Folie des grandeurs de Di Rupo ?

Mons 2015 : l’émerveillement, la fête, l’espoir… Au-delà du rêve, la dure réalité : chantiers, retards accumulés, budgets qui explosent… Elio Di Rupo a-t-il vu trop grand pour sa ville de 93 000 habitants ? Seule certitude, tout ne sera pas prêt pour 2015. Visite dans les coulisses de la future capitale européenne de la culture.

Elio Di Rupo s’énerve, hausse le ton, tape du poing sur la table. La confidence vient d’un administrateur (non-PS) de la Fondation Mons 2015 :  » Elio a piqué quelques crises ces derniers temps, car il se rend compte que les choses n’avancent pas assez vite.  » Confirmation prudente de Gilles Mahieu, homme de confiance de Di Rupo :  » On assiste à une poussée d’adrénaline dans la préparation de 2015. Il est normal qu’il y ait quelques rattrapages lorsque tout n’a pas été bien anticipé…  »

La tension monte dans la cité du Doudou. Il reste à peine un an et demi avant l’ouverture des festivités qui, pendant douze mois, feront de la ville du Premier ministre belge le phare culturel de l’Europe. Un pôle d’attraction exceptionnel où convergeront médias et touristes de tout le continent et même du monde entier. Comme à Lille en 2004, à Liverpool en 2008 ou à Marseille cette année. Pouvoir rayonner aussi fort et aussi loin est une chance unique pour une région, celle de Mons-Borinage, qui rime avec chômage et souffre encore de son image de friche industrielle. C’est un défi qu’on ne peut se permettre de rater. Elio Di Rupo le sait. Il en va de l’avenir des Montois et de son propre avenir politique.

Mais se préparer à une telle lumière relève des travaux d’Hercule. Et vu le nombre de chantiers engagés, encore en cours ou à peine entamés, voire bloqués, à dix-huit mois de l’échéance, on se demande si Mons ne ressemblera pas à un grand Lego inachevé.  » On risque d’avoir une ville défigurée en 2015 « , craint Manu Disabato (Ecolo), administrateur à la Fondation et chef de groupe au parlement wallon.

Le discours est d’ailleurs en train de muer tant à la Ville qu’à la Fondation.  » Mons ne sera pas une ville aseptisée en 2015. Une ville qui bouge a toujours un chantier quelque part « , annonce Gilles Mahieu. Le commissaire de la Fondation Mons 2015, Yves Vasseur (directeur du Manège), confirme :  » Le but n’est pas de dire : « Venez à Mons en 2015, tout est beau, tout est fini ». Mais plutôt de montrer une ville en métamorphose. Nous pourrons toujours organiser des visites du chantier de la gare pour assister à cette transformation.  »

Doubles discours

Pas prête pour 2015, l’oeuvre de Santiago Calatrava ?  » Les passagers devraient pouvoir utiliser la gare cette année-là, mais le bâtiment Calatrava, lui, ne sera pas terminé. C’est ce qu’ont toujours dit la SNCB et Eurogare, le bureau d’étude chargé du projet « , soutient Nicolas Martin, bourgmestre ff de Mons. Pourtant, il y a huit mois à peine, la porte-parole d’Eurogare déclarait encore, à propos de la fin programmée des travaux, être confiante malgré le timing serré…

Même type de discours sur les projets architecturaux subventionnés par l’Europe (fonds Feder) et gérés par la Ville :  » La stratégie des fonds européens a été menée indépendamment de 2015, affirme Nicolas Martin. Nous l’aurions fait de toute façon.  » Dans le dossier de presse qui nous a été remis à la Fondation, il est néanmoins souligné que  » l’architecture est au coeur de Mons 2015 « . Elle en constitue même une des colonnes vertébrales (sic).

Parmi ces projets architecturaux financés par le Feder, le chantier du futur Centre de congrès, dessiné par l’architecte du World Trade Center de New York Daniel Libeskind, semble bien avancer. C’est loin d’être le cas, en revanche, de la plupart des projets phares qui doivent mettre en valeur le patrimoine et l’histoire de Mons. Des exemples ?

