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Les actions d’Anonymous sont-elles contre-productives ?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Suite aux attentats de Paris, le collectif de hackers Anonymous a lancé une opération visant les comptes en ligne de l’Etat islamique. Des experts se questionnent quant à l’utilité de ces actions.

Le groupe Anonymous a posté le 16 novembre une vidéo annonçant « l’opération la plus importante jamais réalisée  » contre l’Etat islamique, via de « nombreuses cyberattaques« . Le groupe de hackers a annoncé avoir « saboté » plus de 5500 comptes liés à Daech, suite aux attentats de Paris, sans toutefois donner de détails sur leurs opérations. Cette opération, annoncée sur les réseaux sociaux, a été bien accueillie par les internautes, qui ont massivement « retweeté » et « aimé » leurs publications.

Ce n’est pas la première fois que le collectif le fait. Cela avait déjà été le cas après les attentats de Charlie Hebdo, où ils avaient bloqué plusieurs sites, mails et environ 9000 comptes appartenant à l’EI.

Mais les actions en ligne d’Anonymous servent-elles vraiment à quelque chose ? Au contraire, le groupe ne participe-t-il pas, sans le vouloir, à la perturbation des enquêtes ?

Actions inutiles ?

En fermant les comptes en ligne liés à l’EI, « Anonymous espère réduire la possibilité, pour Daech, de communiquer et de faire du prosélytisme sur Internet« , rapporte le Courrier International.

« Mais ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus utile en ce moment, d’après plusieurs analystes« , selon CS Monitor. Joe Gallop, responsable du renseignement par le piratage chez iSight Partners, confie au site que « même si Anonymous se révèle efficace pour fermer les comptes et les sites, rien n’empêche l’organisation terroriste d’en créer de nouveaux « . Selon lui, les actions du collectif de hackers « ressemblent plutôt à du harcèlement et n’aident pour autant pas les forces de l’ordre à empêcher une attaque comme celle de Paris« .

Environ une semaine avant les attentats de Paris, Anonymous a mené une opération destinée à diffuser publiquement les noms des personnes liées au Ku Klux Klan (KKK) aux Etats-Unis. « L’opération me paraît être un fiasco (prévisible) sur toute la ligne « , écrit Maxime Pinard, directeur d’un site d’analyse stratégique sur le cyberespace, dans L’Obs. La liste divulguée par Anonymous a fait suite à une fausse liste publiée quelques jours avant par des personnes se présentant en tant qu’Anonymous, rappelant la faiblesse de cette « organisation non organisée« , dont peut se réclamer. Les Anonymous ont notamment précisé en révélant la liste que certains membres étaient dangereux, d’autres non. La liste ne présente cependant aucune hiérarchie précise à ce sujet, laissant planer le doute sur l’ensemble des personnes qui y figurent. De plus, l’opération a, selon Maxime Pinard, plutôt fait la publicité de l’organisation, au lieu de lui nuire. L’opération KKK a permis notamment de mieux faire connaître leur structure web, à travers les blogs des membres, ainsi que le moyen d’entrer en contact avec eux.

Perturbation des enquêtes en cours

Les actions d’Anonymous contre l’EI risquent-elles de perturber les enquêtes en cours ? Beaucoup d’experts en cybersécurité se posent des questions à ce sujet. Pour Olivier Laurelli, expert en sécurité informatique interviewé par Metronews, les actions d’Anonymous ne sont pas une bonne chose. Il trouve que les actions du groupe ont du mal à faire leurs preuves. En effet, les comptes fermés suite à l’opération après les attentats de Charlie Hebdo n’ont pas vraiment perturbé ni ralenti les opérations de l’EI.

« Même si je suis convaincu que ça part d’un bon sentiment, il y a plusieurs risques. Le premier est d’interférer de manière non souhaitable dans des enquêtes judiciaires en cours. Parmi les personnes interpelées aujourd’hui, certaines ont probablement des comptes sur les réseaux sociaux et ces données doivent être exploitées. Si les comptes ont été supprimés, c’est autant d’éléments perdus pour les enquêteurs« , explique Laurelli. De plus les comptes Twitter peuvent être importants à analyser, notamment en observant les premiers followers de ces comptes, pour déterminer l’entourage de l’auteur et remonter jusqu’à lui.

Pour Éric Filiol, directeur du laboratoire de cryptologie et de virologie opérationnelles à l’ESIEA (École Supérieure d’Informatique, Électronique, Automatique), interrogé par Metronews, les « gesticulations » du collectif témoignent de son amateurisme. Eric Filiol regrette que « les djihadistes risquent de se servir des attaques menées par Anonymous pour moderniser leurs outils informatiques. Sans le savoir, les hackers d’Anonymous ont fait le jeu de Daech. Et tout cela, uniquement pour se faire passer pour des héros« .

La résistance à la place du vide

Face aux événements qui se sont produits, « cette guerre en ligne peut sembler ridicule« , écrit Foreign Policy dans article consacré à la guerre Anonymous vs. EI. « Bloquer des comptes Twitter et des sites, ou même révéler les noms de membres du groupe n’arrêtera pas l’Etat islamique« . Mais il peut avoir tout de même des côtés positifs : « Cela ne permettra pas de libérer la Syrie et l’Irak. Mais ce n’est pas grave. L’intérêt de ces campagnes en ligne contre Daech, c’est de riposter, de créer une résistance là où avant il n’y avait qu’un vide. »

Bien que la symbolique autour des Anonymous demeure puissante et suscite des mouvements d’action, Anonymous conserve des faiblesses structurelles trop importantes pour croître efficacement dans le cyberespace. Pour Eric Filiol, les comptes ciblés par Anonymous étaient ceux de « loups solitaires », des amateurs , dont certains étaient déjà sous surveillance : « Lorsque ces terroristes du dimanche se rendent sur des sites djihadistes, cela permet au renseignement de repérer les véritables bastions de Daech sur Internet et ainsi de récupérer des informations clés. C’est eux la faille du système. » Les différents experts se rejoignent sur un point : Anonymous devrait laisser les professionnels du renseignement faire le travail.

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