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Les proches de Bjorg Lambrecht témoignent: « Je n’aurai plus jamais pareil ami »

Lundi de la semaine dernière, Bjorg Lambrecht (22 ans) a été victime d’une chute mortelle au Tour de Pologne. Ses funérailles se sont déroulées ce mardi. Son village, Knesselare, est en deuil. Pour ses amis, la vie ne sera plus jamais pareille. Témoignages.

C’est l’histoire d’une bande de copains de Knesselare. Une dizaine de jeunes pleins de joie de vivre, liés de diverses façons. Camarades d’école et de secondaire, une soeur, des beaux-frères, des amoureux et surtout des copains qui sont devenus des frères à vélo. Ils s’entraidaient pour leurs devoirs, ils sortaient ensemble, plaisantaient et couraient tout nus sur la plage.

Un garçon était au centre de ce groupe. C’est par lui qu’ils se sont connus. Il était le ciment qui les unissait, le bon vivant de la bande, le plus souriant. C’était aussi lui qui poussait le plus fort sur ses pédales. Ce jeune, c’était Bjorg Lambrecht.

Depuis son décès, ses copains se réunissent, pour se soutenir mutuellement. Jeudi dernier, son camarade d’école Jordi Vandenberghe, son amie Carmina Clipea et son copain de vélo Arno Claeys, en couple avec sa soeur Britt, étaient au Café De Sportkring de Knesselare, le lieu de rassemblement des supporters de Bjorg.

Jordi et Bjorg : une amitié interrompue de manière abrupte.
Jordi et Bjorg : une amitié interrompue de manière abrupte.© photonews

En chemin vers De Sportkring, impossible de ne pas le remarquer, sur Facebook, une dame a lancé un appel pour qu’on parsème le village d’ours en peluche, en mémoire de Bjorg. On en voit un à la vitrine d’un magasin, un peu plus loin, un autre est à une fenêtre, de l’autre côté, un exemplaire géant prend l’air au balcon d’un appartement.

Partout, ce ne sont que peluches de toutes sortes, des coeurs, des cartes.  » Pour Bjorg « .  » RIP Bjorg « .  » Repose en paix, Bjorg « .

Les amis sont connus dans tout le village.

JORDI : Ce matin, quand nous sommes allés à la boulangerie, les gens nous regardaient depuis l’autre côté de la rue.

CARMINA : Ils ne savent pas trop comment réagir.

Les amis ne se quittent plus depuis lundi. Comme Bjorg l’aurait voulu, disent-ils. Lui-même ne voulait jamais gérer les contrecoups de la vie seul.

JORDI : J’en serais d’ailleurs incapable.

Ils sont donc soulagés de pouvoir parler. De raconter leur histoire. Sur leur meilleur ami, sur leur Bjorg.

Jordi

Septembre 2009. Les premières années en électricité du VTI de Bruges ont cours de musique. Le professeur leur demande de se présenter en chantant, histoire de briser la glace. Une chanson qui comporte leur nom et l’endroit d’où ils viennent. L’un d’eux chante :  » Je suis Jordi de Sint-Kruis.  » Un autre :  » Je suis Bjorg et je viens de Knesselare.  » Ils se regardent et éclatent de rire. Une amitié vient de naître.

 » Ça a fait clic « , raconte Jordi.  » On était les deux mêmes. On aimait déconner, se lancer des défis. Il était ainsi fait. Une fois, on a failli mettre le feu à la classe. On jouait avec un papier et un briquet. Pour éteindre l’étincelle, on l’avait aspergée de déodorant et on pensait que c’était réglé. On a jeté le papier au fond de l’armoire pour la pause. À notre retour, la classe était enfumée. Pour nous punir, on nous a envoyés aider les pompiers un mercredi matin. Ce sont sans doute ces petites farces qui vont me manquer le plus.  »

Après l’école, ils se retrouvent à vélo. Bjorg nourrit de grandes ambitions. Jordi aime rouler et ils font souvent des sorties ensemble mais ses parents lui ont interdit de s’adonner au cyclisme.  » Ils trouvaient ce sport trop dangereux.  »

