Trop chers, les princes et les princesses?

Depuis Albert II, le coût de la monarchie est en nette augmentation: un groupe de sénateurs veut endiguer l’inflation et suspendre les dotations d’Astrid et de Laurent, dès que Philippe succédera à son père. Enjeux

Laurent, l’électron libre de la famille royale, va-t-il s’assagir? Depuis octobre dernier, il dispose en tout cas, comme son frère et sa soeur, d’une dotation pour rémunérer ses collaborateurs et couvrir ses frais de représentation. Il n’a toutefois obtenu un crédit de fonctionnement de 11 millions de francs (272 683 euros) qu’au prix d’un débat sur les dotations. Le flamingant Jean-Marie Dedecker, sénateur VLD et ancien entraîneur de l’équipe nationale de judo, est à l’origine du projet de révision du système actuel appelé à entrer en vigueur lors du prochain règne. Dans le groupe de travail chargé de dégager une proposition de loi, tout le monde n’est néanmoins pas sur la même longueur d’onde. Certes, il semble clair qu’Amadeo, le fils aîné de la princesse Astrid, et ses frère et soeurs ne bénéficieront pas d’une dotation, à la différence d’Elisabeth, fille de Philippe et Mathilde. Mais la proposition d’une majorité alternative (VLD/PS/SP.A(ex-SP)/Ecolo/Agalev/Spirit(issu de la VU)) de priver de leur dotation, Laurent et sa soeur, Astrid, dès que Philippe succédera à son père, fait des remous.

« Ce débat est très sain, affirme pourtant Pierre-Yves Monette, médiateur fédéral, ancien collaborateur du Palais et auteur de Métier de Roi (Alice Editions). Il trouve son origine dans l’abrogation de la loi salique, en 1991, qui a fait « exploser » le nombre de princes et de princesses successibles au trône. »

En outre, depuis l’accession d’Albert II au trône, c’est toute une famille qui s’est mise au service de la couronne. A la veille du mariage princier, en 1999, il a donc paru logique au gouvernement de doubler la dotation du jeune marié, qui atteint actuellement 33,9 millions de francs par an (840 359 euros) et d’affecter à la princesse Astrid, qui voyage beaucoup comme présidente d’honneur de la Croix-Rouge, un budget désormais équivalent à 11,7 millions de francs (290 035 euros). Le prince Laurent, lui, sort bredouille de l’opération et s’en est plaint publiquement.

En mai dernier, le gouvernement fédéral se « rattrape » en s’accordant sur l’octroi d’une dotation au troisième enfant du roi qui oeuvre pour la sauvegarde de l’environnement et le bien-être des animaux. Si la Chambre a approuvé le projet de loi sans états d’âme, quelques sénateurs se sont cabrés. La monarchie allait-elle se transformer en un puits sans fond?

410 millions

Les dotations ne représentent qu’une partie du coût de celle-ci. Héritage de l’Ancien Régime, la liste civile n’est pas un salaire royal, mais un budget de fonctionnement qui doit permettre au souverain de mener une vie en rapport avec sa fonction. Son montant est fixé par une loi en début de règne afin d’éviter, au Parlement, des discussions annuelles qui pourraient mettre la monarchie en cause. A l’avènement d’Albert II, en 1993, la liste civile a été fixée à 244 millions de francs (6,048 millions d’euros) par an. Pour contrebalancer la dépréciation monétaire, ce budget a été lié à l’indice des prix à la consommation. Tous les trois ans, une réévaluation est également effectuée afin de tenir compte de la hausse des salaires des fonctionnaires fédéraux et de la croissance des cotisations patronales à la sécurité sociale. En 2001, Albert II a donc reçu 284,9 millions de francs (7,062 millions d’euros). Pour quoi faire? L’an dernier, 70,5 % de la liste civile ont servi à rémunérer quelque 130 ouvriers, employés et hauts dignitaires. 11,2 % sont passés dans l’entretien intérieur et l’ameublement des palais royaux, 6,7 % dans des frais de réceptions d’hôtes de marque et de voyages officiels du couple royal à l’étranger, etc.

Depuis l’indépendance de la Belgique, le coût de la monarchie n’a fait que diminuer jusqu’à Baudouin qui, en début de règne, a reçu un budget, en francs constants, trois fois inférieur à celui du premier roi des Belges. Dans le même temps, la part de la liste civile dans le budget de l’Etat a régressé de 3,35 % à 0,045 % (pour 0,012 % en fin de règne)! Depuis Albert II, l’érosion a été enrayée. La liste civile représente actuellement 0,015 % des moyens de l’Etat, sans compter les dotations aux différents membres de la famille royale.

Ces dernières sont accordées annuellement par le Parlement, bien qu’aucune obligation n’est inscrite dans la Constitution, rappelle Christian Koninckx, dans Le Roi en Belgique (éditions Kluwer). Il est seulement de tradition qu’une dotation soit votée en faveur de l’héritier présomptif de la couronne et en faveur de la veuve du roi. Depuis la mort de Baudouin, la reine Fabiola reçoit une dotation de 52,6 millions de francs (1,303 million d’euros). La princesse Lilian, veuve de Léopold III, bénéficie, quant à elle, de 16,2 millions (401 590 euros). Au total, en 2001, la monarchie belge aura coûté 410,3 millions de francs (10,163 millions d’euros).