Sur le site des minières néolithiques de Spiennes, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, un pavillon d’accueil et d’exposition devra accueillir 6 000 visiteurs par an (contre 1 000 aujourd’hui). Les travaux ont été sérieusement retardés par un problème de stabilité dû aux eaux de ruissellement. Ce qui a d’ailleurs fait exploser le budget.  » Le problème des nappes phréatiques est connu à Mons, explique Charlotte Dejaer, conseillère Ecolo à Mons. On aurait dû l’anticiper avant de lancer le marché public, d’autant que l’intercommunale montoise Idea est experte en la matière. L’assèchement de la vallée de la Haine est même sa raison d’être historique.  »

Autre site Unesco, le beffroi de Mons fait l’objet d’un lifting complet. Un centre d’interprétation doit y voir le jour. La réouverture est programmée pour 2014. Si les travaux extérieurs sont terminés, les aménagements intérieurs (électricité, chauffage, ascenseurs, scénographie) doivent encore être réalisés. Le hic : des fonds de la Région wallonne sont bloqués. Une enveloppe de 1,6 million d’euros est prévue sur le budget du Patrimoine, mais le ministre Carlo Di Antonio (CDH) rechigne. Il faut dire que les subsides wallons alloués à Mons suscitent de plus en plus de jalousie (lire encadré).

Gros projet et gros budget (6,5 millions d’euros), le musée d’Histoire militaire, c’est sûr, ne sera pas prêt, comme prévu, pour les commémorations de la guerre de 1914, qui pourraient pourtant bien voir la Reine d’Angleterre herself débarquer à Mons. La Ville a demandé à l’architecte Pierre Hebbelinck (qui a réalisé le MAC’s au Grand Hornu) de revoir ses plans et de renégocier avec les entrepreneurs leurs offres de prix jugées trop élevées.  » Ces derniers ont profité des échéances pour gonfler leurs devis, mais le collège a résisté, explique le bourgmestre. Tant pis pour les délais, le budget est plus important.  »

Le couac Virtualis

Très attendu, le futur musée du Doudou (également patrimoine Unesco) a, lui aussi, pris beaucoup de retard. Initialement, l’appel d’offre pour ce projet majeur de Mons 2015 a été remporté par Virtualis, une jeune société montoise chapeautant une dizaine de partenaires spécialisés dans les médias numériques et rassemblant actionnaires privés et publics (dont Wallimage et Tecteo). Vivement encouragée dès 2008 par Elio Di Rupo, cette société anonyme à coloration nettement socialiste s’est seulement illustrée par sa scénographie au pavillon belge de l’expo de Shanghai en 2010. La même année, elle accusait des pertes vertigineuses. Malgré tout, le projet du musée du Doudou a été engagé, en 2011, avec la SA montoise, en cheville avec Hebbelinck et la société Tempora (réalisation d’expos). Mais entre Virtualis et Hebbelinck le courant n’est pas passé. L’architecte a claqué la porte. Et voilà qu’il y a deux mois, c’est Virtualis, pourtant principal mandataire du projet, qui s’est vu contrainte par la Ville de rendre son tablier. Tempora devrait reprendre le marché, sans nouvel appel d’offre.  » Le collège de Mons a décidé de recourir à une procédure négociée, justifiée par l’urgence, nous dit-on à la Ville, car le musée doit être prêt pour 2015.  » Une offre est attendue de la part de Tempora au mois d’août. En attendant, l’échéance approche…

Le constat est évident : tous les projets ne seront pas terminés à heure et à temps. Une véritable course contre la montre est engagée.  » Quand on voit le nombre de projets en chantier, c’est énorme, estime Manu Disabato. Même si la cellule marché public de la Ville a été considérablement renforcée ces dernières années, il faut avoir les moyens humains d’absorber tout ça.  » A qui la faute ?