Pendant six ans, ils se voient tous les jours. Jarno, le frère jumeau de Jordi, se joint à eux. Une fois les humanités achevées, les contacts se font moins fréquents mais Jordi et Jarno restent très attachés à Bjorg.  » On était les seuls à poursuivre des études. On avait donc le temps de voir Bjorg. On se retrouvait durant tous nos loisirs. Il téléphonait pour savoir si je voulais passer et le soir, il me disait de rester dormir. En fin de compte, je passais la moitié de la semaine chez lui.  »

Ils se racontent tout. Leurs problèmes, leurs rêves, leurs angoisses, leurs amourettes. Ils font des projets. Ils seront témoins du mariage de l’autre, parrains du premier enfant, ils habiteront des maisons voisines.  » Avec des terrasses en face l’une de l’autre, pour boire ensemble notre café matinal car il était dingue de café. On a cherché ensemble un bon moulin pour lui. J’ai conservé un film de lui en train de moudre les grains. J’étudie le massage sportif et j’allais devenir son masseur attitré. Carmina allait être sa diététicienne.  »

Bjorg commence à s’absenter pour de longues périodes mais les copains restent en contact quotidien via Snapchat et Skype. Dès qu’il revient, ils se retrouvent. Ils se rendent ensemble dans des magasins pour animaux et des centres de jardinage, comme AVEVE ou Baele à Aalter. Bjorg aimait les animaux et adorait les poissons koi. Une semaine avant le Tour de Pologne, ils avaient encore été à Baele. Avec Jordi, Arno et Senne.

Promenade en bateau avec les jumeux Jordi et Jarno.
Promenade en bateau avec les jumeux Jordi et Jarno.© photonews

Senne

Un peu en dehors du centre de Knesselare, Senne Deloof travaille dans l’entrée de garage de la maison familiale. Sa poignée de main est solide, sa peau tannée par le soleil comme celle d’un ouvrier de chantier. Il a enterré ses rêves de cyclisme il y a un an. Jusque là, Bjorg était son meilleur copain à vélo. Installé à la table de jardin en bois, il ravive ses souvenirs.

 » Je connais Bjorg depuis l’école primaire. Il avait un an de plus mais je savais qui il était. J’ai commencé à rouler à treize ans. Avant, je jouais au football. Comme Bjorg, je faisais partie de l’équipe de Keukens Buysse, ici à Knesselare. Comme on avait un an de différence, on roulait toujours l’un après l’autre. J’avais déjà réalisé qu’il était bon. Quelques années plus tard, Bjorg est allé chez Spie et a trouvé que je devais rouler pour cette équipe aussi. Il avait remarqué que je m’intéressais vraiment au vélo. Quand j’ai rejoint son équipe, il y avait déjà beaucoup d’amis mais ils ont tous arrêté, les uns après les autres. Moi, j’ai continué et j’ai obtenu des résultats. C’est ainsi qu’on s’est trouvé.  »

Amis pour toujours : En haut, de gauche à droite : Jordi, Arno, Bjorg et Senne. En bas : Kemmy (copine de Senne), Britt et Carmina.
Amis pour toujours : En haut, de gauche à droite : Jordi, Arno, Bjorg et Senne. En bas : Kemmy (copine de Senne), Britt et Carmina.© photonews

Bjorg et Senne deviennent inséparables à vélo. Ils ont seize ans, ils habitent à deux kilomètres l’un de l’autre. Ils s’entraînent ensemble le mercredi après-midi et dès que leur scolarité est achevée, ils misent tout sur le sport.

