac interloqué, et qu’il avait vainement tenté de rallier à sa cause.

Les mystérieux Gog et Magog furent à nouveau évoqués lors d’une conférence de Bush sur  » l’axe du mal « . D’après Jean-Claude Maurice, auteur de Si vous le répétez, je démentirai (Plon, 2009), l’Elysée s’est alors mis à consulter en toute discrétion le théologien suisse Thomas Römer. Sa conclusion ? Gog, prince de Magog, c’est l’Apocalypse. Ce personnage apparaît dans le Livre d’Ezéchiel, prophétie d’une armée mondiale livrant la bataille finale à Israël.  » Un conflit voulu par Dieu qui doit, terrassant Gog et Magog, anéantir à jamais les ennemis du peuple élu avant que naisse un monde nouveau.  »

Observé depuis une Europe laïcisée, la vision manichéenne de Bush avait de quoi interpeller. On connaissait déjà l' » axe du mal  » (où il rangeait l’Irak) qui faisait lui-même écho à l’Empire du mal inventé par Ronald Reagan pour estampiller l’Union soviétique. Ils ne font qu’illustrer le mythe américain bâti sur une intense culture biblique :  » L’idée que l’Amérique, terre de liberté, serait porteuse d’une mission d’émancipation universelle, est une des idées les mieux partagées, par-delà le cercle des pratiquants religieux « , rappelle Sébastien Fath, un spécialiste du protestantisme évangélique.

Avec le néomessianisme, c’est le modèle américain lui-même qui tend graduellement à remplacer le messie des chrétiens dans l’imaginaire social.  » En clair, l’American Way of Life devient le Paradis sur terre, quitte à écraser en route les obstacles qui dérangent « , explique Sébastien Fath. Le sénateur américain McCain, qu’on a déjà vu poser aux côtés de rebelles syriens, ne décrit-il pas les Etats-Unis comme  » la plus grande force de bien de l’histoire de l’humanité  » ? Les chrétiens d’Orient, qui ont dû fuir par millions, n’ont sans doute pas la même opinion. Pour eux, la délivrance du peuple de Dieu annoncée par l’Apocalypse selon saint Jean ne reste encore qu’une belle allégorie.

Si, contrairement à l’Afrique et à l’Amérique latine, l’Europe n’est plus un terreau fertile pour les prophéties messianiques, elle reste marquée par un événement majeur : les croisades. Aujourd’hui encore, chrétien, croisé et Européen se confondent dans l’imagination populaire arabe, même si la présence chrétienne est antérieure à celle de l’islam.  » La première croisade proclamée en 1095 n’était pas seulement une opération militaire pour délivrer Jérusalem mais aussi pour convertir les musulmans, rappelle l’historien André Vauchez. C’était une guerre coloniale avec une dimension eschatologique évidente, et qui a duré trois siècles.  »

Certains voient dans la position en pointe de la France dans le dossier syrien, où elle s’est époumonée à réclamer des frappes contre le régime de Bachar al-Assad, de vieux restes de cet esprit colonial. Quant à la désastreuse expédition de Bush en Irak, elle continue de faire ressentir ses effets néfastes jusqu’aujourd’hui. De l’Etat islamique aux attentats de Paris, le monde assiste éberlué à des répliques d’une vengeance qui ne s’assouvit pas.

François Janne d’Othée

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