» Comment la N-VA pourra-t-elle présenter dans cinq ans un bilan qui satisfera sa base ? « 

Pour Patrik Vankrunkelsven, ancien président de feue la Volksunie, la N-VA prend un risque important en acceptant de monter dans un gouvernement fédéral sans prétention institutionnelle. Il ne croit d’ailleurs pas beaucoup à cette stratégie.

Le Vif/L’Express : En tant que président de la Volksunie entre 1998 et 2000, vous avez incarné le mouvement régionaliste flamand. Comment ressentez-vous aujourd’hui le succès électoral de la N-VA et, plus encore, son entrée dans un gouvernement fédéral ?

Patrik Vankrunkelsven : Le gouvernement fédéral est par nature le lieu qu’un parti nationaliste ou régionaliste – je me suis toujours considéré comme régionaliste plus que nationaliste, et ce n’est pas une mince nuance, à mon sens – doit essayer d’intégrer pour réaliser sa vision de la réforme de l’Etat. C’est logique que la N-VA y soit et cela ne me fait pas peur. J’irais même plus loin : un parti comme la N-VA doit entrer prioritairement dans un gouvernement fédéral, davantage encore que dans un gouvernement régional. Car un programme nationaliste se réalise par définition au niveau fédéral, même si la N-VA peut aussi mettre en place son programme pour la seule Région flamande. Ce qui est atypique – et c’est une direction que nous n’aurions jamais prise avec la VU – c’est la volonté dans le chef de la N-VA de vouloir montrer qu’une autre politique est possible sans le Parti socialiste. Je trouve qu’elle le paie cher car en échange, elle doit mettre ses projets de réforme de l’Etat au frigo. Avec la VU et du temps de Hugo Schiltz, nous avions fait le contraire : considérant que le PS était le parti le plus important de Wallonie, nous avons collaboré avec lui pour créer ensemble un Etat fédéral sain, même s’il n’était pas complet. C’est peut-être une manoeuvre tactique grâce à laquelle la N-VA espère quand même pouvoir transférer davantage de compétences vers les entités fédérées, avec le PS hors du gouvernement fédéral. Mais c’est une stratégie à laquelle je ne crois pas.

C’est le pari que fait la N-VA. Est-il risqué ?

Je ne suis pas dans leur tête. Honnêtement, je ne m’attendais pas à un score aussi élevé de la N-VA. J’ouvre ici une parenthèse. Du temps de la VU, il y avait de fortes tensions entre l’aile gauche et l’aile droite du parti : la première, plus régionaliste, ne demandait pas l’indépendance, tandis que la seconde voulait aller plus loin dans la réforme de l’Etat. Je ne peux que constater que l’aile droite, libérée de l’aile gauche, a réussi ensuite à créer un parti, la N-VA. Ses chefs de file, dont Geert Bourgeois, ex-président de la VU, ont fait le bon choix, même si c’est un choix dans lequel je ne me retrouve pas. Ils ont, plus facilement que nous, compris le sens du courant en Flandre, moins à droite que le Vlaams Belang mais à droite quand même. Ils ont siphonné le Vlaams Belang, qui leur avait préparé le terrain. Ils y sont parvenus parce que des gens comme Sven Gatz, Annemie Van De Casteele, Bert Anciaux et quelques autres, dont moi-même, les progressistes de la VU, étions hors-jeu. Bart De Wever est aussi pour beaucoup dans la réussite de la N-VA. Mais cela ne suffit pas : il faut un terreau propice à cela. Pour en revenir à la question, la N-VA court effectivement un risque en entrant dans un gouvernement fédéral sans projet de réforme de l’Etat. Les nationalistes se disent peut-être qu’ils sont au sommet de leurs possibilités de croissance en termes de voix, que ce n’est donc pas sur ce plan qu’ils pourront profiter de leur participation gouvernementale et qu’il vaut mieux, du coup, opter pour un programme socio-économique. Mais je crains que pour la base du parti, demandeuse de plus d’autonomie pour la Flandre, voire de l’indépendance, il y ait un risque. Le Flamand classique n’est pas riche. Si l’on mène une politique moins sociale, dans laquelle la classe moyenne n’est pas épargnée, et certainement pas les plus pauvres, je ne vois pas vraiment, dans cinq ans, comment la N-VA pourrait présenter un bilan qui satisfera son électorat.