 » On s’entraînait le matin, on mangeait ensemble puis on regardait des courses ou on allait pêcher. On vivait pour le sport. À force de passer tant d’heures ensemble, on savait tout l’un de l’autre. Je savais immédiatement quand il rompait avec une amie ou en avait une autre. On pouvait tout se confier. On en savait plus sur l’autre que ses parents.  »

Senne ne doit pas réfléchir longtemps pour parler des caractéristiques de Bjorg.  » Il était bordélique « , sourit-il.  » Quand il venait s’entraîner chez moi sur rouleaux, il oubliait toujours quelque chose. Et la manière dont il mangeait son pudding, avec une petite cuillère… Je devais toujours lui faire du pudding à la vanille. Apparemment, je le faisais bien. Il l’enfournait mécaniquement. Ça lui goûtait.  »

Senne a aussi découvert le côté anxieux de Bjorg. Il se tracassait vite.  » Une fois, on faisait une sortie en VTT. Il est tombé et s’est blessé au sourcil. Le sang dégoulinait dans son oeil. La panique. J’ai téléphoné à Anje, sa mère, pour qu’elle vienne nous chercher. En l’attendant, j’ai dû chercher sur Google ce qu’il pourrait bien avoir et quelles en seraient les conséquences éventuelles. Il pouvait faire une montagne d’un rien mais c’était parce qu’il adorait le cyclisme et qu’il avait peur de devoir y renoncer…  »

Senne a donc pris sa retraite sportive il y a un an. Il a opté pour le travail dans le bâtiment.  » J’ai étudié pour ça et j’aime ce travail. Je m’étais juré d’arrêter si je ne perçais pas. Je ne pouvais pas m’entraîner pour des kermesses.  » Le jeune coureur n’a pas toujours eu de chance. Il y a quelques années, il a souffert de mycoplasme. Pendant des mois, il a traîné une énorme fatigue. Bjorg ne l’a pas lâché pendant tout ce temps.

 » Après chaque entraînement, il passait. Je dormais presque tout le temps. Je ne lui apportais donc pas grand-chose mais il restait quand même, pour regarder une course ou faire autre chose. Il était là quand je m’éveillais. Il a accusé le coup quand je lui ai dit que j’allais peut-être arrêter.  »

Durant l’été 2018, Senne raccroche effectivement. Il crève le coeur de Bjorg mais leur amitié n’en souffre pas. Bjorg implique Senne dans ses projets d’avenir.  » Je devais l’accompagner partout. De toute façon, il allait me confier l’aménagement de sa maison et de son potager. On allait habiter à proximité l’un de l’autre. Je devais l’accompagner en stage, avec ma copine. Comme ça, disait-il, les filles seraient ensemble. Nos autres copains nous accompagnaient. Jordi, Jarno, Arno et Britt. Oui. Il organisait tout pour eux. Il était comme ça. Il avait tout l’avenir devant lui et il était beau. Il progressait d’année en année.  »

Senne fixe ses mains, qui portent les marques de son travail. Son chagrin a souvent pris le dessus depuis qu’il a perdu son meilleur ami. Dès qu’il a appris sa chute, il a téléphoné aux parents de Bjorg. Ils étaient en Pologne, en route pour l’hôpital où ils allaient apprendre le décès de leur enfant. Senne est rentré chez lui et a allumé la télévision. À sept heures, le premier sujet des infos a été immédiatement interrompu par la nouvelle du décès de Bjorg.

Cette nuit-là, il n’a pu dormir. Le matin suivant, il a découvert la photo en noir et blanc de son pote, avec les dates 1997-2019, sur les réseaux sociaux.  » C’est à ce moment que j’ai réalisé que c’était vrai.  »

Le mercredi, il n’a plus résisté. Il a téléphoné à Kurt, le père de Bjorg, pour demander s’il pouvait passer. Bien entendu. À son arrivée, Britt a pleuré dans ses bras.  » Elle a dit : comment vais-je continuer à vivre ? Que répondre…  »

Arno

Retour au Sportkring. Jordi, Arno et Carmina parlent tout bas. Leur voix est empreinte d’incompréhension.  » On a toujours l’impression qu’il est en train de courir et que vendredi, on va tous aller l’accueillir à l’aéroport, pour lui faire une surprise.  »

Comme Senne, ils ont aussi rendu visite aux parents de Bjorg. Ils passent quasiment tout leur temps ensemble. Ils visionnent des photos et des films de Bjorg, il écoutent sa musique préférée.

