Diana Krall Luxe, calme et bossa-nova

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Rencontrée à Berlin, la chanteuse et pianiste Diana Krall parle de Quiet Nights, nouvel album voluptueux marqué par le Brésil, de son amour inconsidéré des radio days, de son mari Elvis Costello et de leurs deux jumeaux…

Dans une suite forcément chic qui donne sur l’historique porte de Brandebourg, Diana débarque, un rien reine de Saba, à condition que celle-ci porte une robe griffée, une blondeur décolorée et des bottes fashion. Miss Krall, née en 1964 en Colombie-Britannique, est une star du jazz à la réputation capricieuse, d’où la nervosité de son label Universal qui s’assure avant l’interview que nous « connaissons bien l’£uvre de Mme Krall « . Suffisamment, en tout cas, pour saisir le molletonné profond de son nouveau Quiet Nights, collection de douze morceaux enamourés de la bossa et du jazz, nimbés de la suavité naturelle de Rio, pratiquant accords mineurs et orchestrations majeures. Des reprises de Cole Porter, du sublime How Can You Mend a Broken Heart des Bee Gees : Diana y croone d’aise, rendant The Boy From Ipanema pareil au fruit mûr d’un cocktail coquin, ou traversant le classique de Bacharach/David -l’immarcescible Walk on By – comme on caresse inlassablement la peau de la meilleure musique nord-américaine. Sa voix aux respirations justes n’a pas changé de registre, elle rayonne sous les sunlights des arrangements élégants de l’Allemand Claus Ogerman, septuagénaire qui a travaillé avec Jobim, Sinatra, Bill Evans et Stan Getz.

Le Vif/l’Express : Quelle est votre histoire brésilienne ?

>Diana Krall : L’idée de ce disque vient d’un voyage au Brésil, mais, depuis toute gamine, j’ai été nourrie par la collection de disques de mon père pianiste, de Sergio Mendez et du fameux album de Stan Getz et de João Gilberto paru en 1963, qui allait propager la bossa-nova dans le monde entier. On sait que les musiciens de la bossa craquaient pour Sinatra et la musique américaine, on sait aussi que Dick Farney (NDLR : le Sinatra brésilien, 1921-1987) faisait sans cesse des allers-retours entre les deux pays, y amenant les influences réciproques. Jobim, João, également.

La bossa-nova est une expression sublimée de la vie, du bonheur, de la sensualité…

>Oh, vous savez, je ne suis qu’une de ces filles du Canada qui se contentent de faire de la musique (sourire) sans prétendre maîtriser l’essence du portugais, même si sur le disque je chante un titre dans cette langue, Este seu olhar. J’ai grandi dans une petite ville où la radio était importante, je m’immergeais dans un monde dessiné par les disques de mon père, Bing Crosby, Sinatra, Armstrong, j’écoutais énormément de musique des années 1920 et 1930. Ce qui ne m’empêchait pas, teenager, d’écouter Elton John, et de mélanger les époques, les genres, les styles. J’ai retrouvé cette façon de s’entourer de musique chez mon mari. A la dernière fête de Noël, je me suis mise au piano, Elvis s’est mis à chanter en se prenant pour Bing Crosby, moi pour Rosemary Clooney. Comme un caprice d’adultes gâtés.

Pourquoi Rosemary Clooney ( NDLR : fameuse actrice-chanteuse américaine des années 1950-1960, tante de George, morte en 2002) ?

>C’est vraiment l’une des chanteuses populaires les plus importantes de notre époque, elle avait fait la couverture du magazine Time, c’était une seconde mère pour moi. Elle est d’ailleurs morte, en 2002, six semaines après ma propre mère. C’est probablement la personne qui m’a le plus influencée, quelqu’un qui niait complètement l’égoïsme. Vous avez vu White Christmas ?

Jamais, non !

>Clooney y joue en compagnie de Bing Crosby et de Danny Kaye, c’est un film de 1954 avec la musique d’Irving Berlin. Vous avez vu le Radio Days de Woody Allen ? C’est exactement l’atmosphère dans laquelle mon père a grandi, la suprématie de la radio. Et j’ai connu la même chose, je dévorais les émissions, les shows de nuit, comme je regardais African Queen sur un petit poste noir et blanc pourri. J’ai grandi dans la  » nostalgie « , mais cela m’a donné une base et un amour formidables de la musique. Et puis j’ai découvert Bill Evans et Herbie Hancock…

Le jazz n’a-t-il pas perdu son importance historique ? Son impact chez la jeune génération est modeste, voire inexistant.

>Oui, bien sûr. Regardez mon label Verve qui, avec Blue Note, est l’un de ceux qui comptent en jazz, regardez comme son catalogue s’est érodé. Au mitan des années 1990, le jazz américain semblait renaître à la radio, on y entendait Benny Green, Joshua Redman, Christian McBride, Russel Malone, Roy Hargrove. Maintenant, je ne sais même pas si ces gens enregistrent encore (sourire navré). J’ai peut-être survécu parce que je ne me suis jamais considérée comme une musicienne jazz au sens strict, une instrumentaliste comme ces gens-là. On va voir ce que Barack Obama va pouvoir changer à l’art et à la culture, tellement méprisés par le pouvoir de Bush pendant huit ans…

Que s’est-il passé lorsque vous avez joué l’album pour la première fois à Elvis ?

>Je ne peux pas vraiment le dire (elle rigole)… Il a aimé. Le fait d’avoir des enfants, d’être mariée à Elvis, de pouvoir enfin dominer le chagrin survenu après la mort de ma mère, c’est une sensation très forte… Pendant longtemps, j’ai craint d’être heureuse, m’excusant de mon propre succès. Particulièrement après The Look of Love sorti en 2001, on m’a beaucoup reproché de mettre mes jambes en avant (rires), de tempérer mon jazz, ce qui m’a placée sur la défensive…

Que se passera-t-il si vos deux fils ne deviennent pas musiciens ?

>Un drame (rires). Non, les jumeaux Dexter et Frank, nés en décembre 2006, feront ce qu’ils voudront. Je veux qu’ils soient heureux, je les emmène en voyage depuis qu’ils ont 3 mois. J’ai d’ailleurs un plan d’enregistrer un disque pour enfants avec Elvis… Mes fils sont tellement adorables, je dois vous montrer leurs photos…

Et Diana Krall de montrer au reporter une collection des Costello juniors sur son iPhone. Diva Krall certes, mais mère épanouie avant tout.

CD Quiet Nights, chez Verve/Universal.

Philippe Cornet

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