En termes de réforme de l’Etat, pensez-vous que d’autres pas importants doivent encore être franchis vers une plus grande fédéralisation ?

Il y a encore des étapes à franchir, et, à mes yeux, surtout dans les soins de santé. La solidarité doit rester fédérale mais les Régions doivent pouvoir puiser séparément dans le pot commun pour mener des politiques différenciées. Parce qu’elles ont des visions différentes en matière de politique de santé : en Flandre, on a un modèle plus anglo-saxon, avec une plus forte régulation par les pouvoirs publics tandis qu’en Wallonie, on a une vision plus libérale des soins de santé. Avec une telle différence, on ne peut pas mener une bonne politique fédérale. En tant que régionaliste, je trouve qu’on est très près d’une situation dans laquelle la réforme de l’Etat peut être finalisée, mais je sens du côté francophone une grande peur par rapport à l’éventualité d’une régionalisation des soins de santé. J’en ai déjà parlé avec Louis Michel ou Laurette Onkelinx, par exemple. Ils avaient une compréhension rationnelle et intellectuelle du sujet mais ils redoutaient que si l’on touche à la sécurité sociale, on perde la solidarité entre le Nord et le Sud. J’ai aussi l’impression que de grandes organisations comme les mutualités, qui ont du pouvoir et veulent le conserver, font la sourde oreille à cette demande de régionalisation. Raison pour laquelle tout est bloqué. Les francophones veulent clairement laisser les soins de santé en dehors de tout processus de régionalisation et je trouve que c’est un mauvais choix. Si l’on avait fait ça il y a dix ans, on aurait des lignes de force politiques tout à fait différentes aujourd’hui, y compris en Flandre. Sous le gouvernement Leterme, j’ai suivi ce dossier de près. Les partis francophones étaient alors fort dans une position défensive. De la sorte, ils ont, je pense, fait le lit de la N-VA. Ils portent une lourde responsabilité de ce point de vue.

Avez-vous vu les francophones évoluer entre le moment où vous dirigiez la VU et maintenant ? Et, si vous trouvez qu’ils ont été lents à comprendre certaines choses, les ont-ils comprises aujourd’hui ?

Je n’ai pas l’impression. Leurs peurs et leur aversion pour la N-VA sont compréhensibles parce que ce parti veut la scission du pays. Mais les francophones n’ont pas compris les régionalistes plus modérés, dont nous étions, et qui souhaitent transformer le pays en un Etat régionalisé mais solidaire et fonctionnant bien. Je n’ai encore jamais trouvé parmi eux quelqu’un qui propose un dialogue de fond. Peut-être qu’il y a eu trop de peu de réflexion et de concertation entre nous. Et je fais mon mea culpa car je n’étais pas non plus le meilleur constructeur de ponts possible.

Quid de Bruxelles ? On en reste au statu quo ?

Je ne vois pas de solution. La N-VA, contrairement à la VU, est prête à l’abandonner si cela lui permet de scinder le pays, ou propose une sorte de gestion à part pour la capitale. A la VU, nous avons toujours considéré que Bruxelles était trop importante pour être sacrifiée. Pour être honnête, je dois dire que quand j’avais 16 ans, je réclamais l’indépendance de la Flandre. En vieillissant, j’ai appris à reconnaître que diriger un pays avec plusieurs compréhensions de cet Etat n’a pas que des désavantages. La coopération entre communautés n’est pas mauvaise par définition. Mais elle ne peut se faire au prix d’une mauvaise gestion du pays.

Entretien : Laurence van Ruymbeke

 » La N-VA est prête à abandonner Bruxelles si cela lui permet de scinder le pays  »

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