Arno, l’ami de Britt et le frère de Dimitri Claeys, coureur Cofidis, perd son copain, son beau-frère mais aussi un collègue et une idole.  » Il y a trois ans, j’étais en stage avec mon équipe et Bjorg y participait individuellement car son entraîneur s’occupait de mon équipe. Je ne connaissais pas Bjorg personnellement mais il a été immédiatement sympathique à l’égard de tout le monde. Il s’intéressait peut-être plus à moi parce que mon frère était pro.

Depuis, je suis l’ami de sa soeur depuis un an et on était donc beaux-frères. Je le revois assis à la table de la cuisine, chaque fois que je rendais visite à Britt. Il était toujours de bonne humeur. Incroyable. Je le voyais toutes les semaines, parfois tous les jours. Je n’imaginais pas l’impact qu’une personne pouvait avoir sur vous en l’espace d’un an… »

L’action des peluches leur réchauffe le coeur. Elle démontre que tout Knesselare partage leur chagrin. Un membre du club de supporters pense que l’action fait allusion au lapin en peluche que Bjorg emmenait toujours avec lui.

CARMINA : Il l’avait depuis sa naissance. Il ne lui avait pas donné de nom. Simplement Lapin.

ARNO : Il était rapiécé. On l’avait retapé au moins dix fois et il lui manquait un oeil.

Bjorg ne partait jamais sans Lapin. Un fois, il l’avait laissé à la maison et il avait fait une méchante chute sur le genou. Ses amis affirment qu’il avait emmené Lapin en Pologne. Ils ne comprennent pas.

Ils savaient que Bjorg était superstitieux, en revanche.

JORDI : Une fois, il m’a confié qu’il ne buvait que les minutes paires, jamais pendant les autres. Sinon, il allait chuter.

ARNO : À la fin de chaque séance, il effectuait encore un tour de quelques centaines de mètres, dans la rue.

JORDI : Il disait avoir peur de la mort. Il lui arrivait de s’éveiller la nuit et d’appeler sa soeur ou ses parents.

Ils se rappellent la chute et ce qu’ils en ont lu. Ils ne peuvent qu’espérer qu’il n’a pas réalisé ce qui lui arrivait, qu’il n’a pas souffert.  » Si quelqu’un ne méritait pas ça, c’est bien lui.  »

Ils ne veulent pas trop y penser. Ils préfèrent se rappeler à quel point tout allait bien pour Bjorg depuis quelques mois, se souvenir de son excitation après sa visite à l’émission Vive le vélo. Ils avaient eu de bons entretiens. Avant de s’envoler pour la Pologne, il avait encore dit à Arno qu’il n’avait jamais été aussi heureux tant tout allait bien avec Carmina et le sport.

 » La veille de son départ, on a pédalé une centaine de kilomètres et on a essayé de réaliser quelques meilleurs chronos sur Strava dans les alentours. J’ai arrêté la circulation pour lui dans un sprint à Aalter. Il a terminé deuxième à deux secondes.  » Arno se tourne vers Jordi.  » On va battre ces chronos, pour lui.  »

Arno ne sait pas encore ce qu’il adviendra de sa carrière. Il ne s’est plus entraîné depuis lundi. Sa mère lui a déjà dit qu’il ferait mieux d’arrêter le cyclisme. Britt ne sait pas si elle peut encore supporter ces tracas incessants, à chaque course. Il hésite encore.  » Fuir n’a aucun sens. On doit continuer à vivre. On est tous jeunes et on a un avenir.  » Il ajoute :  » On doit être là les uns pour les autres.  »

Ils s’enlacent. Ce qui les aide à tenir bon, c’est d’échafauder des plans, comme Bjorg. Ils veulent organiser une balade à vélo pour lui, imprimer des autocollants à son nom. Tout ce qu’ils peuvent faire en sa mémoire.

JORDI :  » Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis mais Bjorg en a toujours été un. Je n’en aurai plus jamais de pareil. Il était mon frère et Britt est ma soeur. Dire que je ne le verrai plus jamais… J’ai dit à Britt que j’appellerai mon premier enfant Bjorg. « 

Par Peter Mangelschots

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