Pour d’aucuns, c’est le résultat de l’ambition démesurée d’Elio Di Rupo pour une ville somme toute moyenne qui ne dépasse pas les 100 000 habitants mais qui veut se mesurer à Lille (230 000 habitants) et à sa réussite de 2004.  » Une ville qui est placée sous plan de gestion et à qui la tutelle wallonne interdit tout déficit à partir de 2013 « , rappelle Savine Moucheron, conseillère CDH. Ce qui a d’ailleurs engendré une récente négociation ardue entre la Ville et la Fondation Mons 2015 pour savoir qui allait assurer les frais, estimés à 2 millions d’euros, occasionnés par les événements de 2015 (petits fours, sécurité, nettoyage…). Résultat : la Fondation payera.

La folie des grandeurs de Di Rupo est toutefois peu critiquée par les habitants de Mons.  » L’élio-centrisme est plutôt bien vu par les Montois, observe Charlotte Dejaer. Ils en sont fiers, car les sous qu’Elio Di Rupo réussit à capter un peu partout seront investis dans leur ville. Mais cela ne concerne que l’intra-muros… A Flénu (Ndlr : entre Mons et Quaregnon), on vient de supprimer le dernier Bancontact, après le départ de La Poste. Même la Mutualité socialiste va bientôt déserter cette commune.  »

Une dissidence récupérée

Des oubliés de Mons 2015 ont tout de même tenté une action dissidente. En marge de la préparation officielle, plusieurs associations d’éducation permanente (MOC, PAC, Maison des jeunes de Cuesmes, Maison ouvrière de Quaregnon…) ont mené une réflexion autour d’un festival off, un peu comme à Avignon, pour impliquer les publics plus défavorisés.  » Mons 2015 n’a longtemps été qu’un slogan et cela donnait l’impression que tout se tramait en cachette, analyse Nikola Brésart, ancien élu montois PS. Or tout le monde veut avoir sa place en 2015, en particulier le monde associatif et culturel.

Futé, Di Rupo a senti le vent se lever. Son fidèle lieutenant Gilles Mahieu a joué les démineurs et le off a été intégré dans le programme de la Fondation, malgré les réticences de son commissaire Yves Vasseur peu porté sur l’associatif. Une plate-forme  » alterculturelle « , baptisée PopUp (pour évoquer la culture populaire), s’est officiellement constituée fin juin. Une convention est actuellement négociée, entre autres pour dégager un budget (lire l’encadré). Quant à Yves Vasseur, il s’est fait à l’idée.  » Mons 2015 est un état d’esprit. Chacun a un rôle à y jouer, reconnaît-il tout en précisant : Nous devons assurer un lien entre la Ville et la population mais aussi entre la Ville et l’Europe, car nous ne serons pas la capitale culturelle que de l’arrondissement de Mons.  »

Pour le reste, la Fondation doit remettre à Elio Di Rupo, avant les vacances du gouvernement, une première vue d’ensemble de ce que sera Mons 2015.  » Je pense qu’on y est à 85 %, sourit Vasseur. Cet automne, on ajustera le tir pour éviter les doublons et rattraper les éventuels oublis. Ensuite, en 2014, on se lance dans la fabrication !  » Quelques expositions ont déjà été dévoilées (Van Gogh, Verlaine, Mons superstar…). A priori, ici, les projets semblent mieux emmanchés. Les travaux de réfection et de sécurisation de Beaux-Arts-Mons (BAM) sont en phase d’achèvement pour pouvoir accueillir les toiles de Van Gogh – le peintre a vécu à Cuesmes pendant un an – qui constitueront l’expo la plus spectaculaire de l’année culturelle.

Conçu dès le départ comme une opération de relance économique, Mons 2015 reste un fameux défi. Nicolas Martin se targue de voir des investisseurs flamands déjà débouler en nombre dans la ville qu’il administre.  » L’essentiel, ce n’est pas la culture, c’est le développement de la ville « , assène-t-il. Reste que si Mons 2015 offre la même image que celle dont la région de Mons-Borinage veut se laver, les investisseurs tourneront les talons.

Par Thierry Denoël

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