De l’art de gouverner

GÉRALD PAPY

Pour surprenante qu’elle ait pu paraître, la décision de l’Allemagne de renoncer à l’énergie nucléaire d’ici à 2022 est en vérité le fruit d’une réflexion mûrie. Dès 2001, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, allié alors aux verts, avait programmé cette option à l’horizon 2020. De retour au pouvoir ensemble après les élections législatives de 2009, les deux autres grands partis sur la scène politique allemande, les conservateurs de la CDU/CSU et les libéraux du FDP, ont été tentés de la remettre en question. La catastrophe de Fukushima, en mars dernier, le plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl, a non seulement infirmé cette orientation ; elle a aussi poussé une Angela Merkel volontariste à baliser un calendrier de sortie du nucléaire contraignant. La décision du gouvernement allemand n’est pas sans risque. Elle augure à court terme d’une augmentation des prix de l’électricité, et, peut-être, d’une réduction de la productivité des entreprises. Elle passe par la construction de très polluantes centrales électriques au charbon et parie sur un développement spectaculaire des énergies renouvelables qui n’est pas acquis.

Pourtant, l’Allemagne a franchi le pas. Elle était sans doute une des rares grandes puissances industrielles à pouvoir espérer relever ce défi. La part de l’énergie nucléaire dans son approvisionnement en électricité est raisonnable (22 %). Certaines de ses sociétés sont déjà bien implantées dans les secteurs de l’énergie durable. Sa taille et sa puissance l’autorisent à appréhender ce bouleversement avec une certaine confiance.

Cette confiance, le gouvernement a su la forger. Une commission dite éthique, rassemblant des représentants des forces vives du pays, a débattu de la question ; l’opposition a été consultée ; le projet de loi, adopté par le gouvernement le 6 juin, devrait être approuvé par le Parlement début juillet. En quatre mois, l’Allemagne aura finalisé une décision  » historique  » sur son avenir énergétique. Bref, un modèle de gouvernance, même si le  » cavalier seul  » de Berlin irrite certains partenaires d’une Union européenne, de toute façon dépourvue de stratégie énergétique commune.

Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur le fond de la décision, la politique allemande en matière d’énergie a le mérite de la clarté. Elle tranche, étonnant paradoxe, avec les cafouillages observés ces jours-ci dans la gestion des ravages de la bactérie E. coli. Elle rappelle surtout, et à nous Belges en particulier, que gouverner, c’est prévoir et que l’on reconnaît les hommes – et les femmes – d’Etat à leur capacité de mener des politiques qui produiront leurs effets au-delà de la prochaine échéance électorale.

Dans son argumentaire contre le nucléaire, Angela Merkel a dit ambitionner de réconcilier la rentabilité économique et la performance environnementale comme son parti, la CDU, avait, par le passé, réuni le capital et le travail dans le succès de l’économie sociale de marché. L’Histoire dira si l’Allemagne a joué un rôle de précurseur avisé et si, de la sorte, elle a propulsé ses entreprises comme leader mondial d’un marché prometteur. Un cap est en tout cas fixé, qui peut enclencher un cercle vertueux. Un cap politique ? C’est ce qui manque cruellement à la Belgique où les responsables, un an après les élections, ne mesurent pas encore combien la prolongation des affaires courantes va pénaliser l’adoption de politiques judicieuses dans des domaines pourtant cruciaux pour l’avenir, l’approvisionnement énergétique n’étant pas le moindre.

L’Allemagne se fixe un cap énergétique qui peut enclencher un cercle vertueux

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