Est-ce trop? Pierre-Yves Monette constate, en tout cas, que notre monarchie coûte moins cher qu’une république: ainsi, le budget alloué à la présidence, en France, est de 504,4 millions de francs (12,504 millions d’euros) et, en Allemagne, de 712,085 millions (17,652 millions d’euros). La population et la superficie de ces pays sont toutefois nettement supérieures aux nôtres!

Jean-Marie Dedecker, quant à lui, fait remarquer qu’en Europe les enfants d’aucune autre maison royale ne bénéficient de budget, à l’exception, généralement, de l’héritier présomptif. Ainsi, Beatrix des Pays-Bas reçoit quelque 144 millions de francs (3,569 millions d’euros). Au total, la couronne néerlandaise coûte 270 millions de francs (6,693 millions d’euros), y compris les dotations du prince héritier, Willem-Alexander, du prince consort, le prince Claus, de l’ancienne reine mère, la princesse Juliana, et de son époux, le prince Bernahard. La monarchie britanique atteint, quant à elle, 580 millions (14,377 millions d’euros), dont 515 millions (12,766 millions d’euros) à la seule reine Elisabeth. Le prince héritier Charles ne bénéficie, quant à lui, d’aucune dotation.

Plus clair, plus sélectif

Au sein du groupe de travail sénatorial, Josy Dubié (Ecolo), qui suggérait dès juin dernier à la descendance royale de se trouver un job, a insisté sur le « risque d’inflation » et la nécessité d’un « système transparent et cohérent ». Le but d’une nouvelle législation serait d’énumérer des critères clairs d’attribution afin que, selon le VLD, l’opinion publique n’ait pas le sentiment que le Parlement accorde de façon arbitraire des cadeaux aux membres de la famille royale.

Mais comment procéder? Dans le groupe de travail, personne n’a remis en cause le principe de la « pension de survie » au veuf ou à la veuve d’un souverain ou d’un premier héritier qui serait décédé avant d’accéder au trône. Car tout le monde est d’accord d’octroyer au futur monarque, dès ses 18 ans, une dotation indexée (à fixer ultérieurement), qui lui permette de se préparer à sa mission et d’assumer un travail de représentation. Nouveauté: son conjoint pourra, lui aussi, bénéficier d’un budget de fonctionnement. Le destin d’Elisabeth est donc tout tracé. Mais qu’en sera-t-il de ses éventuels frères et soeurs? Recevront-ils une dotation comme Laurent et Astrid, aujourd’hui? Non, a estimé une majorité alternative, représentant les libéraux flamands, les socialistes et les écologistes du nord et du sud du pays, ainsi que par les « progressistes » de Spirit: il ne serait pas supportable de prévoir un budget de fonctionnement pour l’ensemble des enfants du roi qui ne devraient donc plus tous le représenter.

En outre, si cette majorité alternative ne s’oppose pas aux dotations actuelles d’Astrid et de Laurent, elle estime qu’il ne peut s’agir de dotations viagères, attribuées à vie. Autrement dit, dès l’accession de Philippe au trône, sa soeur et son frère perdraient leur budget avec, pour toute consolation, une sorte de préavis de quelques mois.

Hostiles à cette idée, les sociaux-chrétiens francophone et flamand participant au groupe de travail ont immédiatement déposé une autre proposition de loi réclamant une dotation (viagère) pour le deuxième successible, par mesure de sécurité, s’il advenait un malheur à l’héritier présomptif. Le sénateur PRL Olivier de Clippele, rapporteur du groupe, avait, quant à lui, défendu l’idée d’un budget pour toute la fratrie royale, comme actuellement: « Il serait particulièrement regrettable pour la couronne que des enfants royaux se reconvertissent dans les relations publiques ou dans la politique », explique-t-il. Le mandataire libéral souhaitait également « ne pas créer d’inégalités », évoquant la dotation refusée au prince Charles, frère du roi Léopold III, avant qu’il ne devienne régent, refus qui aurait contribué à la détérioration de leurs relations « avec toutes les conséquences dommageables qui en découlèrent pour le pays ».

Valeur de test

Enfin, de Clippele fait remarquer que certains membres du groupe de travail sont animés par un projet républicain. La proposition qu’ils ont signée ne fait pas nécessairement l’unanimité au sein de leur propre parti. Quoi qu’il en soit, ce texte sera transmis prochainement à la commission des finances du Sénat avant de donner lieu à un débat public l’an prochain. Mais, d’ici là, des poids lourds du gouvernement fédéral pourraient se manifester. « L’enjeu financier des dotations est en réalité minime, poursuit de Clippele. Le dossier a toutefois valeur de test: il permettra de mesurer l’attachement des partis à la monarchie. » Plus miné que prévu le terrain des dotations?

Dorothée Klein

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